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Moïra par John C. Patrick

Par Livresque Du Noir @LivresqueduNoir

Ce roman a été commencé au cours d’un été de la fin du XXe siècle. Pour diverses raisons, j’ai arrêté l’écriture de ce roman et il a dormi jusqu’en 2010, date à laquelle les éditions Kyklos
ont accepté le manuscrit du Crépuscule des hyènes. C’est alors que j’ai repris l’écriture du roman qui avait déjà un titre : Moïra.
Avant d’évoquer le contenu du roman, je tiens à revenir sur les raisons qui m’incitent à écrire
de tels ouvrages de fiction dans lesquels l’espionnage est un fil conducteur.
La première tient au fait que j’ai enseigné l’Histoire pendant pratiquement quarante ans. J’ai
la faiblesse de croire – je ne suis pas le seul – qu’il existe deux Histoires. L’une, officielle, est
celle des manuels. L’autre, plus sulfureuse, confidentielle, implique les agissements d’acteurs
appartenant à un monde de l’ombre où les services secrets se livrent une guerre impitoyable.
J’ai toujours fait mienne une phrase de M. Chalet qui fut directeur de la DST : Il m’est arrivé
de rêver à ce qui resterait de la version officielle d’un certain nombre d’événements vécus au
cours des cinquante dernières années si on y intégrait les produits de quelques opérations de
contre-espionnage et les réflexions auxquelles elles ont conduit. Heureusement, au fil du
temps, les secrets finissent par être dévoilés, même s’il reste de vastes pans obscurs.
La seconde est littéraire. La lecture du roman de F. Forthye, Chacal, fut le révélateur.
L’auteur mêlait intimement la réalité et la fiction et je rêvais de faire un travail similaire.
Depuis ce sont toujours les auteurs anglo-saxons qui restent pour moi une référence (Grady,
Winslow, Littell , Ellroy…)
Avec ce nouveau roman, j’ai l’ambition de revenir sur des épisodes de la fin de la IVe
République et le début de la Ve. Tout le monde sait que la Ve République est née des
soubresauts de la guerre d’Algérie. Cet épisode fondateur est connu, dans ses grandes phases,
du grand public, mais un certain nombre de faits et d’événements sont restés longtemps
ignorés ou occultés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Dans Moïra, les personnages fictifs côtoient des individus réels qui, à l’époque, ont joué un
rôle primordial dans le déroulement de cette guerre qui n’osait pas dire son nom.
Ce roman est une relecture de la période 1954-1963 qui privilégie l’action menée par les
services secrets français dans le cadre du conflit.
C’est ainsi qu’il aborde des faits peu connus : l’opération « Oiseau bleu », la « bleuite », la
lutte impitoyable des agents du service Action contre les trafiquants d’armes alimentant le
FLN, l’affaire « Si Salah », qui vit le général de Gaulle recevoir nuitamment des chefs de la
wilaya III à Paris un soir de juin 1960, le massacre de Melouza, les attentats de l’OAS et leur
lutte contre les barbouzes, le début du massacre des harkis, les tentatives d’assassinat du chef
de l’État, les multiples complots à l’origine du retour du général de Gaulle au pouvoir…
Sans déflorer le sujet, je puis dire que le personnage principal, qui démantèle un réseau de
« traite des blanches », rencontrera sur sa route un curieux tueur qui jouera un rôle dans
l’assassinat de Kennedy, et participera à la traque de taupes soviétiques infiltrées au sein de la
société française.
Un débat tend à opposer les auteurs de roman policier sur la question de la crédibilité.
Je ne suis pas partisan du principe de la suspension d’incrédulité de Coleridge qui veut que le
lecteur, le temps de sa lecture, suspende son esprit critique. J’essaie de coller au plus près de
la réalité et de rendre crédibles les actions de mes personnages. Au lecteur de dire si j’y
parviens.
Je déteste les romans policiers manichéens, avec des héros très improbables, mais pétris de
bons sentiments, comme notre époque l’exige. (Oui, j’ai des noms en tête, bien français,
comme il se doit !)
Non, le monde n’est pas blanc ou noir ! La phrase de Romain Gary : Le blanc et le noir, il y
en a marre. Le gris, il n’y a que ça d’humain, mise en exergue du roman, le rappelle justement
et évoque une pensée similaire d’un certain Mitterrand, bien placé pour l’affirmer, qui disait la
même chose. La couleur est grise.
Mes personnages vivent à une certaine période de l’Histoire et ils font des choix, comme
nous ! Notre époque qui se veut vertueuse n’hésite pas à condamner les agissements des
acteurs des décennies passées. Les sicaires de Cordicopolis (Merci, Philippe Muray), affligés
de cette maladie maniaco-législative, vouent aux gémonies les acteurs français de ces années
dramatiques.
Non, notre époque n’est pas plus vertueuse ! Non, les salauds ne se retrouvent pas dans un
seul camp ! Quand j’écris un roman, dans lequel la fiction se mêle à la réalité, j’essaie de ne
pas mettre les lunettes déformantes d’aujourd’hui. J’applique dans un roman un principe de
vie (Pierre Hadot parle d’exercice spirituel), qui s’appelle le « regard d’en haut » ou « point
de vue de Sirius ». Je regarde, comme un entomologiste, vivre ces fourmis que sont les
hommes. Je ne juge pas. Quand je reviens à notre époque, je fais aussi des choix, comme
chacun. Ils restent personnels et je n’ai pas à les exposer dans un roman. Il est évident que si
j’avais vécu en adulte la période évoquée dans Moïra, j’aurais fait des choix. Auraient-ils
été différents de ceux d’aujourd’hui quand je réfléchis à ces événements passés ? Je suis
incapable de répondre à cette question.
Comme pour les romans précédents, je souhaite que le lecteur puisse s’évader, grâce à la
fiction, et, peut-être, s’interroger sur cette période de notre Histoire qui a laissé chez beaucoup
d’entre-nous des traces cruelles et indélébiles.


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