Hier Ce soir (ou jamais) de Taddéi traite de Dieudonné. Il s'agit probablement de l'émission la plus libre en France à l'heure actuelle. Vu ce qui s'y est passé, ce simple constat est édifiant.
Taddéi était attendu au tournant, harcelé par les chiens de garde depuis des lustres, mais plus encore depuis la fameuse liste de Cohen, égrenant les "cerveaux malades" à ne pas inviter sur les plateaux financés par la redevance publique. Un certain Samama, officiant aux Inrocks et à la Règle du Jeu chez BHL, l'attaque plus férocement encore en le tenant pour responsable de l'explosion de Dieudonné. Bref, sur la sellette le Taddéi. Et en face, nous pouvons lui reprocher de ne plus inviter, précisément, ces "cerveaux malades"... Comment allait-il réagir à cette histoire?
Il en fait donc le thème de son émission. La liste des invités est donnée en 2 + 1 temps. Cela aura son importance. Au départ, Jean Bricmont est annoncé parmi 4 invités. A 3 contre 1, nous disons-nous... Bon. Plus tard, nous constatons que le nombre d'invités a augmenté, ce qui n'est malheureusement plus une surprise, Taddéi invitant plus de monde sur le plateau depuis qu'il est sur France 2, diluant ainsi ce que chacun a à dire et donc l'intérêt de l'émission. Toutefois, le fait notable, c'est que les 4 invités supplémentaires sont tous des "anti-Dieudonné". On ne peut même pas dire, d'ailleurs, que Bricmont est "pro-Dieudonné", il est simplement debout sur ses positions de principe. Mais, les 7 autres, eux, sont "anti-Dieudonné" et tiennent pour évident qu'il est antisémite, machin, truc. Leurs désaccords sont uniquement stratégiques, sur l'efficacité ou la contre-productivité de la censure. Désaccords assez violents cela dit, mais sur une question secondaire.
Première conclusion : dans l'émission la plus libre, l'animateur le plus résistant organise un débat à 7 contre 1. C'est déjà joli. Cette première conclusion sera amendée et aggravée par l'intervention du neuvième invité surprise. J'y reviendrai.
Prenons l'émission et les faits marquants un à un :
- Agnès Tricoire : attaque de Dieudonné mais défense de la liberté d'expression et décision très dangereuse de l'interdiction préalable d'un spectacle.
- Alain Jacubowicz : long monologue (J.-F. Kahn aura raison de signaler plus tard que lui, "on" l'écoute religieusement) présentant Dieudonné de manière particulièrement biaisée et mensongère en faisant désigner notamment "les Juifs" dans des propos de Dieudonné qui n'ont jamais ciblé "les Juifs" mais "des Juifs".
- Jean Bricmont : appel à la définition du terme "antisémitisme"... sans réponse... mais interrompu par Emilie Frèche qui accuse Bricmont de rire avec Hitler, parce qu'il a mis une vidéo parodique sur son mur Facebook (insensé) ; interrompu encore dès qu'il prononce "Palestiniens" (hystérie), et encore ensuite, jusqu'à Jacubowicz qui demande carrément à Bricmont de se taire. Agnès Tricoire demande à laisser parler Bricmont. Il finit quand même sur les "débats impossibles" et la question de la cause et les effets (ouf!).
- "Banalisez pas tout !"- Bricmont : "Quand on compare Dieudonné à Hitler, on banalise Hitler."
- Eduardo Rihan Cypel : attaque ad hominem non argumentée sur un vieux livre de Bricmont sans rapport avec le sujet. "Exterminer M. Cohen" : n'importe quoi. "La liberté d'expression n'est pas menacée" : ahurissant.
- J.-F. Kahn : "c'est incontestable que Dieudonné est antisémite"... heu... si, ça se conteste. Il expose toutefois l'échec total de l'antifascisme.
