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Parabole du failli

Publié le 08 janvier 2014 par Lorraine De Chezlo
PARABOLE DU FAILLIde Lyonel Trouillot
Roman - 190 pages
Editions Actes Sud - août 2013
Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout Monde - 2013
Avec son camarade l'Estropié, quand ils ont appris la nouvelle du décès de leur ami Pedro le poète, ce fût un choc. Eux restés en Haïti, et lui parti sous d'autres cieux, le voilà mort, tombé du douzième étage d'un immeuble. Jamais plus il ne l'entendront déclamer ses poèmes, invectiver à tue-tête les gens qui passent dans la rue, clamer ses vérités et ses plaintes, interpeller les dames. Il ne verront plus cet être chancelant tituber à leurs côtés. Mais ils veulent se souvenir, savoir à qui étaient adressés les écrits d'amour que de lui ils retrouvèrent. Et il faut à présent, pour le journal, rédiger une note de nécrologie en son hommage...
Certes, en quatrième de couverture on trouve un texte incompréhensible : "Et à signer de sa disparition l’échec de la poésie et du langage à combler la faille qui sépare la lettre du réel."Mais ce roman est tout sauf inabordable et insaisissable. Tranquillement, il nous saisit, nous capte, par ses mots, par sa poésie et sa musique, par sa pudique douleur. Lyonel Trouillot sait très bien faire chanter les phrases et nous amener à palper les ambiances singulières de ses romans, sans trop nommer les lieux, ni même les protagonistes en leur laissant le flou.
Extrait :"Ici, nous t'aurions rattrapé avant que ton corps touche le sol. Ici, on a appris à amortir les chutes. Et puis, où t'aurais trouvé un immeuble de douze étages ! Même les banques et ces saletés de compagnies qui détiennent des monopoles n'en construisent pas de si hauts. Ici, on est déjà par terre et personne ne tombe dans le vide. Nous t'aurions rattrapé. Et puis, toi qui parlais tout le temps, tu aurais pu nous dire. Nous t'aurions suivi. Nous aurions monté la garde autour de toi. Comme ce soir où tu es parti en titubant. Nous savions que ce soir-là nous ne devions pas te laisser seul. Ton père t'avait encore traité de honte de la famille. Mais ce n'est pas la honte que tu portais en toi quand tu courais dans les rues en criant : "Le désespoir est une forme supérieure de la critique.""
Indirectement, c'est le portrait d'un jeune homme blessé, qui se retrouve artiste chassé du toit familial, orphelin, malmené, touché par l'alcoolisme et confiant toute sa bonne volonté et sa lucidité à la poésie encore plus qu'à l'amitié. L'amitié il en est aussi question dans ce récit, car ce sont les histoires de trois hommes qui ont cohabité, qui ont bu, qui ont écouté, ri et pleuré ensemble dont il est question. Ils se connaissent bien, mais on ne connaît jamais assez la douleur de l'autre. Et puis de cette vie de Port-au-Prince, de ces personnages vivants, libres. Libres mais condamnés. Un beau texte court à lire.
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