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Sous les tropismes

Publié le 28 novembre 2013 par Rolandlabregere

Quand un mot commence à être un habitué des bons scores d’usage dans les gazettes et sur le Net, son succès est assuré. Son utilisation répétée appelle à la démultiplication, comme si la légitimité sémantique se gagnait par la fréquence chaque jour amplifiée. Tropisme est de ces mots qui jouent d’une connotation plurielle, à la fois scientifique et philosophique voire un tantinet mystique. Il rend élégant le discours. Tropisme est désormais en voie de s’imposer comme un mot cheville apte à remplacer de nombreux termes jugés d’une excessive banalité. Qui veut raisonner chic met du tropisme au menu de son apéritif rédactionnel.

Tropisme doit sa vogue à s’être autonomisé et lexicalisé par aphérèse, processus phonétique qui se traduit par la suppression d’une ou plusieurs syllabes au début d’un mot, à partir de vocables attestés dans le champ scientifique (héliotropisme, géotropisme, phototropisme…). Tropisme définit initialement le choix d’une direction, le fait de s’orienter ou de se tourner vers quelque chose. Ses emplois sont aujourd’hui multiples. Tropisme buzze dans les éditos, les analyses, les commentaires qui, comme l’on sait, vont bon train, alors que d’autres termes qui firent naguère la course en tête marquent le pas. Ce joker lexical est d’une grande force. Il peut se substituer à penchant, inclination, tendance, intérêt, orientation, force intérieure, détermination, habitude, position, disposition, attirance, goût…et autant d’oubliés. C’est dire sa capacité de conviction.

Les médias l’utilisent avec gourmandise pour signifier qu’il porte en lui une part de mystère et qu’il s’adapte facilement à de nombreuses situations. Cinq exemples, parmi tant d’autres, soulignent la flexibilité de ce terme désormais surutilisé afin d’élever le niveau de langue de bien des textes où il se glisse. Comme vocable, il participe à la tendance à une correction apprêtée du discours et aux inflexions grandiloquentes de la production politico-médiatique.

A l’occasion de la visite d’Etat de François Hollande en Inde, Le Monde (Paris assume les transferts technologiques en Inde, 17-18 février 2013) est revenu sur la volonté de la France de partager ses secrets industriels avec l’Inde au nom « de la confiance » et de « l’absence de risque sur le nucléaire civil ». « Le tropisme européen de l’Inde et inversement, s’explique aussi par une méfiance commune à l’égard de la Chine. Paul Hermelin dit que l’on méconnaît l’obsession chinoise de New Delhi. Face à Pékin, l’Inde est considérée comme un partenaire de long terme ». L’Inde voit l’Europe d’un bon œil et réciproquement. La confiance partagée mérite quelques explications diplomatiques et stratégiques. L’Inde et la Chine, en raison de leur démographie, de l’urbanisation et de leurs besoins énergétiques affichent les mêmes exigences en matière de savoir technologique vis-à-vis du nucléaire. Tropisme mentionne ici la convergence des analyses stratégiques entre la France et l’Inde. Celle-ci bénéficie d’un a priori favorable de la part de la France. La France voit en l’Inde une « puissance de paix » a déclaré François Hollande avant d’ajouter « L’Inde et la France parlent d’une même voix dans le concert mondial ». Ce tropisme fait clairement allusion à une culture démocratique commune qui exclut de fait la Chine. Tropisme souligne les convergences et une mutuelle reconnaissance de l’autre. Quant au tropisme de la Chine vis-à-vis de l’Inde, il tourne carrément à l’obsession !

De toute autre nature est le tropisme de la classe moyenne russe. Le pouvoir poutinesque distille la peur en s’en prenant aux ONG (Scène d’intimidation en Russie, Le Monde, 31 mars /1er avril 2013). S’interrogeant sur les arrières pensées du pouvoir qui se manifestent par des contrôles tatillons qui fleurent bons « son époque soviétique », l’article s’achève par un emploi inattendu de tropisme : «  Ainsi va la Russie en ce début de XXIème siècle : tiraillée entre une régression ultranationaliste entretenue par M. Poutine, et le fort tropisme d’ouverture sur le monde auquel aspire sa classe moyenne ». Cette classe moyenne entre tentation surveillée et désirs censurés saura-t-elle exprimer son fort penchant, son besoin ou sa forte demande pour l’affranchissement des rigidités postsoviétiques ? La classe moyenne russe exprime surtout le désir que soit relâchée la bride.

Les emplois s’enchaînent mais ne se ressemblent pas. « Les échappées cubaines de M Bel font jaser le Sénat M. Bel, hispanophone de culture, ne cache pas son tropisme pour l’Amérique latine. » (Le Monde, 30 janvier 2013). La phrase qui suit pourrait passer pour une justification pour ce tropisme. L’article explique que, « remarié à une cubaine avec laquelle il a une petite fille, il effectue de réguliers séjours privés à Cuba. Surtout, il plaide ardemment pour le développement des relations économiques et culturelles avec le continent sud-américain et est à l’initiative d’une Journée de l’Amérique latine, dont il souhaite qu’elle soit relayée par le gouvernement ». Ce tropisme fondé sur l’attirance pour une zone tropicale est loin du réflexe simple ou de la réaction élémentaire. Il souligne au contraire un penchant consistant, cultuel et personnel. Ce tropisme-là ne se conteste pas.

Avant d’être élu, le président français était perçu au Maroc comme celui qui a une meilleure considération pour l’Algérie. La presse marocaine a évoqué le « tropisme algérien de François Hollande ». Le site Slateafrique (http://www.slateafrique.com/82549/comment-maroc-courtise-hollande 10/05/2012) note que « de l’autre côté de la Méditerranée, on lui reconnaît  un tropisme prononcé pour l'Algérie, sa proximité avec son conseiller politique Faouzi Lamdaoui, un natif de Constantine, y étant pour beaucoup, dit-on. Les Marocains observent aussi qu'un autre hollandais, l'eurodéputé Kader Arif, a des racines algériennes ». De son côté, La Tribune d’Alger avait auparavant (Monsieur Normal et l'Algérie, 07/05/2012) vanté ce qui, vu d’Alger, semblait être les qualités de François Hollande appuyées sur une « profonde nature, qui ne le porte pas vers la séduction mais le déporte toujours vers la raison, son volontarisme et son pragmatisme l'inclineraient à aller rapidement mais méthodiquement dans le sens d'une normalisation ». Rassurée La Tribune précisait qu’on parle « de plus en plus à Paris d'un éventuel «tropisme algérien» de François Hollande ». La visite de François Hollande au Maroc (3 & 4 avril 2013) est l’occasion d’évoquer une nouvelle fois la question de ce tropisme. Jeune Afrique ( Hollande au Maroc : le cœur ou la raison ?, 02 /04/2013) voit dans le fait que le président français se soit d’abord rendu en Algérie fin 2012 la confirmation que « Jusqu'à l'arrivée de François Mitterrand à l'Élysée, en 1981, les socialistes ont totalement vécu sous un tropisme résolument pro-Algérien et vaguement antimonarchiste ». D’algérien, le tropisme devient pro-algérien ce qui le rend résolument incontestable. Le tropisme algérien perçu au Maroc provient de l’avantage chronologique donné à l’Algérie. Décidemment, tropisme sert de tenue de camouflage aux sentiments peu conformes aux us et coutumes diplomatiques.

Romain Rosso dans son livre consacré à Marine Le Pen (La face cachée de Marine Le Pen, Flammarion, 2011), explique comment, selon lui, les relations entre le père et la fille sont régulées. Il conclut : « Par sa présence, Le Pen  corrige le tropisme de sa fille ». Ce qu’entend Rosso par tropisme ici concerne la nature « besogneuse » de Marine Le Pen « qui travaille en équipe ». Selon Romain Rosso, le tropisme de Marine Le Pen repose sur une attitude proche de celle d’une « professionnelle actuelle ». Tropisme est utilisé pour méthodes de travail, sélection d’experts « dont elle s’est entourée », environnement. Il est synonyme de choix ou de préférence. L’auteur n’indique pas si ce tropisme préférentiel participe de la préférence nationale si chère aux gens du clan. Rosso a le tropisme arrangeant et conciliant. Le tropisme du biographe journaliste est la ratatouille racoleuse. Concernant Marine Le Pen ne s’agirait-il pas du tropisme du cancer ?


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