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Sur la morale de Monsieur Peillon (recension)

Par Tchekfou @Vivien_hoch

Recension. Thibaud Collin, Sur la morale de monsieur Peillon, Salvator, carte blanche, Paris, 2013

Thibaud Collin est un philosophe bien connu des intellectuels chrétiens engagés dans les âpres débats civilisationnels de ces dernières années. Rappelons son remarquable et tout à fait à-propos « Sur les lendemains du mariage gay » paru avant le projet de loi et les manifestations salvatrices qui ont suivi. Il a remis le couvert avec cette morale de monsieur Peillon, qui tombe à pic, également, en pleine offensive moralisante et laïque sur l’école publique (morale laïque, charte de la laïcité, théorie du genre, refonte des programmes scolaires). Un ouvrage qui dépasse largement ses objectifs. 

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Crédits : Vivien Hoch

Ne vous attendez pas à une exposition froidement objective de l’idéologie révolutionnaire et socialisante de Vincent Peillon ; Thibaud Collin propose ici bien plus une critique en règle des tenants et des aboutissants de l’idéologie peillonienne, et une mise en question de ses idéaux. L’avantage, c’est qu’en critiquant Vincent Peillon, on ne critique pas que ce personnage, en soi inintéressant et médiocre : derrière lui, se cache le coeur de la République et de l’idéologie qu’elle véhicule depuis la Révolution française qui n’est, pour rappeler le mot même du mis en cause, pas encore terminée. À tel point d’ailleurs, que, dans cet ouvrage, il n’est finalement que très peu question de Vincent Peillon lui-même, des mesures qu’il introduit aujourd’hui dans l’école. Le travail dépasse largement Vincent Peillon. C’est plutôt une analyse générale de la post-modernité.

I-Grande-7269-sur-la-morale-de-monsieur-peillon.aspxD’emblée, la plus grande conquête de ce travail, comme de tout travail sur ce genre de personnage républicain, me semble être dans la possibilité de prendre conscience du fait que nous sommes, avec cette République-là, dans un système qui impose subrepticement une certaine conception de l’homme, et, en laissant (soit-disant) à chacun la possibilité de vivre selon ses propres conceptions de l’homme, se développe en fait à partir d’une indifférence radicale sur ce qu’est l’homme.

Vincent Peillon lui-même, au bout d’une longue tradition républicaine et socialiste, n’a pas abandonné ce cher « bien commun », tant apprécié de nos amis chrétiens. Bien au contraire : il en a un en tête, et cherche à l’imposer par tous les moyens. Évidemment, depuis qu’il a les manettes de l’éducation nationale, la tâche est plus facile… Et ce sont nos enfants qui en pâtissent. Reste que l’épistémologie pédagogique de Vincent Peillon est complètement désuète, et c’est la deuxième conquête de cet ouvrage que d’arriver à le prouver. La principale raison en est qu’une certaine conception de l’homme entre en jeu derrière la morale peillonienne : « l’enjeu ultime de notre question est bien anthropologique » (p. 54), et il s’agit de découvrir ce qui est en jeu. C’est là que Thibaud Collin devient extrêmement intéressant, notamment dans un chapitre exceptionnel (nature et grâce, chap. V) qui traite de la « modernité post-chrétienne » (c’est son terme) ; il y expose la nostaglie de la grandeur d’une société qui a abandonné le surnaturel et la nature, dans une « acédie mondaine »  ; je vous laisse découvrir ces pages d’une grande finesse.

Les sources religieuses d’une société

Thibaud Collin, déjà très au fait de la question théologico-politique posée par la laïcité révolutionnaire et socialisante (Laïcité ou religion nouvelle ?, Harmattan, Paris, 2007), détaille la question avec les mentors de Vincent Peillon au chapitre 3 : « la République en quête d’une religion impossible », qui reprend les vieux débats entre Simon, Quinet et Ferry, qui se déroulent nécessairement lorsqu’il fait organiser une morale et une éducation sans Dieu : comment produire du commun ? Comment insérer une hétéronomie anthropologique, qui ouvre l’homme à l’autre, sinon à un Autre ? La question de la fondation religieuse du politique, devient celle de la sanctuarisation de l’école, qui devient alors le temple de cette nouvelle religion, comme le dira plus tard Vincent Peillon. La morale dite laïque s’y fondera comme en son élément propre. D’où l’insistance du monde laïc sur l’école et sur l’éducation, tentant de réduire au maximum l’influence de la famille sur les futurs citoyens.

La laïcité devient rapidement un principe d’indifférenciation (p. 83).

La vraie question de tous ces débats, prises de positions, combats idéologiques, étant, au fond, celle de savoir sur quoi fonder la morale : sur Dieu, sur la liberté ou sur l’universel, et, au-delà, de déterminer si la post-modernité a fait de l’état républicain laïc une structure sociétale relativiste et procédurale, écartant la possibilité d’une éthique du bien ; qu’ainsi, comme le dit Thibaud Collin,

« le projet Peillon sous couvert de réintroduire la morale à l’école ne va qu’accroître le relativisme dans la mesure où il ne procède pas à une critique de la doxa actuelle conduisant à réduire la morale à des valeurs formelles sans contenu » (p.133).

Je ne partage pas cet avis. Thibaud Collin pense que la société libérale-laïque empêche toute éthique du bien, et que le projet Peillon se retourne sur lui-même, dans sa propre impossibilité ou contradiction laïque. C’est que je n’estime pas que la société libérale-laïque-procédurale soit avérée, ni non plus que ce qui la fonde et la motive soit des « valeurs formelles sans contenu » ; bien au contraire, il le semble que nous sommes dans une situation on ne peut plus théocratique, avec des contenus à forte consistance idéologique, voir que nous avons à faire à une métaphysique, avec ses transcendantaux et son intolérance ontologique. Thibaud Collin y approche lorsqu’il étudie la volonté théologico-politique de Quinet. Le socialisme républicain et laïc n’est pas informe et sans contenu, comme l’homme qu’il a en vue bien au contraire, il est une métaphysique du dépouillement total, une mystique de la différence, une ascèse mondaine, une acédie, comme Thibaud Collin l’expose au stupéfiant chapitre V. Ma critique devra prendre d’autres lattitudes pour s’exposer plus en avant, et je n’y manquerai pas prochainement.

Un livre efficace, avec des éclairs de lucidité théologico-politique

Reste qu’il s’agit là d’un ouvrage lucide, efficace, avec la sobriété d’écriture et de raisonnement qui caractérise Thibaud Collin ; où il est pris le temps de revisiter les arguments historiques en faveur de la morale laïque, en y croisant Quinet, Jaurès, Rousseau, Ferry, etc. ; où Vincent Peillon est recontextualisé et réinséré dans une vieille tradition républicaine, souvent anti-cléricale, universaliste et socialiste et où, finalement, il est montré que cette tradition et les questions qu’elle porte le dépasse largement, ainsi que tous ceux qui la défendent.

 
Pour vous le procurer : Thibaud Collin, Sur la morale de monsieur Peillon, Salvator, carte blanche, Paris, 2013
 
Sur le même thème :
 
- Vivien Hoch, Vincent Peillon, prophète d’une religion laïque, CERU, 2013

- Entretien sur la charte de la laïcité de Vincent Peillon,

- Réfutation point par point de la charte de la laïcité
 


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