Paracosm, le deuxième excellent album de Washed Out sorti en août à rappelé à tout le monde l’existence de la scène chillwave et sa capacité à réjouir nos oreilles par ses boucles hypnotisantes. On a rencontré ce génie autodidacte de passage à Paris pour un live aussi court que magique. Ils nous a ouvert quelques instants les portes de son monde imaginaire excitant et incroyablement riche : à la recherche de la mélodie parfaite.
« Je n’ai jamais aimé l’idée d’être placé dans une boîte, d’être enfermée dans une catégorie précise sans pouvoir en sortir »
ATD. Hello Washed Out, est-ce que tu pourrais te présenter en trois ou quatre dates, jours de l’année qui sont particulièrement importants pour toi?
Washed Out. Salut, je m’appelle Ernest et je joue sous les nom de Washed Out, laisse moi réfléchir une seconde. Je suis obligé de cité le 24 octobre, il y a juste quelques jours, c’est l’anniversaire de ma femme. On était à Londres pour quelques jours on eu un gros live et on a pu le célébrer en quelque sorte. Une autre je pense serait le 4 juillet qui est la fête nationale aux Etats-Unis, c’est au milieu de l’été, tous le monde fait la fête dehors et ça reste vraiment un de mes jours favoris, j’adore l’ambiance qui règne à cette date. Après, je ne sais pas trop, mon anniversaire peut-être qui est le 3 octobre, c’est un mois vraiment important pour moi octobre. Même si je deviens vieux et que j’aime de moins en moins le fêter (rires).
ATD. Tu es vu comme le créateur, en tout cas celui qui l’a fait passer sur le devant de la scène, de la chillwave, qu’est-ce que tu penses de ce mouvement ? Avec le recul que tu peux avoir aujourd’hui ?
Washed Out. Je ressens vraiment un mélange d’amour et de haine envers tout ça. Je sais que je suis ici aujourd’hui grâce à l’explosion de ce mouvement musical et j’apprécie cela. Il y a quelques années, il y avait beaucoup de groupes qui composaient le même genre de musique et le fait que j’ai poussé la chillwave en avant, que j’ai en quelque sorte démarré le mouvement a définitivement aidé ma carrière. Après je n’ai jamais aimé l’idée d’être placé dans une boîte, d’être enfermé dans une catégorie précise sans pouvoir en sortir. J’ai l’impression que ma musique change constamment à un point que je ne sais pas si ce que je compose aujourd’hui est toujours du chillwave. Il y a de bons et mauvais côtés, comme pour tout j’imagine. J’espère vraiment que mes fans sont ouverts d’esprit et qu’ils écoutent ce que je produis, quelles que soient mes inspirations et n’attendent pas de moi que je reste dans le même style encore et encore. Pour le reste, l’appellation que l’on lui donne n’a pas vraiment d’importance.
ATD. J’ai l’impression que quoique tu fasses cela reste de la chillwave, rien que le fait que ton nom soit présent lui donne cette caractéristique.
Washed Out. Je pense que t’as raison, tu sais sur ce nouveau disque j’ai essayé beaucoup de choses d’un point de vue sonore, mais c’est vrai que ça sonne encore comme Washed Out et il est probable que d’un point de vue globale, également comme la chillwave.
ATD. A propos de ton nouvel album, le titre Paracosm fait référence à un monde imaginaire, d’où t’es venue l’idée ?
Washed Out. Tout au long de mon enfance, et au fur et à mesure que je grandissais je le suis resté, j’étais assez imaginatif, attiré par tout ça, la création et l’invention « intérieur ». J’étais assez solitaire aussi et le fait d’être musicien, c’est un des aspects vraiment cool du métier, me permet de pouvoir vivre encore comme ça aujourd’hui d’une certaine façon. Tu sais, être créatif et m’immerger à l’intérieur de moi même, dans ce Paracosm, dans toutes les idées que mon cerveau peut produire. Faire de la musique, composer ces chansons et les jouer : c’est de cette façon que je m’échappe vers ce lieu imaginaire. C’est un peu comme un rêve éveillé, quelque chose qui me permet d’échapper à la vie de tous les jours.
ATD. Tu me parles d’échappatoire à la routine, ce qu’on retrouve dans ton nouveau clip, qui est sorti récemment. C’est un road trip aux USA de deux garçons après une rupture amoureuse douloureuse pour l’un d’eux. Est-ce que tu t’identifies à ce garçon ?
