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Nelson Cavaquinho - Le Baudelaire de la samba

Publié le 10 décembre 2013 par Boebis @bonjoursamba

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"Retire ton sourire du chemin / Car je veux passer avec ma douleur / Aujourd’hui pour toi je suis une épine / Mais une épine ne blesse pas la fleur" (A flor e o espinho)

Ces vers, parmi les plus célèbres de la samba sont de Nelson Cavaquinho et son partenaire Guilherme de Brito. Deux sambistas qui ont élevé au rang d’art une forme particulière de la samba. Non pas celle qu’on reprend en chœur au carnaval ou dans une roda de samba, mais celle qu’on chante au bistrot un verre à la main. Une samba parfois appelée “dor de cotovelo” (douleur de coude) en référence à celle qu’on attrape à force d’être accoudé au bar. Cette samba c’est le fruit de la vie de Nelson Cavaquinho, poète fragile et tourmenté, mais aussi fêtard invétéré et amoureux passionné.

Nelson Antônio da Silva, naît en 1911 à Rio de Janeiro d’une mère laveuse dans un couvent et d’un père policier, qui joue du tuba dans l’orchestre de la police municipale. Enfant, Nelson contracte la grippe espagnole et doit bientôt quitter l’école primaire pour aider sa famille en travaillant dans une fabrique de tissue puis comme assistant électricien. Mais la musique l’attire et déjà il s’aventure dans les rodas de choro. C’est là qu’il rencontre des musiciens tels que Edgar Flauta da Gávea, Heitor dos Prazeres, Mazinho do Bandolim, Juquinha, avec qui il apprend le cavaquinho. Un instrument dont il tire son surnom mais qu’il abandonnera plus tard au contact des sambistas pour la guitare. Il en faut peu pour que Nelson quitte son emploi d’électricien pour tenter la vie d’artiste. Mais les responsabilités le rattrapent quand à 20 ans, il doit épouser la jeune fille qu’il fréquente – après une convocation au poste de police par le père de la demoiselle! –. Père de famille et sans emploi, il demande alors de l’aide à son père qui le fait entrer dans la police montée.

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Mais Nelson Cavaquinho n’était sans doute pas fait pour une vie rangée. Car le destin voulu qu’il soit affecté à surveiller les morros de Mangueira. Là justement où Cartola, Carlos Cachaça, Zé com Fome et toute la fine fleur de la samba révolutionnaient en catimini la musique brésilienne. Les rondes policières se transforment alors pour lui en rodas de samba et les marginaux qu’il devait surveiller deviennent ses meilleurs amis. Une anecdote raconte que le jour où il rencontra Cartola, ils parlèrent tant et si bien, qu’au moment de rentrer, son cheval avait disparu. L’animal était fort heureusement rentré tout seul au commissariat où il attendait sagement Nelson. Mais les absences et les frasques du policier-sambista ne passent cependant pas et après des passages répétés au cachot il finit par être renvoyé de la police. Vers la même époque il quitte femme et enfants et se replonge à nouveau à corps perdu dans la vie nocturne de Rio.

Vrai malandro, on le retrouve dans tous les coins de la Cidade Maravilhosa où il y a de la samba et à boire. Tout pour la musique et les passions, il préfère vivre comme un quasi-vagabond que se résoudre à un boulot alimentaire comme beaucoup de ses amis musiciens aux marges de l’industrie musicale. C’est à cette époque qu’il rencontre son second grand amour, une certaine Ligia, une marginale, sans doute prostituée, dont il gardera un tatouage à son nom. Nelson Cavaquinho vit alors en vendant la paternité de ses sambas, contre un peu d’argent à des musiciens moins doués voire à des non-musiciens qui veulent se faire mousser. Une anecdote raconte que Nelson Cavaquinho avait composé une chanson avec Cartola. Mais leur collaboration fit long feu quand Cartola découvrit que Nelson s’était dépêché de vendre la paternité de la samba sans l’avertir ni même lui reverser sa part...

C’est à cette époque que Nelson Cavaquinho développe son style unique, sincère et sans artifices. Une voix rauque, plaintive, bien éloignée des canons esthétiques de l’époque. Un jeu de guitare avec seulement le pouce et l’index, technique tout à fait inhabituelle qui attirera les éloges plus tard du guitariste classique Turibio santos et de Paulinho da Viola. Et des paroles de chansons, les plus noires et tristes qui aient été chantée sur un rythme de samba dont les belles sont écrites avec Guilherme de Brito, son partenaire le plus fidèle qui restera toujours dans son ombre. 

