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Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)

Publié le 23 décembre 2013 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Cette très belle Maestà de Giovanni Cenni di Pepe, plus connu sous le nom de Cimabue (dont nous ne connaissons d’ailleurs pas le visage puisque l’illustration de son entrée — la première — des Vite de Giorgio Vasari n’a été composée que d’après une gravure d’époque) est conservée dans la même salle (la n°2) du Musée des Offices que la Maestà de Duccio, précédemment étudiée. La présence des deux tableaux (plus un autre que nous étudierons plus tard) n’est pas fortuite puisque ce sont des “tableaux de référence”. Référence car à la fois modèle issu des canons de la peinture byzantine et parangon de peinture pré-Renaissance ; elles sont révélatrices d’une vision momentanée de l’art, aussi bien que la référence de ce qui viendra après et qui le permettra.
Je reste persuadé qu’afin d’avoir une bonne vision des œuvres qu’on étudie, il faut avoir un minimum de connaissances sur plusieurs environnements ; d’abord la vie des artistes, ensuite l’histoire de la religion et l’histoire tout court, puis également s’intéresser aux commanditaires, et nous entrons ainsi dans une système économique dont la surface du bois peint n’est plus que l’expression ultime. Dressons le décor. Trois hommes nés à quelques années d’écart vont créer une dynamique picturale qui va faire basculer l’histoire de l’art du conservatisme byzantin à la modernité de la Renaissance.

  1. Cimabue (1240-1305)
  2. Duccio di Buoninsegna (1255-1319)
  3. Giotto di Bondone (1267-1337)

On le voit à leurs dates de naissance et mort, ils naissent tous les trois à plus ou moins dix ans d’écart et ce n’est pas un hasard qu’ils aient joué sur une telle scène et soient aussi déterminants car les trois hommes se connaissaient très bien ; en effet, les deux derniers ont été les élèves du premier. Cimabue occupe donc une place centrale qu’on a souvent du mal à lui restituer. Sur les trois, c’est Giotto qui remporte toujours les faveurs du plus grands nombres, mais j’ai toujours un peu de tristesse lorsque je constate à quel point on ne prend pas en compte l’influence des ainés, même si l’élève dépasse le maître. On devrait toujours dire Giotto, élève de Cimabue, comme un épithète indissociable. Donc après avoir parlé de Duccio et avant d’en venir à Giotto, il me semble normal, dans cette fresque sur les plus belles Maestà de l’histoire de la peinture, de faire un grand détour par Cimabue, que nous étudierons d’ailleurs à deux reprises au moins. Faisons fi de la chronologie pour aller où bon nous semble.

Maestà di Santa Trinita - Cimabue - 1280-90 - Galleria degli Uffizi - Florence

Voici donc une Maestà peinte aux alentours de 1280, mesurant 385 × 223 cm, légèrement plus petite donc, que celle de Duccio, mais immense tout de même. Lorsque l’on songe que ces tableaux étaient peints en tempera (c’est-à-dire avec cette technique immémoriale qui servait à peindre les icônes byzantines) sur des panneaux de bois, c’est-à-dire un matériau cher (le passage à la toile est implicitement un souci d’économie), et dont les parties les plus nobles étaient recouvertes de feuilles d’or, on a peine à imaginer à quel point ces œuvres sont avant tout œuvres de richesse avant d’être œuvres de religion. La tableau est donc peint, sur la commande de l’abbaye de Vallombrosa, pour l’église dont elle porte le nom, la petite basilique Santa Trinita de Florence (à deux pas du pont Santa Trinita et face à la Colonna della Giustizia, colonne monolithique en granit provenant des termes de Caracalla). Après une parcours dégradant, elle finit dans la salle n°2 de la Galerie des Offices.