Washed Out. Oui oui je pense que oui. C’est un film pour lequel je peux vraiment comprendre la perspective qui a été adoptée par les acteurs. J’étais amoureux de cette fille, on a rompu et je ne l’ai pas vue pendant plusieurs années avant de me précipiter vers elle à nouveau. Cette vidéo a fait remonter tous ces souvenirs à la surface. C’est vraiment de là que j’ai écrit cette chanson. Je peux donc très bien comprendre les sentiments ressentis et les émotions par lesquelles il passe. Je pense que le résultat est vraiment cool, ça rend bien ! J’ai vraiment apprécié le côté réel et authentique. Et pourtant on a également l’impression d’être hors du temps. Ce sont juste deux gamins de 17 ou 18 ans, rien de ce qu’ils font n’est réfléchi ou mal décidé, on assiste juste aux péripéties de deux enfants qui s’amusent de tout et rien.
« Je peux simplement m’asseoir et jouer d’un instrument, cela a immédiatement un sens. Tu ne peux pas procéder ainsi quand tu utilises énormément de samples, comme moi auparavant »
ATD. Le son de Paracosm est globalement différent de celui de ton premier album, Within And Without, comment penses tu que ta musique a évolué ? Et qu’est-ce qui l’a fait changer selon toi ? Je pense aux parties chantées qui sont plus nettes/claires etc.
Washed Out. Oui c’est définitivement différent, je penses notamment à deux ou trois raisons qui expliquent cela. Tout d’abord la différence vient du fait que je suis légèrement plus à l’aise avec l’écriture des paroles mais également avec le chant. Cela s’ajoute au fait que je n’ai jamais voulu faire le même disque encore et encore, donc changer un peu par rapport au précédent, rendre en effet les vocals plus claires et les mettre plus en avant par rapport aux instruments rentrait dans cet état d’esprit, juste quelque chose de nouveau que je voulais essayer. J’ai écouté beaucoup de pop et je ne te dirais jamais que je fais de la musique pop destinée à passer sur les radios ou n’importe quoi de ce genre mais j’aime expérimenter sur les différents sons que je peux donner aux choses. J’essaye quand même de ne pas aller trop loin parce qu’une fois atteint un certain point, quand ça devient trop pop que les chants sont trop mis en avant et trop aseptisés et gais, ça ne sonne plus comme Washed Out et je ne veux pas non plus en arriver là. J’espère juste m’arrêter juste avant, je vais juste le plus loin possible tant que ça me plaît, la direction n’a pas d’importance.
ATD. Dans cet album, il y a beaucoup plus d’instruments et moins de samples, comme le dernier Daft Punk, tu penses quoi de cette comparaison ?
Washed Out. C’est pas con du tout en fait, j’ai l’impression que je viens d’un endroit similaire au leur. Le vrai point négatif de l’utilisation massive de samples, comme je le faisait auparavant, et eux aussi, c’est que le principe s’assimile à la résolution d’un puzzle, l’assemblage d’un collage, et trouver la dernière pièce, la dernière partie est souvent un casse tête inimaginable et incroyablement chronophage. Tu sais quand tu recherches ce diamant brut, ce petit son que tu veux désespérément faire sortir. Alors que je peux simplement m’asseoir et jouer d’un instrument, et cela a immédiatement un sens tu vois je peux sortir et matérialiser les idées que j’ai en tête tellement plus rapidement. Et j’imagine qu’ils diraient la même chose, juste jouer sans rechercher de manière le son parfait ou la loop parfaite. Après pour moi cela a aussi beaucoup à voir avec les lives. Ce soir et tous les autres je joue avec un groupe de 5 personnes et quand on joue des chansons qui sur disque sont presque entièrement basées sur des samples, on a l’impression de faire une cover et cela ne sonne pas du tout comme la version que j’avais composée et enregistrée au départ. Avec les chansons du nouvel album, cela sonne mieux et plus près du disque quand on est sur scène.
ATD. On parlait de la chillwave, de la nouveauté de ce mouvement et c’est vrai que quand je t’écoute, ça me paraît souvent nouveau, différent de ce que j’ai déjà écouté. C’est quoi tes influences ? T’ont-elles poussé vers ça ou pas ?