- Gerald Garutti : l'interdiction préalable est valable parce que le spectacle a été préparé (et hop!), "la liberté d'expression ne va pas jusqu'à la liberté d'extermination" (grotesque!). Dieudo est un marchand qui synthétise tous les nazismes (et hop!)
- Emilie Frèche : Ilan Halimi... les enfants de Toulouse (mais pas les militaires tués par Merah, eux, on s'en fout)... Ça va en faire, des paroles à interdire! et d'ailleurs :
- Eduardo Rihan Cypel : l'interdiction préalable permettra à tout le monde de faire interdire des spectacles au nom de la dignité humaine (les musulmans, les chrétiens, les machins et les bidules) : magnifique ! où allons-nous?
- Obalk : la sincérité du public de Dieudonné! (merci) et la stratégie du pouvoir fait passer de 200 nazillons à 2 millions d'antisémites potentiels
- Bricmont : "les antiracistes me font penser au curés de ma jeunesse"
- Kahn : ne pas alimenter l'argument du "deux poids deux mesures" (merci)
- Emilie Frèche : être contre la loi Gayssot = être pour les négationnistes... bin voyons
- Bricmont cite essaye de citer Robespierre, on lui coupe la parole
- Jacubowicz : "G. Proust est un humoriste, il a tous les droits" Sacrée Perle!
Et là... la petite performance de Taddéi. Il interrompt le débat et va rejoindre Marc-Edouard Nabe, "et comme c'est un cerveau malade, je vais l'accueillir à part". Nabe, taillé en pièces depuis quelques années par une grande partie de la dissidence, sur la question du 11 septembre, où Nabe s'est quand même planté, et Soral et LLP l'ont siphonné. On lit la fatigue physique sur le visage de Nabe. Lui qui aime tirer des conclusions du physique... il doit se faire peur à lui-même. Bref! Nabe a pété les plombs, et s'il a raison sur certaines dérives dans la dissidence, et sur la position de principe de se méfier des puits dans le désert potentiellement empoisonnés, il est attristant de voir qu'il assimile tout ça à du "conspirationnisme", comme s'il était journaliste au Nouvel Obs'. Taddéi invite Nabe en sachant très bien que, "cerveau malade" de la liste de Cohen, il va taper sur Soral et Dieudonné du haut de ses 1000 pages à paraître et des comptes qu'il a à régler avec eux.
Nabe passe donc son temps à taper sur Dieudonné, mais ce moment de l'émission a été extrêmement révélateur, parce que Taddéi, rejoignant les invités "sains", est violemment attaqué pour avoir invité Nabe. Emilie Frèche dit avoir été piégée (de participer à un débat à 7 contre 1 ? elle est bien bonne). On comprend que dans les 7, seuls peut-être Tricoire et Kahn seraient venus s'ils avaient su que Nabe serait invité. Qui a parlé de débats impossibles ?
Qui pis est, Nabe a expliqué longuement pourquoi il combattait Dieudonné sans pitié. Mais, c'est pas assez pour nos 7 amis. Nabe s'en prend, d'après Jacubowicz notamment, au conspirationnisme pour mieux nier l'antisémitisme. Quel délire! mais quel délire! Bricmont sors de ses gonds et sauve l'honneur.
On en vient à Voltaire pour finir.
Bricmont cite : "Si vous voulez savoir qui est réellement au pouvoir, demandez-vous qui vous ne pouvez pas critiquer."
Hébétés.
Kahn : "cela dit, c'est une phrase antisémite". Pourquoi cette phrase est-elle devenue antisémite?!
Conclusion : ce que Taddéi a pu faire est au-delà de la limite acceptable par les honnêtes gens. Inviter Nabe sans l'avoir annoncé a ému dans les chaumières. Jean Bricmont a été héroïque à 7+1 contre lui. Ce Spectacle indigne sanctionne une rupture complète et totale, elle, dont il va bien falloir sortir.
Est-ce qu'on peut espérer un sursaut de dignité du peuple de France ?