Magazine Beaux Arts

SALLE 5 - VITRINE 6, CÔTÉ NORD : 5. SCÈNES DE BOULANGERIE (E 17499 et E 13481 ter)

Publié le 17 décembre 2013 par Rl1948

     La surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d’éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s’est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux – sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l’on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœur siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ses fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable…

     Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

Francis PONGE

 Le Pain

dans Parti-pris des choses 

Paris, Gallimard, 1942,

p. 39 

     Si les murs de nombreuses tombes égyptiennes, mastabas d'Ancien Empire comme hypogées du Nouvel Empire, qui font état des phases successives de la production de céréales - souvenez-vous, amis visiteurs, de certains des fragments peints de la chapelle d'Ounsou que nous avions admirés voici 5 ans dans les deux vitrines 3 de la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre -, nous intéressent tant ; si différents outils agricoles exposés dans la vitrine 10 de la même salle ont, le 28 avril 2009, retenu notre attention ; si quelques-uns des modèles que nous avions croisés le mois suivant - je pense notamment à la scène de labour de la vitrine 11 -, nous ont interpellés, c'est parce que toutes ces manifestations de l'art égyptien nous permettent de non seulement nous familiariser avec le travail du paysan (semailles, moissons, etc.) mais également de comprendre la finalité première de cet immense labeur : produire, à partir des céréales récoltées,  pains et bières nécessaires à toute vie dans l'Au-delà, à l'instar de celle ici-bas, que ce soit celle du souverain, de sa famille et des fonctionnaires qui gravitent dans cet entourage privilégié ou celle de paysans, d'ouvriers ou d'artisans sans lesquels cette élite n'aurait jamais pu subsister.

     Ce matin, c'est à deux bas-reliefs accrochés l'un en dessous de l'autre sur la gauche du panneau central de la partie Nord de la vitrine 6 de la salle 5, que je vous propose de nous intéresser. 

Vitrine-6--Face-Nord---Gros-plan-des-bas-reliefs-.jpg

      (Merci à SAS pour la photo de ce côté de la vitrine 6 qu'elle avait prise à mon intention en mars dernier et à partir de laquelle je me suis permis d'en extraire ce seul gros plan des deux bas-reliefs.) 

     Découvrons, voulez-vous, le premier d'entre eux.

     Il s'agit d'un bloc de calcaire peint, (E 17499), au relief fort peu prononcé, que j'estime être de forme approximativement carrée mais qui, selon la notice de Madame Christiane Ziegler, page 292 du catalogue référencé ci-dessous, mesurerait 13,3 centimètres de haut et 38,5 de longueur.

     Pour ce qui concerne la hauteur, m'est avis qu'il faudrait plutôt lire 33,3 centimètres !

E-17499---Scene-de-boulangerie.jpg

     Ce fragment qui, selon les assertions de son vendeur, proviendrait d'une paroi d'un mastaba de Saqqarah, fut acquis au Caire en 1951. Il date vraisemblablement de la seconde moitié de la Vème dynastie, voire du commencement de la VIème.

     Vous aurez d'emblée remarqué sa particularité : bien que vieux de quelque quatre millénaires et demi, il nous est parvenu avec de substantielles traces de couleurs : du bleu pour certains hiéroglyphes, de l'ocre pour d'autres ; de l'ocre brun rouge pour les chaires des deux personnages ; du blanc pour leur pagne ; un mélange d'ocre et de blanc de plâtre pour le chaudron ; de l'ocre orangé pour les pierres sur lequel il a été posé et les flammes allumées entre elles, ainsi que pour les moules à pain partiellement visibles sur la partie gauche, mutilée suite à l'arrachage par les vandales.

     Sans oublier le gris de la vannerie des paniers encore décelables au registre supérieur

     Immédiatement en dessous, un second relief, (E 13481 ter), ne peut lui aussi que susciter notre intérêt,

E 13481 ter

à tout le moins les deux sous registres de sa portion droite, les porteurs d'offrandes occupant la gauche n'ayant aucune incidence sur la teneur de mes propos futurs.

     Permettez-moi une simple petite remarque au sujet de ce monument : si un thème précis en distingue les deux parties, force est de constater, - sans être à même d'avancer une explication plausible, sauf à envisager l'apport d'artistes distincts -, que la facture de chacune d'elles se révèle également très différente : soignée, détaillée apparaît la théorie des prêtres funéraires et du personnel des cuisines, ainsi que les nomment les hiéroglyphes dominant l'ensemble, qui, les bras chargés de victuailles, s'avancent indiscutablement vers le propriétaire de la tombe dont nous a privés la cassure des pillards, alors que bien plus sommaire s'avère la scène de boulangerie de droite.  

     Ce bloc de calcaire de 35 centimètres de hauteur, 86 de longueur et 11 d'épaisseur datant de la VIème dynastie ou du début de la Première Période intermédiaire (P.P.I.) connut bien des péripéties avant d'aboutir au Louvre en janvier 1907.

     De provenance totalement inconnue, il fut rapporté du Caire quelque 150 ans plus tôt, - vers 1750 probablement -, par un capitaine de vaisseau anglais. Ensuite, celui-ci le vendit à un certain Majors, un compatriote, graveur et collectionneur. A son tour, ce dernier s'en départit, en juin 1764, au profit du célèbre antiquaire français Anne-Claude Philippe de Tubinières de Grimoard de Pestels de Lévis, - cela ne s'invente pas ! -, marquis d'Esternay et baron de Branzac, plus connu sous le nom de comte de Caylus.

     Peu avant son décès en 1765, Caylus l'offrit avec la plupart des pièces de sa collection d'antiquités égyptiennes au Cabinet du roi Louis XV, devenu ensuite Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale.

     Enfin, comme d'autres monuments égyptiens de la BnF, cette pièce quitta le Quadrilatère Richelieu pour entrer au Louvre au début du XXème siècle où, vous et moi, amis visiteurs du XXIème, allons apprendre à la découvrir ...

     Qu'effectuent toutes ces personnes ? Que nous indiquent ces deux reliefs sur les étapes des tâches qui sont leurs ?

     C'est ce que je me propose de vous faire découvrir lors de notre prochaine rencontre que, vacances scolaires obligent, je vous fixe au mardi 7 janvier 2014, ici, devant la vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.

     Mais d'ores et déjà, à toutes et tous, je souhaite la plus belle fin d'année qu'il vous sera possible ...

     Richard

(Tallet : 2003, passim ; Ziegler : 1990, 292-7


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