Magazine Culture

Pour un 2014 curieux et solidaire

Publié le 01 janvier 2014 par Jeanchristophepucek
Francis Cotes Paul Sandby 1761

Francis Cotes (Londres, 1726-1770),
Portrait de Paul Sandby
, 1761

Huile sur toile, 125,1 x 100,3 cm, Londres, Tate Gallery

La période des vœux est toujours un moment fort dans la vie d'un blog, non seulement parce qu'elle permet d'esquisser un bilan et quelques perspectives, mais aussi et surtout de s'adresser aux lecteurs plus directement que par le biais des chroniques et des réponses aux éventuels commentaires qu'elles suscitent. Pour de multiples raisons, 2013 a été en demi-teintes pour Passée des arts, émaillée de périodes de silence inhabituellement longues destinées à faire le point sur cette aventure et les conditions de sa conduite, nettement moins idylliques que certains se l'imaginent.

J'ai décidé, cette année, de ne pas proposer, comme je le fais depuis maintenant deux ans, de sélection des douze disques que j'estime incontournables, non que 2013 n'ait pas été riche en parutions passionnantes – il me semble même que c'est exactement le contraire – mais par souci d'honnêteté envers vous, les artistes et les éditeurs. Quel sens, en effet, aurait eu d'établir un palmarès alors que, faute de temps, je n'ai pu chroniquer des disques aussi remarquables que le Michel de La Barre paru chez agOgique, le Gesualdo de la Compagnia del Madrigale (Glossa), les Litanies de la Vierge de Charpentier par Correspondances (Harmonia Mundi) ou encore certaines des parutions des séries « Opéra français » et « Cantates du prix de Rome » initiées par le Palazzetto Bru Zane en partenariat avec Ediciones Singulares — la Thérèse de Massenet et le Renaud de Sacchini méritent bien des louanges, tout comme le volume consacré à Max d'Ollone ? Le choix proposé aurait vite tourné à la mascarade et je m'y refuse. Je tiens cependant à saluer le travail courageux mené par les labels indépendants qui, dans des conditions parfois extrêmement précaires, comme on l'a vu lors des faillites, cette année, des distributeurs Codæx et Diverdi, quelquefois sans même parvenir à vivre de leur travail – j'ai eu l'occasion de discuter avec certains directeurs artistiques qui ne se versent pas de salaire pour consacrer tous leurs fonds aux disques qu'ils produisent –, maintiennent leur cap en osant défricher des répertoires rares quand les grosses firmes, en piétinant parfois un héritage qui devrait les remplir de respect – le cas du tour de passe-passe concernant le label Erato, cet ancien fleuron des éditeurs français réduit aujourd'hui à n'être que le cache-sexe transparent des turpitudes de Virgin, est tristement éloquent –, fourguent du récital à cocotes et du cross-over par palettes entières. Merci donc, entre autres, à Glossa, agOgique, L'Encelade, Cantus, Christophorus, Raumklang, CPO, Accent, Timpani, Passacaille, Hyperion, d'avoir suffisamment de considération envers le public pour miser sur son intelligence et sa curiosité plus que sur ses instincts moutonniers. Pour clore ce chapitre musical rétrospectif, je souhaite m'arrêter un court instant sur deux projets qui m'ont particulièrement touché durant l'année qui vient de s'écouler, chacun à un bout du spectre temporel que j'explore ici avec vous depuis bientôt 5 ans : d'un côté, Mater Salvatoris, une anthologie de pièces des XIIe et XIIIe siècles enchantées avec autant de science que de probité par l'Ensemble vocal de Notre-Dame de Paris, de l'autre, la Messe solennelle de Pâques de Martial Caillebotte, ressuscitée avec ferveur et tendresse par Michel Piquemal et ses troupes. Ces deux enregistrements réalisés avec peu de moyens, parus sans publicité et sans tapage, mais osant se frotter avec cœur et sincérité à des répertoires regardés avec dédain y compris par certains de ceux qui se posent en défenseurs de la musique sous réserve qu'elle leur apporte leur dose de lustre mondain, devraient faire périr de honte ceux qui n'ont à proposer qu'une énième version baignée d'angélisme à l'eau de rose du Stabat Mater de Pergolèse ou à minauder dans le Gloria de Poulenc.

