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La vérité chez Nietzsche

Publié le 13 décembre 2013 par Joseleroy
13 décembre 2013

Lisons ce texte de Nietzsche :

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« L’évaluation de valeur : « Je crois que telle chose est ainsi » considérée comme essence de la « vérité »". Dans les évaluations s’expriment des conditions de conservation et de croissance. Tous nos organes de la connaissance et des sens sont seulement développés par rapport à des conditions de conservation et de croissance. La confiance en la raison et ses catégories, en la dialectique, donc l’ évaluation de la logique, démontre seulement l’utilité de celle-ci pour la vie, utilité déjà démontrée par l’expérience : et non point sa « vérité ».

 Qu’il faut qu’une quantité de croyance existe ; qu’il faut que l’on puisse juger ; que le doute à l’égard des valeurs essentielles fasse défaut : - ce sont les conditions premières de tout ce qui est vivant et de la vie de tout ce qui est vivant. Donc, il est nécessaire que quelque chose soit tenu pour vrai, - mais il n’est nullement nécessaire que cela soit vrai.

 « Le monde-vérité et le monde-apparence » -, cette antinomie est ramenée par moi à des rapports de valeurs. Nous avons projeté nos conditions de conservation comme des attributs de l’être en général. Du fait que, pour prospérer, il nous faut de la stabilité dans notre croyance, nous sommes arrivés à affirmer que le monde-« vérité » n’est point muable et fluctuant dans le devenir, mais qu’il est l’être. » Nietzsche, La volonté de puissance

Le point de départ de Nietzsche est le scepticisme pour lequel il dira son admiration à la fin de sa vie: « Je mets à part quelques sceptiques - le seul type convenable dans toute l'histoire de la philosophie - : mais les autres ignorent les exigences élémentaires de la probité intellectuelle. » (Antéchrist. §12)

Le scepticisme met en doute la vérité même et Nietzsche sur ce point le rejoint ; mais sa critique est originale dans la mesure où il présente la vérité comme « une erreur utile ».

« La vérité est une sorte d’erreur, faute de laquelle une certaine espèce d’êtres vivants ne pourraient vivre. Ce qui décide en dernier ressort, c’est sa valeur pour la vie » La volonté de puissance.

Autrement dit, les êtres vivants ne peuvent vivre et se conserver qu’à la condition de tenir pour vraies un certain nombre de choses. C’est également vrai pour les hommes. Nos sens et les catégories de notre raison construisent dans le réel ce qui nous est utile. « Nous ne voyons pas dans la fausseté d’un jugement une objection contre ce jugement ; c’est là, peut-être, que notre nouveau langage paraîtra le plus déroutant. La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l’espèce, voire à l’améliorer » Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 4

« L’homme ne pourrait pas vivre sans se rallier aux fictions de la logique, sans rapporter la réalité au monde purement imaginaire de l’absolu et de l’identique, sans fausser continuellement le monde en y introduisant le nombre. Car renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie même, équivaudrait à nier la vie. » Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 4

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En effet, le réel est un flux, un devenir, un chaos informe et informulable ; aucune chose n’est identique à elle-même, aucune chose même n’existe véritablement en tant qu’être.

Or dans ce chaos, nous avons besoin d’y reconnaitre des formes (un animal, un arbre) et pour cela nos facultés sensibles et rationnelles organisent ce réel, le simplifient, et nous le rendent connaissable. Les catégories de la logique comme l’être, l’identité, la substance, la permanence, permettent à l’homme de reconnaître parmi le divers (le chaos) des phénomènes sensibles des points d’appui pour orienter son action. Grâce à la connaissance, l’homme ramène ainsi le nouveau à ce qui est déjà connu. Nous avons donc besoin de vérité : « Donc, il est nécessaire que quelque chose soit tenu pour vrai, - mais il n’est nullement nécessaire que cela soit vrai. » (voir le texte)

La confiance dans le vrai est nécessaire mais non pas le vrai. Cette falsification est au service de la volonté de vie, de puissance. «Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont ».  Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral.

Mais la volonté de puissance qui produit la volonté de connaitre peut aussi se corrompre et se tourner contre elle-même si au nom de la vérité on en vient à refuser le monde des apparences lui-même. Ce monde vrai inventé (comme chez Platon par exemple pour Nietzsche) devient un monde en soi, transcendant, réel et se retourne contre les apparences décrétées fausses et mauvaises. Se met alors en place « des arrières mondes » des doubles de la réalité à travers la métaphysique notamment ou la religion. Ce qui n’était qu’un outil au service de la vie (la vérité falsificatrice) devient ainsi un ennemi de la vie (le monde vrai contre le monde des apparences).

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Dès lors la philosophie en opposant monde des apparences et monde des vérités cristallise un dualisme imaginaire et pour Nietzsche mortifère. La logique est une bonne illusion esthétique, si elle reste subordonnée à la vie et à son mouvement, mais elle devient un poison mortel si on en fait un absolu. Comme le dit Jean Grenier (Encyclopédie universalis art : Nietzsche ):

« L’“être” de la métaphysique est ainsi, en priorité, caractérisé par l’idée de la transcendance. Il correspond à la position d’un “arrière-monde” ( Hinterwelt ) doté des attributs que la pensée réclame d’un absolu qu’elle veut préserver de la contamination sensible: l’“être” transcendant est la Réalité stable, identique à soi, permanente, éternelle, qui ignore donc le changement, la destruction, le devenir, la lutte, la douleur, bref tout ce qui, dans le monde de l’expérience, suscite l’angoisse humaine. La transcendance est solidaire d’un clivage, par quoi une pensée opiniâtrement dualiste (une pensée qui se cramponne à “l’antinomie des valeurs”) disjoint le bien et le mal, le positif et le négatif, la beauté et la laideur, le vrai et le faux. L’“être” ainsi déterminé est  substance. Aux yeux de Nietzsche, c’est donc la notion de substance qui résume la compréhension que les philosophes ont eue de l’“être”, depuis l’Un de Parménide jusqu’à l’Absolu-Identité de Schelling, en passant par l’Idée platonicienne, l’ousia d’Aristote, la res cartésienne, la  substantia spinoziste, la “chose en soi” kantienne. On construit justement l’arrière-monde idéal en projetant au-delà de la réalité sensible l’idée de la substance: “L’homme projette son impulsion à la vérité, son but, en quelque sorte hors de soi pour en faire un monde de l’ être , un monde métaphysique, une “chose en soi”, un monde déjà existant” (XVI, 57). »

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Pour échapper à cette menace du monde de l’être et de la logique et de la vérité, l’homme a inventé l’art, ce culte de l’apparence : “Nous avons l’art, dit Nietzsche, afin de ne pas mourir de la vérité ” (XVI, 248).

Il s'agit donc de vivre en artiste, d'accepter le monde des apparences comeme un absolu et de consentir joyeusement au devenir et d'y créer des fictions utiles à la volonté de puissance.

jlr


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