Florence - jour 3 - 075 - Piazza Santa Trinita

Basilique Santa Trinita (Basilica di Santa Trìnita)
Archives personnelles

Florence - jour 3 - 072 - Piazza Santa Trinita

Place Santa Trìnita et colonne de la justice
Archives personnelles

Que voit-on ? Ce serait anachronique, pour ne pas dire idiot de comparer d’emblée cette Maestà à celle de Duccio et de dire que ses qualités sont moindres par rapport à une œuvre plus tardive. La première chose que l’on peut dire, c’est que cette œuvre pour le moins très byzantine dans sa conception est très innovante par rapport au canon byzantin justement avec ce thème de la Maestà ; la Vierge en Majesté est la Vierge triomphante, trônant dans le monde, et donc par opposition à sa position céleste devient un élément de la mondanité divine. Il faut savoir que cette Vierge en majesté ne sera utilisée qu’un nombre d’années très restreint, précisément entre Cimabue qui lui donne ses lettres de noblesse et Giotto qui la tuera pour faire autre chose. Les quelques Maestà que l’on verra après Giotto restent très modestes par rapport à ces grandes productions.
Cette Maestà de Cimabue est le tableau du motif. Regardons de près et nous voyons à quel point le motif est présent. C’est le tableau de la richesse, de la préciosité. Ors et pierreries, fonds et nimbes, plis dorés, ailes des angles peintes en dégradés (en dégradés !!! ce n’est pas rien !), soieries du coussin et montants du trône, feuilles d’acanthe et caissons ; l’iconographie est riche dans sa profusion autant que dans sa représentation. Une chose transpire de tout ça pour nous dire quelque chose. Le trône est un personnage central de l’œuvre. La Vierge et l’enfant, bien évidemment, mais le trône aussi. Le trône, c’est le symbole de la royauté, car le Fils de l’Homme sera le Roi du Monde, il a pour cela besoin de son trône, mais le trône est aussi le symbole de la royauté sur Terre, c’est là l’élément de la mondanité, le signe que la divinité descend sur terre, et ça, c’est un peu une nouveauté dans la théologie…

Regardons un peu avec quel soin le peintre a peint les détails et surtout à quel point on se rend compte que le point blanc et la ligne jouent un rôle central dans cette expression du motif. Comme je le disais plus haut, c’est la peinture de la richesse. On est presque ici face à des motifs pointillistes lorsqu’on regarde le détail des ailes des anges. Le trône est orné de petites tâches blanches rappelées par le manteau et les revers du patriarche au centre à droite dans le bas du trône. On les retrouve aussi sur les souliers des personnages, les anges et la Vierge, ainsi que sur les auréoles des nimbes. Le coussin est d’un rouge profond, orné d’un beau motif riche et le manteau des personnages est rehaussé dans ses plis de peinture dorée qui requalifie encore la richesse du tableau. Dernier détail qui a son importance au regard des couleurs. Les bandeaux des anges sont de manière alternée rouge et bleu, qui sont les rappels des couleurs de la tunique et du manteau de la Vierge.

Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)
Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)
Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)
Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)
Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)
Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)
Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)
Maestà #2 : La Maestà di Santa Trinita par Cimabue (Giovanni Cenni di Pepe)

Portons maintenant un regard critique. L’enfant est présenté dans une position qu’on lui retrouve dans d’autres tableaux ; index et majeur de la main droite relevés en signe de bénédiction, main gauche portant un rouleau signifiant la Loi ; on se saurait être Roi du Monde sans être porteur du message de la Loi.
Qui sont les hommes enchâssés dans les fondations du trône ? Ce sont les Patriarches. Au centre nous avons David (portant la couronne) et Abraham, et sur les côtés Jérémie et Isaïe dont le regard est tourné vers les personnages principaux. Pourquoi les patriarches dans les fondations du trône ? Parce que ce sont eux qui sont les garants de l’avènement du Christ sur Terre, ils en sont la possibilité, ainsi que le terreau.

On remarquera tout de même une absurdité incroyable ; le pied gauche de la Madone est situé sur la marche inférieure du trône tandis que c’est la jambe dont la cuisse porte l’enfant, qui est tout de même à la même hauteur de l’autre cuisse. Bizarrement faite cette Vierge… Et pour tout dire, celle de Duccio est clairement tournée vers la gauche, mais celle-ci a le tronc tourné vers la gauche et les jambes tournées vers la droite…

Maestà di Santa Trinita - Cimabue - 1280-90 - Galleria degli Uffizi - Florence - Composition

Regardons maintenant la composition. On observe une composition, si elle est moins symbolique que dans la Maestà de Duccio, est toutefois d’une grande finesse au regard du trône. En effet, c’est lui qui dessine les grandes lignes du tableau et en ceci amorce un désir de fidélité à la perspective.

  • Les deux médianes partant du bas suivent un des rebords du trône et soulignent l’arche des niches.
  • Partant vers le haut elles soulignent le bas du corps de l’enfant et le bas du visage de deux des anges.
  • Leur point d’intersection avec l’axe de symétrie se trouve dans les replis de la robe de la Vierge.
  • On peut ensuite retracer deux médianes soulignant la partie supérieure du trône et dont l’intersection se trouve au niveau de la gorge de la Vierge.
  • Les lignes supérieures surplombent la tête des anges les plus hauts.
  • L’axe de symétrie passe non loin de l’oeil droit de la Vierge.
  • La hiérarchie est respectée car la tête de la Vierge reste la plus haute dans la composition.

Nous verrons par la suite à quel point chacun des trois peintres expriment des choses particulières au travers de leur Maestà. Celle-ci reste une des plus belles en ce qui concerne les ors.


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