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madame aime les gateaux ...et les hommes !

Publié le 18 décembre 2013 par Dubruel

Elle ne recevait que des hommes supérieurs. Etre reçu chez elle, constituait un honneur. Son mari, féru d’agriculture, Ne jouait qu’un rôle de satellite obscur. Pourtant ce mari-là Eut l’idée de créer un état dans l’état. Sa femme recevait. Lui aussi recevrait. Ses amis venaient Les jours où sa femme invitait De sorte qu’on se mêlait. Ou plutôt non, on formait Deux groupes distincts. Madame Anseur et ses académiciens Occupaient le salon Régence. Monsieur se retirait au fumoir Avec ses connaissances. Ironiquement et par caricature, Mme Anseur appelait le fumoir : ‘’Le salon de l’agriculture’’ Les élites du salon dédaignaient Les agriculteurs jugés trop niais. Les réceptions s’effectuaient sans frais : Une brioche et du thé. Voilà tout. Monsieur eut préféré de beaucoup Deux brioches : une pour le salon, Une autre pour le fumoir. Mais madame fit une juste observation. Cette manière de voir Indiquerait trop clairement Deux réceptions. Deux clans. Monsieur n’avait pas insisté. Un seul gâteau sera donc apporté. Mme Anseur en réservait les honneurs À son académie Et passait ensuite la pâtisserie Aux agriculteurs. Or ce gâteau, Fut bientôt Le sujet d’une particulière attention : La maitresse de maison Demandait à l’un des invités du salon. D’être le découpeur. Cette mission représentait un honneur : La fonction entrainait de la supériorité, Une sorte de royauté. Le sceptre était le couteau, L’emblème était le gâteau. Le découpeur régnant était remarqué À ses attentions marquées Envers la maîtresse de maison. On appelait l’heureux élu du salon : ‘’Le favori du gâteau brioché.’’ Lorsqu’il était délaissé, Montait dans l’académie Une certaine nervosité. …Puis le nouveau découpeur était félicité. Aucun laboureur, Pas même monsieur N’eut droit au privilège de favori. La brioche fut découpée par une série De poètes, de musiciens, de présidents… Qui se chargeaient de calculer Les portions pendant quelque temps. Quand l’un d’eux était déconsidéré, Il devait passer le couteau Au soupirant nouveau Et réintégrer la foule des admirateurs De la ‘’belle madame Anseur’’. Cet état de choses dura longtemps, Longtemps. Mais les comètes palissent, Perdent de l’éclat, vieillissent. De fait, l’empressement Des découpeurs diminua, forcément. Mme Anseur avait beau manifester Politesses et amabilités, On coupait désormais à regret. On conservait la charge contre son gré. Puis les élus devinrent rares, De plus en plus rares. Une fois, ô prodige, ce fût M. Anseur Qui ouvrit le gâteau baladeur. Mais comme il s’est vite lassé, L’on vit Mme Anseur, blasée, Découper elle-même. Puis elle contraint un invité, - Un pénultième ? - Qui n’osa pas se rétracter. Le symbole étant connu de tous, On se regardait en-dessous Avec des yeux de pharisiens. Couper la brioche n’était rien Mais les privilèges qui y étaient liés, Maintenant épouvantaient. Dès que le plateau apparaissait, Les académiciens passaient Dans le fumoir se mettre à l’abri Derrière le mari Qui riait tant et plus. Les années passèrent. Personne ne découpa plus. Or un soir, un homme s’est proposé. De la brioche, il ignorait le mystère. -«Vous acceptez de découper ? » -« C’est avec le plus grand plaisir. Je suis ravi de l’honneur de participer. » L’époux, surpris, se mit à sourire. L’assistance s’étonnait. Le jeune homme ne comprenait Ni les gracieusetés discrètes Ni l’espoir de reconnaissance muette Que témoignait la maitresse de la maison À son attention. La fois suivante, il eut l’air préoccupé. Il regardait l’assemblée huppée Et comprit quand sonna l’heure du thé. Mme Anseur, folle de gaité, Saisit le plat, chercha des yeux son jeune ami. Mais il était parti… Au fond du fumoir. Elle tenta une approche -« Mon cher monsieur, lui dit-elle, Voulez-vous découper cette brioche ? » Il balbutia et rougit jusqu’aux oreilles. Alors, pris de pitié, monsieur Anseur Se tourna vers madame Anseur : -« Voudrais-tu, charmante créature Ne point nous interrompre, Quand nous causons agriculture. » Désormais, Personne n’est jamais plus invité À rompre La brioche de malheur De Madame Anseur.

(d'après "le gâteau" de Maupassant)


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