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En finir avec l’angélisme pénal (Alain Laurent) : pour en finir avec la culture de l’excuse

Publié le 21 décembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Analyse

En finir avec l’angélisme pénal (Alain Laurent) : pour en finir avec la culture de l’excuse

Publié Par Johan Rivalland, le 21 décembre 2013 dans Lecture

L’angélisme pénal est en train de miner de plus en plus notre société. Par lâcheté, mais aussi par l’œuvre d’un petit nombre d’idéologues qui exercent une influence inquiétante sur nos politiques. Un sujet brûlant d’actualité, absolument fondamental car aux sources de nos libertés, traité avec recul par Alain Laurent.

Par Johan Rivalland.

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Excellente initiative, de la part d’Alain Laurent, que de s’attaquer à un sujet devenu si important et s’étant installé au devant de la scène en raison des troubles causés par le laxisme en matière de sécurité, justice et respect de la loi, jusqu’à mettre en danger la liberté des individus, qui passe en premier lieu par la sûreté et le respect de son intégrité physique.

D’entrée de jeu, dès le préambule, j’ai apprécié la citation de Jean-François Revel, qui écrivait déjà en 2002 : « Tous ces professeurs mettent ainsi en lumière le lien de cause à effet mutuel entre l’idéologie antiéducative et l’idéologie antisécuritaire qui, en vingt ans, ont, par leur action conjuguée, plongé la France dans l’anarchie où elle se convulse. […] Comment et pourquoi tous les délinquants et criminels, scolaires ou ordinaires, respectent-ils la loi, puisque l’incitation à la violer leur vient de notre classe politique elle-même ? »

De même que l’on peut apprécier, par la suite, le recours aux grands penseurs libéraux classiques (John Locke, Emmanuel Kant, Wilhelm von Humboldt, Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville, John Stuart Mill) pour tenter d’analyser cette situation au regard de leurs observations.

Le constat

Remises de peine, remises en liberté pour vice de procédure, peines non exécutées de plus en plus nombreuses, mineurs interpellés pour la 50ème fois et relâchés à chaque fois aussitôt par les magistrats, irresponsabilité judiciaire, autant de fléaux qui débouchent sur la multiplication de la récidive et du multirécidivisme, ainsi que sur la montée de la violence de manière générale. Et, dans le même temps, les victimes semblent de moins en moins prises en considération, devant parfois même subir durement les décisions de justice qui autorisent leurs agresseurs condamnés mais n’effectuant pas leur peine, à revenir vivre à côté de chez eux, les menaçant de nouveau.

On connaît tous, malheureusement, les trop nombreux exemples en la matière. Mais pourquoi cet état d’esprit ? s’interroge Alain Laurent. Pourquoi ce refus de punir ? Pourquoi cette compassion pour les délinquants et criminels plutôt que pour les victimes ? Pourquoi ce « politiquement correct » et cet « angélisme pénal » ? L’idéologie, malheureusement, n’est jamais bien loin. Et ce, de manière d’autant plus évidente que c’est la politique pénale elle-même qui est en cause. La prison elle-même serait criminogène ; et donc, il en serait d’autant  plus urgent de renforcer encore la « réintégration sociale », voire comme le gouvernement actuel y travaille par la voie de Christiane Taubira, supprimer au maximum le caractère punitif et promouvoir un programme anti-carcéral.

À l’inverse, on qualifiera « d’humanisme » ou de « progressisme » les idées qui entendent adoucir les peines. Toujours le jeu sur le vocabulaire, au service de l’idéologie. Et les travaux ou théories abondent, à la suite de ceux de Michel Foucault, tendant à présenter le criminel comme un objet de sollicitude et de compassion, à plaindre et entourer de soins, la Société ayant une « dette de réhabilitation » envers ces « malheureux ». Les initiatives se multiplient donc pour tenter d’adoucir le fardeau qui pèse sur ces êtres « en difficulté ». Alain Laurent nous en présente ici de multiples exemples, passant en revue un certain nombre de théories et auteurs se distinguant par leur plus ou moins grande radicalité.

Mais ce qui ressort surtout est cette inversion du rapport à la victime, celle qui l’est véritablement étant comme oubliée, dans cette histoire. « Punir » serait une hérésie et les coupables seraient ceux qui entendent en défendre l’idée. « La cruauté de la peine est aussi insupportable que la violence du crime » plaide un Thierry Pech, tandis que Denis Salas en appelle à « combattre la volonté de punir ».

Déjà, les peines ont largement été assouplies dans leur durée et leurs conditions d’application, de victoire en victoire dans ce processus de dépénalisation, ainsi que le rappellent les faits historiques que nous remémore l’auteur, où l’aspiration de certains évoluerait vers une Société de « crimes sans châtiments », selon l’expression à peine exagérée qu’il utilise. Antoine de Garapagon, entre autres, n’écrivait-il pas, par exemple, que « la séparation radicale entre les victimes et les agresseurs est une abstraction dangereuse » ?

Et, dans ce monde « postpunitif » qui se met en place, les détracteurs de « l’angélisme pénal » se voient opposer le qualificatif de « populisme pénal ». Le « sentiment d’insécurité » aurait été créé de toutes pièces, tel un « récit de l’imaginaire » alimentant une « utopie de l’insécurité », selon Denis Salas. Fi des chiffres officiels, on serait dans le fantasme et « l’idéologie victimaire », où « la victime occulte le souci du coupable ».