Washed Out. Je peux penser à une poignée de groupes qui ont été importants pour moi. Au moment où j’ai commencé à composer, quand j’ai eu mon premier ordinateur, j’allais à l’université et j’écoutais vraiment beaucoup de hip-hop, du hip-hop plutôt psychédélique, je pense notamment à DJ Shadow et Four Tet. Toutes des musiques essentiellement basées sur l’utilisation de samples et j’ai commencé à produire des chansons inspirées d’eux, ce que j’ai fait longtemps et qui m’a mené au style de musique que l’on retrouve sur mes premiers EPs. Ces groupes font définitivement partis des gens qui ont influencés fortement mon travail. À l’opposé du spectre musical, je pense que le son des vocals notamment est très influencé par la musique shoe-gaze des années 90. Ces chansons où la voix n’est qu’un instrument comme les autres, elle n’est pas mise en avant au mixage par rapport aux autres instruments. On retrouve également le fait que ces chansons sont aussi dans le sentiment, l’humeur, des paroles qui racontent une histoire avec des refrains très dansants.
ATD. OK, tu me parles de musique pop et je me suis fait la réflexion que lorsqu’on écoute de la pop du rock ou folk, il est souvent assez facile de comprendre comment le groupe a construit et composé la chanson. Avec tes compos par contre, je me demande souvent comment tu t’es dit que tel son irait bien avec un autre… Comment tu composes en fait ?
Washed Out. Je ne sais pas trop, je pense que Washed Out est le résultat d’un mélange, une combinaison de tous les styles de musiques que j’écoute. Je t’ai dit que j’étais assez influencé par la pop qui passe à la radio que j’écoute pas mal. Prenons l’exemple d’une chanson de Katy Perry (oui oui, ndlr), c’est très « neutre et banal » mais on ne peut pas nier qu’il y a des idées d’écritures, de compositions dedans qui sont extrêmement catchy et je pense que je m’en inspire également. Après, à l’opposé tu trouves des groupes d’électro avant-gardistes et obscurs que j’écoute énormément et dans lesquels je puise mes idées. J’ai été longtemps obsédé par tous les albums très paysagistes de Brian Eno. J’aime beaucoup tout ce qui s’approche de l’ambient, et je pense que ce que je fais prend des idées et inspirations dans ces deux univers et qu’elles se rencontrent en leur milieu avec Washed Out. Je ne sais pas si j’ai réellement répondu à ta question mais je n’analyse pas davantage ma façon de composer.
« Je pense que ce qu’on cherche tous, c’est une bonne chanson, celle que tu peux jouer avec juste une guitare ou un piano en chantant et qui brille d’elle même, naturellement. »
ATD. Au premier abord, on pourrait penser que seul le son importe dans ta musique et que les voix sont secondaires. Pourtant elles apportent une dimension essentielle pour créer cette ambiance, ce son justement. Comment tu mixes et balance les deux ?
Washed Out. J’ai l’impression que la musique, tout en dehors des vocals donc, est devenue de plus en plus complexe au fur et à mesure de mes compositions, de mes nouveaux albums. Et d’une certaine manière je ne suis pas du tout excité ni enthousiasmé par ça, tu vois je trouve que la beauté de ce que je faisais au début est que je n’avais aucune idée de ce que je faisais en fait (rires). Et du coup c’était souvent très simple, des idées musicales assez basiques soutenues par juste une mélodie efficace. Aujourd’hui j’ai ce sentiment de faire, si on peut dire, trop attention à la musique, de me concentrer trop sur la recherche de sons aussi intéressant que possibles et du coup la mélodie et les voix passent au second plan. C’est un équilibre difficile à trouver, et surtout à conserver. Je pense que ce qu’on cherche tous, c’est une bonne chanson, celle que tu peux jouer avec juste une guitare ou un piano en chantant et qui brille d’elle même, naturellement. Et dans ce genre de chanson, les chanson qui restent, la mélodie est généralement très forte donc j’ai à cœur de retourner vers ces endroits. Ces lieux où seule compte la pureté de la mélodie et quelques paroles et non plus la recherche d’une chanson où je puisse entreposer le maximum de sons possibles.
ATD. Ta musique a une caractéristique forte et qui reste vraie quelles que soient les chansons, du début à aujourd’hui : la douceur. C’est presque fluffy. Rien qu’à partir de titres comme It All Feels Alright, Eyes Be Closed ou Soft. Est-ce que c’est un son, une atmosphère que tu recherches ou est-ce que ça vient naturellement ?
