Delta noir

« Delta noir »

McFADDEN Bernice L.

(Joëlle Losfeld)

„Que vous ayez accepté ce conte comme une vérité ou comme une histoire imaginaire, j’espère que vous retirerez quelque chose de sa lecture. “ Un conte ! Un vrai ! Un conte qui survole un siècle de l’histoire si douloureuse des Noirs américains dans l’état du Mississipi. Soit donc dans une vieille, une archaïque société esclavagiste. Ce vieux Sud, là où Esther, prostituée de son état, fut assassinée. Là où son âme vagabonde et influence le destin de quelques protagonistes de ce roman. Là où longtemps plus tard sera assassiné un adolescent, Emmet. Un crime perpétré par deux blancs, deux frères qui reprochaient à Emmet le clin d’œil qu’il avait adressé à une femme de la bonne société. Emmet épris de Tass. Un amour proche de l’aboutissement. Une Amérique s’éveille. Un enfant s’apprête à naître.

« Il était minuit quand la première contraction se manifesta sans son bas ventre, et Tass s’assit toute droite dans son lit… La deuxième contraction ressembla à des doigts qui enserraient son utérus. Tass cria et se rendit chez ses voisins en titubant. Elle tambourina à leur porte jusqu’à perdre les eaux.

La troisième contraction fut comme un coup de poing dans les reins. Tass s’arracha une mèche de cheveux et faillit se couper la langue à force de la mordre. Elle chancela dans la rue vers l’hôpital qui ne soignait pas les gens de couleur.

Ses pieds nus claquèrent sur le sol en marbre du hall lumineux. L’infirmière de l’accueil blêmit quand elle vit Tass avancer vers elle en haletant et en tenant une mèche de cheveux à la main.

« Au secours ! » glapit Tass.

La femme ouvrit puis referma la bouche.

La quatrième contraction mit Tass à genoux.

L’infirmière retrouva la voix pour expulser ces mots comme si sa bouche était une grille d’égout :

« Pas de Nègres iciiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! »

Tass roula sur le dos, leva les genoux et se mit à pousser. Quand elle hurla, l’infirmière haussa les mains au ciel et cria avec elle.

Le premier enfant de couleur né dans cet hôpital fut un garçon à grosse tête avec des yeux rêveurs. Ils l’appelèrent Maximillian May II, mais le surnommèrent Sonny.

L’hôpital ferma un an plus tard, délocalisa le personnel, vendit le matériel et condamna les fenêtres. »

Voilà. Voilà un beau, un émouvant roman, un conte qui sans effets superflus narre l’histoire de la communauté des anciens esclaves et leur cheminement ardu vers l’obtention des droits civiques. Une œuvre qui s’installe à l’égale de celle de Toni Morrison.