Vers plus de réalisme

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D’où la seconde partie, intitulée « Plaidoyer pour un réalisme pénal », se proposant de dépasser ces excès contemporains pour revenir à plus de réalisme, en s’appuyant en particulier sur les écrits des penseurs classiques. Emmanuel Kant est ainsi présenté par Frédéric Gros comme un fanatique et extrémiste, là où le philosophe allemand affirmait simplement que « punir, c’est considérer l’autre homme comme responsable et libre. C’est aussi le responsabiliser ». Alors qu’à l’inverse, ne pas le punir serait le mépriser.

Même si Alain Laurent n’approuve pas tout ce que postule Kant, il adhère au moins à ces grands principes, de même qu’à l’idée de « droit de vivre en sûreté », qui fait partie des droits individuels fondamentaux dans le cadre d’un véritable État de droit, tels que la Déclaration des droits de l’homme le stipulait dès 1789 et de même que Wilhelm Von Humboldt l’approuvait en affirmant que « sans sûreté, il n’est point de liberté », justifiant ainsi l’action de l’État en la matière. Principe auquel adhère aussi Benjamin Constant, un autre « humaniste » (en écho à ceux qui se prétendent comme tels et préconisent l’inverse).

La « libre volonté », au sens de Kant, implique la responsabilité individuelle de ses actes, s’opposant à l’idée de causalité sociale des adversaires de l’idée de punition, partisans des « excuses sociologiques ». Or, hormis dans les cas pathologiques, on ne constate aucun déterminisme à devenir délinquant dès lors qu’on a eu une enfance difficile ou vécu dans un milieu défavorisé. Alain Laurent juge d’ailleurs cette « réduction collectiviste et misérabiliste » parfaitement insultante. Aristote, déjà, dans L’Éthique à Nicomaque, estimait que « nous sommes même responsables de notre irresponsabilité » (Alain Laurent illustre ce principe à travers l’exemple de la personne en état d’ivresse qui cause une faute ; ou encore par l’idée que nul n’est censé ignorer la loi, « surtout lorsque c’est facile »). La responsabilité implique aussi d’assumer les actes passés, en ne tentant pas d’y échapper, à l’instar de la fausse conversion du tortionnaire cambodgien Douch en croyant catholique ou de l’épouse Dutroux en « sainte femme dans son couvent ».

Ce qu’il faut bien comprendre, nous dit Alain Laurent, et qui n’a rien à voir avec les discours lénifiants de ceux qu’il dénomme les « angélistes », c’est que « petits délinquants ou grands criminels, escrocs à la petite semaine ou tueurs en série, les transgresseurs violents sont d’autant plus responsables et punissables que c’est en toute connaissance de cause qu’ils ont choisi de rompre le pacte civil de non-initiation de la violence envers les autres. Et d’aller contre toutes les règles élémentaires de la moralité commune ».

Mus par ce que Kant appelle une « volonté mauvaise », et même si de profils différents, ils ont choisi en conscience « d’obtenir et jouir le plus vite possible avec un minimum d’efforts contraignants ce qui compte le plus pour eux – argent, vie facile et sexe. Aux « blaireaux » de fonder une famille, de gagner laborieusement leur vie et de devoir parfois patienter pour en profiter des fruits. Pour parvenir à leurs fins, tous les moyens sont bons (…) ». La plupart du temps, loin d’improviser, ils sont très bien organisés et disposent d’un « savoir-faire pointu ». Il s’agit « d’individus en pleine possession de tous leurs moyens sachant aussi bien calculer techniquement leur coup que le rapport entre coûts, risque et avantages ». Prêts à tuer, si besoin est, faisant peu de cas de la vie des autres, à une époque où on érige l’altruisme et la solidarité en valeurs phare et s’offusque de la notion mal comprise d’égoïsme, prise dans son seul sens péjoratif… quand le désir de toute puissance n’est pas également en jeu, la souffrance de l’autre pouvant être dans certains cas une source de satisfaction.

Davantage encore, fait notoire, « tout le monde faisant désormais grand cas de l’éthique et de la nécessaire intégration dans la vie de la cité (de la moralisation de la politique à celle de l’activité des traders et autres repreneurs d’entreprises), il n’y a aucune raison pour que l’évaluation de la délinquance et de la criminalité sur ce plan fasse exception ». Et, devant une telle absence de compassion envers la victime, comment comprendre cette culture de l’excuse ? Alain Laurent note, à juste titre, que Tocqueville s’indignait déjà : « C’est une grande cruauté pour les bons que la pitié pour les méchants ».

Un enjeu de civilisation

En définitive, Alain Laurent met en avant un « devoir de punir », qui n’a rien d’aberrant ou de choquant, mais est bien dans l’ordre des choses, comme l’avait bien déjà montré la réflexion des grands penseurs cités ci-dessus (entre autres). La punition est nécessaire, non seulement parce qu’elle est juste (elle doit, bien entendu, être proportionnée, acceptée et en aucun cas assouplie en cours de route), mais aussi parce qu’elle constitue un véritable « enjeu de civilisation », raison pour laquelle il faut en finir avec la « peur de punir » et la « culture de l’excuse ».

— Alain Laurent, En finir avec l’angélisme pénal, Les Belles Lettres, septembre 2013, 130 pages.

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