Les illustrateurs sont aussi des artistes
La BD entre enfin au Musée ? Ce n’est pas la première fois, cependant. Tintin y est déjà passé et Astérix. Et franchement, c’est logique puisqu’elle y est déjà passé par œuvres interposées : je pense à celles du Pop Art, de Lichtenstein, par exemple.
En fait, tout est passé, parce qu’on ne sait pas dire non à l’avant-garde depuis dada (début du 20e siècle), qui expose des objets « ready made » à la Duchamp : des objets industriels sur lesquels on se contente de mettre un titre et un nom. Le propre de dada était de nous confronter à des non-sens, une manière de remettre en question les valeurs des institutions savantes et du marché de l’art… qui finissent quand même par récupérer tout cela.
Après la poterie et la photographie
D’où les installations qui ont suivi après : des tas de planches exposées dans les musées si coûteux. On a aussi accueilli la photo en tant qu’art noble. Puis la poterie. Et le verre soufflé de Chihuly – qui le mérite bien. On hésite pourtant à reconnaître la valeur des illustrateurs contemporains, alors que l’on expose des gravures anciennes qui n’étaient elles-mêmes que des illustrations, ainsi que les affiches commerciales fin 19e et début 20e siècles.
Là, les gens des Beaux-Arts se sont « peinturés dans le coin », pour parler en image de comics dans les journaux. Et c’est dans cette logique que la BD s’expose au Musée, à l’occasion du 15e anniversaire des éditions La Pastèque. L’idée est de juxtaposer le travail de 15 bédéistes et les œuvres du Musée desquelles ils se sont inspirés.
Parmi les différents pairages, celui de Michel Rabagliati – le père de la série Paul, le héros principal de La Pastèque – avec une toile de Miró est le plus réussi. Un personnage nommé Javier colle une grande affiche sur un mur de Barcelone : on y annonce des sardinas. Ensuite, tous les carrés qui la composent partent au vent. Il n’en reste qu’un. Un marchand d’art qui passe s’extasie devant cette œuvre et l’expose dans sa galerie : ce morceau correspond exactement à la toile de Miró (que l’on peut voir exposé sur le mur d’en-face). Javier, le colleur d’affiche, est promu artiste malgré lui et il semble en avoir honte. Un clin d’œil aux dessinateurs qui se moquaient de l’art abstrait autrefois dans les journaux, le tout en harmonie avec le côté rétro des dessins de Rabagliati. Un voyage dans le temps, en quelque sorte. Délicieux.
C’est ce que j’ai préféré de cette petite exposition, même s’il y a aussi d’autres belles choses à voir. Comme les vues du port de Montréal depuis les villages amérindiens jusqu’à maintenant, juxtaposées à une gravure de Marc-Aurèle Fortin : une vue du port avec le pont Jacques-Cartier en construction.
À voir, quand même. Surtout que l’entrée est gratuite pour cette exposition.
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Mon frère est né un 9 novembre, comme aujourd’hui. Permettez que je lui dédie ce billet, puisque nous partagions tous les deux l’amour de la peinture et du dessin, depuis notre petite enfance et jusqu’à son départ pour cause de maladie en 1982. — N.C.