Washed Out. Oui je pense que c’est naturel. Je parlais tout à l’heure du fait que j’étais un musicien et producteur autodidacte, je n’ai jamais eu aucun entraînement particulier pour apprendre la musique. J’ai toujours composé en me fiant à mes oreilles, je travaille sur un son quand je trouve qu’il sonne bien, que mes oreilles l’apprécient, je ne vais pas chercher plus loin. Après il est évident que je gravite autour de certaines sonorités et je ne m’imagine pas sortir un jour un album de heavy-metal. Tu sais c’est un peu comme si je pouvais jouer de n’importe quel instrument et que le son final sonnerait toujours comme Washed Out. Je suis attiré inconsciemment vers ce genre j’imagine.
« Je sais que ça fonctionne quand je ressens quelque chose, une émotion que j’apprécie. C’est à partir de ce moment que que j’essaye de travailler la chanson, l’idée qui est derrière, pour faire ressortir cette idée »
ATD. Tu parles d’attraction inconsciente. Tu as un souvenir qui décrirait le mieux tes compos ?
Washed Out. Hum…Je ne sais pas, je pense être quelqu’un de très nostalgique et si mes expériences passées influencent mes compositions, ce sentiment de nostalgie que je peux ressentir lorsque je suis en train d’écrire mes chansons est nettement plus clair et établi que lorsque je me remémore un souvenir en particulier. C’est assez dur à exprimer, je m’assoie au piano jouant quelque chose et que je sais que ça fonctionne quand je ressens quelque chose, une émotion que j’apprécie, quand ça touche un nerf. C’est à ce moment que que j’essaye de travailler la chanson, l’idée qui est derrière, pour faire ressortir cette idée. J’essaye de trouver un souvenir particulier. Je t’ai dis que le 4 juillet était mon jour préféré, souvent pour cette période je suis avec ma famille dans cette espèce de grande maison familiale avec un lac. C’est toujours très sympa et j’ai énormément de souvenirs qui viennent de cet endroit, c’est très encapsulé et j’imagine que ces jours d’été et ces moments où j’y écoute ces chansons ensoleillées peuvent correspondre à ma musique.
ATD. T’es d’accord si je te dis que ta musique me fait être joyeusement triste ?
Washed Out. Oui, je ressens plus ou moins la même chose. Je pense que cela dépend de mon humeur sur l’instant. Certains jours une mélodie peut être vraiment déprimante alors que tu la trouveras vraiment joyeuse et inspirante à un autre moment. Comme je t’ai dit, je compose tous mes morceaux très naturellement, sans chercher à les retravailler pour leur donner un son particulier donc j’imagine que cela dépend également de mon humeur pendant que je composes. Mais c’est vrai que les mélodies ont souvent cette qualité de s’adapter si l’on peut dire à l’humeur de l’auditeur. Ça marche dans les deux sens et c’est cool (rires). Si tu veux aller plus loin, je pense qu’il y a de très belles choses dans la tristesse. Tu te sens triste parce que tu as perdu quelque chose, tu ne peux plus l’avoir mais tu vois enfin la beauté réelle de ce que tu avais. Cette expérience de ressentir deux sentiments qui semblent opposés est intéressante je pense.
ATD. Plus léger à présent, est-ce que tu fais toujours de la photo ?
Washed Out. Oui je suis toujours fan de photo, j’aime toujours autant ça mais d’une façon très différente. Aujourd’hui je continue de prendre énormément de photos, surtout en tournée, mais la plupart à partir de mon téléphone ou d’un de ces petits trucs. Je trouve toujours ça génial mais c’est très différent, intéressant mais il est évident que la qualité n’a rien à voir avec celles que je faisaient avant. C’est plus dans l’optique de capturer le moment, l’émotion de l’instant que d’avoir quelque chose de très beau visuellement.
ATD. On finit par un petit défi, tu peux me dire quelque chose en français ?
Washed Out. Oh no, I was the worst (rires). Je n’ai jamais pris de cours de français, quand j’étais petit on nous a appris à compter jusqu’à dix et des trucs comme ça mais pas plus. J’ai pris espagnol par la suite mais de toute façon j’étais vraiment un étudiant catastrophique. J’ai même essayé de lire et d’apprendre l’histoire de l’Europe par la suite pour me rattraper mais… (rires). Je ne peux vraiment pas (en français) merci! (en anglais au manager qui vient nous l’arracher!) il m’a demandé de lui dire un truc en français et j’étais genre « je n’sais pas » c’est horrible (rires).