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Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Publié le 31 décembre 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Il a l’œil vitreux et le teint blafard, le type accoudé à l’unique fenêtre de son petit studio.  Qui sembleb8b65b481821954aab159abc369dea69_29 attendre.  Attendre un truc important.  Un truc important qui ne devrait pas tarder à arriver.  À arriver bientôt.  Là.  Tout de suite.  Quatre.  Trois.  Deux.  Un.  Zéro.  Impact.

Pas de fenêtre sur cour, pour ce type-là, non.  Plutôt des dizaines de logements.  Remplis de dizaines, centaines de vies.  Qu’il a tout loisir d’observer, de sa minuscule lucarne. Au milieu de toutes ces fenêtres qui font de l’œil à ses jumelles, il en affectionne une plus particulièrement.  Celle juste en face.  Celle aux deux ombres chinoises qu’une tempête emporte chaque nuit.  Chaque nuit, oui, il observe la même scène se jouer devant lui.  Au moment même où le soleil se couche enfin, les deux ombres enlacées dans le grand canapé du salon s’éloignent soudain.  L’une fébrilement se lève.  L’autre, violemment, bondit du canapé pour l’empoigner.  Commence alors une lutte acharnée en laquelle aucune des deux ombres ne voudra céder.  À qui.  À quoi.  Comment. Pourquoi. Qu’importe.

Le type, à l’œil vitreux et au teint blafard.  Le type d’en face, accoudé à l’unique fenêtre de son petit studio, sourit enfin.  Pour la première fois de sa longue journée.  Et, pour exacerber ce sursaut de plaisir, il s’éloigne un moment de la fenêtre, pour y ramener une bouteille de n’importe quoi.  Mais du n’importe quoi qui excite le palais, réchauffe l’intérieur de sa maigre carcasse, et monte rapidement à son crâne endolori, toujours.  Toutes les nuits.  Il reprend ses jumelles et rejoint le monde là où il l’avait laissé.  À nouveau, les deux ombres semblent s’enlacer.  Mais pas comme tout à l’heure.  Virevoltant au milieu du salon.  À gauche.  À droite.  En bas.  En haut.  La gravité ne semble même plus avoir d’emprise sur ces deux folles furieuses.  Les torses se bombent.  Les poings s’élancent.  Les corps se heurtent.  En une cacophonie sourde.  En un feu aveugle.  En un nouveau Big Bang.  Le leur.

Le type, à l’œil vitreux et au teint blafard.  Le type d’en face, accoudé à l’unique fenêtre de son petit studio, jouit enfin.  Pour la première fois de sa longue journée.  Lorsqu’une des deux silhouettes tombe enfin à terre et qu’en leur ruelle creuse, l’écho réfléchit un terrible cri.  Ce même cri qui résonne à l’intérieur de lui depuis des années.  Ce cri que chaque nuit, grâce à ces deux ombres chinoises, il distingue s’éclater au sol.  Boum.  Plus un bruit.  En face, l’ombre à terre, comme ce cri, ne bouge plus.  L’ombre debout s’agite soudain en tous sens.  À gauche.  À droite.  En bas.  En haut.  Mais la gravité, brusquement, reparaît.  Et l’ombre, pareille à l’ombre, pareille au cri, tombe à terre.  Vite, elle se redresse.  Jette un œil à droite.  L’autre à gauche.  Prend ses cliques et ses claques.  Et fuit.  Vers ailleurs.  Vers nulle part.  Vers partout.  Vers un demain qui verra, encore, se jouer cette éternelle scène.  En face de l’unique fenêtre du petit studio du type accoudé, à l’œil vitreux et au teint blafard.

Il a l’œil vitreux et le teint blafard, le type accoudé à l’unique fenêtre de son petit studio.  Qui semble déjà attendre demain.  Le coucher du soleil.  Les ombres chinoises.  Tout ça.  Tout ça.  Il a le regard qui pétille et les joues rouges, le type accoudé à l’unique fenêtre de son petit studio.  Qui sourit déjà.  Au fur et à mesure que la vie des autres vole en éclats.  Qui s’envoie déjà en l’air.  D’entendre les ombres du monde effleurer l’enfer.  L’enfer qu’il traverse chaque jour.  Il a le regard qui pétille et les joues rouges.  Rouges.  Rouges.  De plaisir.

Notice biographique

Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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