En ces temps difficiles, il me semble essentiel que le public – nous tous, donc – sache rester curieux, aie l'audace de sortir des chemins balisés, afin que les marchands de soupe n'aient pas sans cesse le dernier mot. Encourageons les petits labels discographiques, les expositions ambitieuses, comme Un air de Renaissance ou Hieronymus Cock, soutenons sans faillir les libraires et le peu de disquaires qu'il reste en cessant d'alimenter l'amazone qui finira par les décimer si nous n'y prenons garde. Même si je suis souvent surpris de voir, depuis quelques mois, certaines personnes, pourtant du meilleur monde, qui ont laissé crever le disque dans la plus parfaite indifférence au nom d'un progrès dont ils se rengorgent aujourd'hui à grand coup de gadgets électroniques, défendre les librairies avec acharnement – deux poids, deux mesures, donc ? –, je ne peux que joindre ma voix à la leur pour rappeler que nos achats sont citoyens, qu'ils forgent le monde dans lequel nous vivrons demain et qu'il est donc temps de dire si nous voulons qu'il soit marqué du sceau de la diversité ou de l'uniformité et d'adapter notre comportement en conséquence, en cessant peut-être de nous comporter comme les enfants gâtés que nous sommes et qui, ayant le moyen d'assouvir d'un clic leurs désirs sans cesse sollicités, ne connaissent plus ni patience, ni mesure.

Après avoir été, en 2013, servis jusqu'à saturation en Wagner et en Verdi – pas ici, naturellement –, l'année 2014 devrait être heureusement plus chiche en hystérie lyrique. Elle marque cependant l'anniversaire du 250e anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), un des plus grands compositeurs français, que l'on espère voir mis à l'honneur autrement qu'au travers de compilations et de redites (de très belles Surprises de l'Amour ont paru chez Glossa, j'en reparlerai), fussent-elles encensées par la critique officielle, sachant que tout son œuvre n'a pas encore connu les honneurs du disque et que ce qui existe est parfois insuffisant. L'autre commémoration, qui risque fort de passer largement inaperçue en France, est celle du 300e anniversaire de la naissance de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), un prodigieux musicien qui a eu l'intelligence de savoir s'émanciper de la tutelle paternelle pour tracer une voie profondément originale et personnelle, en particulier dans le domaine la musique instrumentale, une ligne brûlante conduisant des derniers feux du baroque aux frémissements de l'aube du romantisme. Je tenterai, assez régulièrement, d'attirer votre attention sur son parcours et sa production, et j'ai volontairement choisi, pour accompagner ces lignes, une Sonate pour violon et clavier dont on ne parvient pas déterminer si elle est de la main du père ou du fils – peut-être des deux, au fond – mais dont la fluidité tout juste ombrée tantôt d'un rien de nostalgie, tantôt d'un soupçon d'emportement, m'a semblé idéale pour un lever de rideau.

Au premier jour de l'année nouvelle, je vous souhaite, ainsi qu'à ceux qui vous sont chers, un très heureux 2014 et je vous remercie pour la fidélité dont vous honorez Passée des arts.

Accompagnement musical :

Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), Sonate pour violon et clavier en sol mineur, H 545 (sans date, attribution incertaine) :

I. Allegro

II. Adagio

III. Allegro

Amandine Beyer, violon
Edna Stern, pianoforte

CPE Bach Sonates pour violon & pianoforte Amandine Beyer Ed
Sonates pour violon et pianoforte. 1 CD Zig-Zag Territoires ZZT 050902. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jeanchristophepucek 43597 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine