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Exposition Félix Vallotton, derniers jours…

Publié le 08 janvier 2014 par Savatier

Félix Vallotton (1865-1925), peintre d’origine suisse ayant passé une grande partie de sa vie en France, pourrait se définir comme l’artiste du paradoxe. La belle rétrospective à lui consacrée au Grand Palais jusqu’au 20 janvier prochain en rend compte, à travers près de 200 œuvres. On le connaît surtout pour ses gravures sur bois, très caractéristiques, avec leurs immenses aplats noirs, leurs contours marqués, reproduisant ambiances et personnages de la fin du XIXe et du début du XXe siècle - un temps où la famille bourgeoise trompait son ennui dans des adultères qui, chez le peintre, n’ont rien des pantalonnades de Feydeau - des faits divers où la Grande guerre. C’est pourtant sa peinture qui le consacre artiste majeur parmi les Nabis où il comptait beaucoup d’amis.

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Mais, là encore, le paradoxe règne. Peint-il un paysage, comme Claire de lune (vers 1894), La Mare (1909) ou Derniers rayons (1911),  on peine à le situer, entre un symbolisme passé de mode et un surréalisme pas encore né.  S’attaque-t-il aux intérieurs bourgeois, il y glisse des personnages aux attitudes équivoques (La Loge de théâtre, 1909) qui trahissent les amours adultérines mal vécues, empreintes de la culpabilité induite par une société au puritanisme de façade, d’où la passion est absente (Intimité, 1898). On croirait ainsi, devant La Chambre rouge, entendre le couple chuchoter dans un silence pesant, rythmé par le « tic-tac » d’une horloge, hors de portée des domestiques.

Si, d’un point de vue formel, Vallotton abolit les perspectives par de larges aplats de couleurs souvent vivement contrastées, le spectateur se trouve pourtant attiré, presque aspiré, par la pièce située au fond d’un couloir (La Visite, 1899, ou Intérieur avec femme en rouge de dos, 1903). Son Dîner, effet de lampe (1899), avec sa lumière d’un jaune blafard, ferait volontiers penser à une version petite-bourgeoise des Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh. Il y a aussi, dans certaines scènes de genre, derrière le trait pur du dessin, une férocité proche de la caricature, comme l’illustrent Le Provincial (1909) ou La Chaste Suzanne (1922) qui, bien qu’accompagnée de deux vieillards, n’est pas (encore) à sa toilette...

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Les thématiques allégoriques ou antiques, pourtant assez oubliées au début du XXe siècle, donnent lieu à des toiles étranges, où le mythe s’efface derrière une relation des sexes modernisée, contemporaines, faisant appel à un premier degré non dénué d’une part d’angoisse (Roger délivrant Angélique, 1907 - Persée tuant le dragon, 1910). Pour réaliser de tels sujets, qui auraient facilement prêté à l’idéalisation comme le voulait la tradition, le peintre préfère, comme dans le reste de son œuvre,  garder ses distances, s’abstenir de toute tentative de séduction, ce qui rend son esthétique résolument unique, qui n’est pas sans rappeler parfois celle, plus tardive, d’Edward Hopper.

Et c’est précisément dans le traitement du nu que cette caractéristique se trouve le mieux soulignée. Ce ne sont pas des nus à la beauté aguicheuse que Vallotton nous propose. D’un modelé peu prononcé le plus souvent, leur carnation présente des reflets jaunes, verts ou bleus, comme s’ils étaient éclairés d’une lumière glauque. Les corps, pas plus que les visages, ne correspondent à un canon particuliers ; ils s’éloignent du beau mièvre, artificiel, esthétisant des Pompiers (ses contemporains d’un art officiel sur le déclin) pour se rapprocher d’une forme de réalisme ; ils semblent tous dissimuler un secret qui, parfois, fait référence aux illustres prédécesseurs du peintre. La Femme au perroquet (1909-1913), allongée, regarde le spectateur ; elle offre un pendant volontairement inexpressif à celle, rieuse, voire orgasmique, de Gustave Courbet. Le Bain turc (1907), dans l’apparente froideur du décors, s’impose comme le contrepoint des moiteurs d’Ingres ; La Blanche et la Noire (1913) reprend le thème d’Olympia, mais soulagée de sa charge provocatrice. Le visage de la femme allongée de Nu dans la chambre rouge (1897) s’illumine d’une rougeur assez suspecte ; deux autres femmes, blafardes, paraissent s’ennuyer (Le Repos des modèles, 1905) ; une autre encore, représentée de dos, jette un regard appuyé vers qui la contemple tandis qu’un drap noir dont la forme phallique est suggérée s’égare entre les cuisses de la Femme couchée sur fond violet (1924). Le réalisme trouve son apogée dans Etude de fesses (vers 1884), un étonnant fragment dénué de concessions.

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Il faut poser deux regards sur les œuvres de Vallotton, car le premier se révèle toujours trompeur. Au second, le spectateur découvre une dimension plus fréquemment subversive qu’il n’y paraît. Ainsi, au premier abord, ses nus, qui ont souvent conservé leur pilosité naturelle, n’ont rien de très attirant ; cependant, leur charge érotique se dévoile, comme chez Gustave Courbet auparavant, après un travail de réflexion : ces femmes ne sont ni des déesses, ni des nymphes, ni des héroïnes idéalisées trop parfaites et trop lisses pour être « malhonnêtes » et inspirer le désir. Le regardeur pourrait retrouver en elles sa voisine, sa lingère, sa bonne - en d’autres termes des femmes réelles, accessibles.  Là se trouvait sans doute, à l’époque, l’une des raisons de son succès, là prend source le sous-titre donné à cette exposition : « le feu sous la glace. »

Illustrations : Félix Vallotton, La Chambre rouge, 1898, tempera sur carton, 50 x 68,5 cm, © musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne / Photo J.-C. Ducret - Félix Vallotton, Le Bain, 1894, xylographie, 18,1 x 22,5 cm, Bibliothèque nationale de France, © BnF, Dist. Rmn-Grand Palais / Image BnF - Félix Vallotton, La Blanche et la Noire, 1913, huile sur toile, 114 x 147 cm, © Fondation Hahnloser / Jaeggli, Winterthur.


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