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Chez Nelson Cavaquinho, tous les morceaux sont traversés par la conscience aigüe de la mort. Sa propre mort qu’il sent venir (Degraus da vida, Folhas Secas). Jusqu’aux fleurs, qu’il imagine lui dire “profite de la vie, car nous embellirons ta fin” (eu e as flores). Même pour rendre hommage à l’école de samba et au quartier de son cœur, Mangueira, Nelson ne trouve rien de mieux que chanter qu’elle sait pleurer les poètes (Pranto de Poeta, qui sera repris par Cartola). Nelson chante aussi la mort des illusions et des espérances. L’amour qui n’apporte qu'amertume (Mulher sem alma), abandon (Pode Sorrir, Aceito teu adeus) et trahison des amis (Noticia). Faiblesse de lui-même aussi, cédant devant les tentations du carnaval (Vou partir). C’est aussi la solitude brulante (Sempre só), les rires qui cachent la peine (Não é só você). Une philosophie où pour être heureux il faut apprendre à savoir souffrir (Deus Não Me Esqueceu, Rugas) et n’espérer l’amour éternel que le jour du jugement dernier (Juizo final).

C’est ainsi qu’il traverse les années 40, 50 jusqu'au milieu des années 60, creusant son sillon à l’écart des modes et du succès dans un Brésil qui ne vibre guère plus au son de la samba qu’au moment du carnaval. Certaines de ses chansons sont néanmoins enregistrées par des chanteurs de Radio, Cyro Monteiro, Roberto Silva ou Elizeth Cardoso en particulier, mais sans rencontrer beaucoup d’échos. Ce n’est qu’avec le retour sur le devant de la scène de la samba qu’il franchit enfin les frontières de la bohème carioca. C’est d’abord les premiers concerts au club Zicartola de Cartola nouvellement créé, puis les premiers enregistrements de ses chansons par la nouvelle garde, Nara Leão, Thelma Soares et par la bien établie Elizeth Cardoso.

Changement d’époque, Nelson a enfin l’opportunité d’enregistrer lui même ses chansons. Une discographie courte mais impécable qui rassemble seulement la crème des 600 chansons qu’il aurait écrite, mais dont les deux-tiers ont été perdue. C’est d’abord un premier album en 1970 « Depoimento do poeta qui passe complètement inaperçu mais où rayonne enfin pour la première fois sur un album entier sa voix et ses compositions. Suit un album sur RCA en 1972 et enfin un dernier disque sur Odeon en 1973, sans aucun doute son plus bel enregistrement. Un disque produit par Pelão qui allait se charger peu après des premiers albums d’Adoniran Barbosa et de Cartola. Deux participations à des compilations viennent compléter sa maigre discographie, une sur Roda de samba n°2 et une autre sur l’album essentiel Quatros grandes sambistas aux côtés de Candeia, Elton Medeiros et son plus fidèle partenaire, Guilherme de Brito. Nelson Cavaquinho est à partir de là enregistré par tous ceux qui aiment la samba. Beth Carvalho, Clara Nunes, Chico Buarque, Paulinho da Viola, João Bosco, Toquinho, Elis Regina, Cristina Buarque, l'interpréteront tous, notamment dans un album hommage qui parait 1985, un an avant sa mort qu'il aura tant chanté.

Nelson Cavaquinho reste aujourd’hui une référence incontournable, pour tous les amateurs et musiciens de samba qui font vivre ce patrimoine. Mais aussi et surtout pour ceux comme Kiko Dinucci ou Romulo Froes continuent à renouveler le genre en marge, suivant en cela les traces du Roi Vagabond comme il se définissait lui même: “J’ai consolé mon coeur si marqué / en me remémorant les luttes du passé/  Je suis tombé dans les recoins de cette vie /  Chacun apporte sa douleur, sa blessure / Les nuits j’ai erré / Mais chaque amour m’a fait roi / Un roi vagabond / Un poète sans loi / Je n’ai pas vécu en vain / J’ai eu beaucoup d’amis et tant de frères / Même la peine ne peut faire taire ma guitare." (Rei Vadio)

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Voici une playlist avec les trois principaux albums de Nelson à la suite. Je vous invite également à regarder le beau et court film que lui a consacré le cinéaste brésilien Leon Hirzman en 1969.


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