Faire la fête

Y aurait-il une ambiguïté dans l’acte de faire la fête, un désir secret, une ambivalence cachée ? On veut que la fête soit détente, on dit qu’elle est loisir, qu’elle respire la joie en provoquant la liesse. La fête est la réalisation d’une aspiration profonde, celle qui nous fait rêver à plus de gaieté, de légèreté.

Mais il y a aussi une dimension pesante, une atmosphère lourde dans la fête, liée à un désir nerveux, à une attente impatiente. Car on sait à l’avance que c’est le trouble qui est son but, la perturbation de l’ordre habituel sa réussite. Il va donc falloir progressivement rompre les chaînes, desserrer les liens.

C’est pourquoi ce n’est pas une simple gaieté qui nous anime, ni une naïve insouciance qui s’affirme. La fête est l’occasion rêvée d’un changement, la manifestation progressive d’un dérangement, l’envie d’un renversement. On s’arroge un droit éphémère au bouleversement. On croit aussi coïncider plus intimement avec soi, accéder à plus d’authenticité…

Les contraintes sont renversées, les barrières levées. C’est donc une joie inquiète qui est éprouvée, un sentiment piquant de licence et de laisser-aller. Et n’est-ce pas souvent ce qui arrive ? Les discussions deviennent querelles, l’animation tourne au conflit, l’ardeur se fait souvent humeur. Le souffle du désordre fait son effet. Ces petites révolutions sont-elles donc le souhait secret des fêtes, leur délice masqué ?

Et pourtant, de la détente à la tension, de la sérénité à la discorde, curieusement, avec la fête c’est le goût de la paix et de l’ordre qui est retrouvé. Une crise s’est produite et avec elle le renouvellement de l’envie d’en sortir.

En perturbant l’ordre, la fête en redonne paradoxalement le goût, le goût d’un ordre toujours menacé de s’épuiser. Les fêtes en société, en organisant une petite décadence, ont pour but de nous en détourner…