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Galerie de portraits (19) : Pierre Perret

Publié le 03 décembre 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

Devezh mat, Metz, mont a ra ? À quelques  exceptions près, la chanson française est bonne à jeter, et il fait partie de ces exceptions : un petit bonhomme rond et joufflu avec une tête d’ange toute bouclée et une mine à la fois tendre et blagueuse ; on lui donnerait le bon dieu sans concession mais il n’en voudrait pas, lui préférant un verre de vin ou la cuisse rose d’une femme… Cette description, soit dit en passant, irait à merveille à notre ami Éric Mie, mais c’est d’un autre grand monsieur que je souhaite vous parler aujourd’hui.

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Il a fait son entrée dans le monde de la chanson il y a cinquante ans, montrant à une France médusée qu’il n’est pas nécessaire, pour être poète, de parler petites fleurs des champs : on peut aussi parler des parties de jambes en l’air que des amoureux font sur ces petites fleurs ; il n’est même pas nécessaire que les petites fleurs poussent dans les champs, il peut très bien s’agir des « fleurs de banlieue » comme celle qu’on appelle « Cuisse de mouche ». De fait, les « héros » de ses premiers succès sont résolument des personnages « populaires » au sens premier du terme : les ouvriers qui vont à l’usine avec le litron dans la galetouze, les bonniches espagnoles, les truands repentis, les Dom Juan du dimanche, les gamins turbulents… Tout un univers qu’il n’a jamais cherché à enjoliver ni à dénigrer : il était ce qu’il était, c’était tout et c’était déjà beaucoup, sa musique et son humour étaient là pour lier la sauce de toute façon. Mais si Pierre Perret a mis le peuple sur le devant de la scène, ce n’est pas tant du côté des thématiques que du côté du langage : n’en déplaise au père Hugo et aux « vieux schnocks de l’Académie » épinglés dans « Le baiser » et « Le vin », la langue n’a nul besoin, pour être belle, d’une pratique de la langue qui soit conforme aux règles grammaticales et lexicales officielles ; une langue n’est pas une statue de marbre, elle évolue suivant des logiques que la logique ignore parfois, et au lieu de s’en lamenter et de rester collé à un passé souvent fantasmé comme une moule à un rocher, il est plus fécond de saisir la chance que peut représenter pour l’innovation littéraire ces données nouvelles que le peuple fait émerger. Non pas qu’il faille se forcer à tout prix à parler comme le peuple, mais s’il se trouve que le parler populaire peut avoir un charme intrinsèque qui ne demande qu’à être mis en valeur littérairement et / ou musicalement, pourquoi s’en priver ? Régulièrement, des artistes osent briser les tabous linguistiques et offrir une dignité au langage tel qu’ils l’ont pratiqué et non tel qu’on le leur a appris à l’école : Pierre Perret est résolument de ceux-là, même si son « grand frère » Georges Brassens avait déjà défriché le terrain pour lui ; l’ami Pierrot n’en a pas moins marqué l’histoire de la chanson française en y introduisant un courant d’air frais, tel Aristide Bruant avant lui.

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Mais attention ! Même si Pierre Perret est un anti-académisme déclaré, sa posture n’a rien de celle d’un combattant ! Sa démarche a toujours été spontanée, presque naturelle : il n’a pas cherché à déclencher une révolution artistique, il a simplement remis les pendules à l’heure, rappelant que la poésie n’est pas là où une autorité a dit qu’elle doit être mais là où l’artiste sait la trouver, d’où le dénominateur commun à toutes ses chansons : la tendresse. Jamais, à aucun moment, il n’est agressif envers qui que ce soit, jamais il ne cherche à choquer ; il ne se moque jamais vraiment des personnages plus ou moins ridicules qu’il présente, les « héros » de chansons telles que « Olga » ou « Estelle » sont finalement de pauvres types qui inspireraient presque la pitié s’ils n’étaient pas si bouffons ; même ses chansons paillardes, qui contribuent aux trois quarts de sa réputation, ne sont jamais vulgaires : il les interprète toujours avec plus de gourmandise que de malice et, à moins d’être un puritain achevé, on est davantage impressionné par son inventivité lexicale pour suggérer avec humour les plaisirs sexuels que par son éventuelle impudeur. Quant à ses chansons plus « engagées », qui sont la marque de sa maturité, elles témoignent moins d’une colère que d’une douleur morale face aux scandales qui agitent ce pauvre monde : il a beau se dire « vert de colère », sa chanson écologiste respire moins la rage du militant que la détresse de l’amoureux de la nature, il est plus provoqué que provocateur, il est une sorte d’« honnête homme » du XXe siècle, sans message, sans méchanceté, il n’aurait pour lui, au cœur du combat politique, tel Joseph Grand dans La Peste de Camus, « qu’un peu de bonté au cœur », ce qui a au moins le mérite de lui faire prendre le parti des faibles et des opprimés que la « nouvelle scène » a abandonnés, préférant nous beurrer la raie avec des ratiocinations sur la vie quotidienne ou des pleurnicheries sur des amourettes. Quand Orelsan traite une fille de « sale pute » et reçoit le soutien de Frédéric Mitterrand, Pierrot chante la douleur des femmes battues et même celle de la « femme grillagée », prenant ainsi le risque de se faire traiter « d’islamophobe » par les intégristes et les laïcs qui tombent dans le panneau de la propagande islamiste. Des vulgarités, de propos orduriers, des provocations dans l’œuvre de Pierre Perret ? Il faut vraiment chercher ! Il a introduit un courant d’air frais dans la chanson française et il continue aujourd’hui à rendre l’atmosphère moins irrespirable, il nous renvoie aux fondamentaux de l’humanisme, le lavant littéralement de tout le dépôt que la diarrhée des maîtres à penser avait accumulée dessus…

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Le concert qu’il a donné vendredi dernier à Guipavas confirme mes dires : le public, venu nombreux applaudir le vieux poète ainsi que les enfants venus chanter avec lui sur scène, ont pu retrouver un Pierre Perret fidèle à lui-même, avec une tenue de scène irréprochable, une voix juste un peu plus chevrotante que jadis mais toujours la même joie de vivre, la même sympathie communicative, la même bonhommie… Il fallait le voir taquiner gentiment les musiciens et les spectateurs, tendre le micro aux mômes qui l’ont rejoint sur scène… Bref, il ne se monte pas du col et reste une grande gentille vedette comme les aimait Charles Trenet. Il n’ a pas encore fini de nous bercer… Kenavo, les aminches !


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