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Ariel Sharon, le faucon complexe de l’État d’Israël

Publié le 11 janvier 2014 par Sylvainrakotoarison

« La guerre d’indépendance d’Israël n’est pas terminée. (…) Toute ma vie s’est passée dans ce conflit. (…) Combattre a été et restera la charge de ma génération. (…) Telle sera la charge des générations à venir. » (Ariel Sharon, "Haaretz", avril 2001).
yartiSharonAriel01L’ancien Premier Ministre israélien Ariel Sharon vient de s’éteindre ce samedi 11 janvier 2014 près de Tel-Aviv après une très longue période de coma. Il était une personnalité qui ne laissait pas indifférent.

Le 4 janvier 2006, le Premier Ministre israélien de l’époque est tombé dans un coma profond après une seconde attaque cérébrale. Il avait subi une première attaque cérébrale le 18 décembre 2005. Depuis huit ans, Ariel Sharon est resté vivant, au point presque de s’être fait oublier de ses contemporains. Approchant les 86 ans, son état de santé s’est détérioré depuis le 1er janvier 2014 et ses médecins ont affirmé qu’il luttait comme un guerrier, héroïquement, alors que ses organes vitaux s’éteignaient progressivement.

Nul doute que, au contraire de Nelson Mandela, la mort d’Ariel Sharon ne suscitera pas un unanimisme pour ce militaire qui a participé à toutes les guerres de l’État d’Israël depuis la fondation de ce pays en 1948. Redouté, détesté, ou, au contraire, admiré,apprécié pour son populisme nationaliste et sécuritaire, Ariel Sharon aurait pu laisser une image simple du "méchant", celui du "méchant" dans un duo de policiers qui inclut aussi le "gentil", histoire de jouer le chaud et le froid en fonction des intérêts stratégiques d’Israël.

Deux événements majeurs ont rendu son parcours irrémédiablement inacceptable : les massacres de Sabra et Chatila, où des centaines voire des milliers de réfugiés palestiniens ont été tués par les Phalangistes libanais du 16 au 18 septembre 1982, et le début de la 2e Intifada le 28 septembre 2000.

Sabra et Chatila (16 au 18 septembre 1982)

Dans le premier événement, la responsabilité d’Ariel Sharon, alors Ministre israélien de la Défense, qui a supervisé l’invasion du Liban en juin 1982, a été clairement établie, l’amenant même à donner sa démission quelques mois plus tard, le 14 février 1983, quelques jours après la publication du rapport le mettant en cause (parce que Israël, qu’on le veuille ou pas, est une démocratie authentique), mais sans quitter le gouvernement de Menahem Begin.
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La nature de sa responsabilité reste toutefois encore un sujet de controverse, entre l’indifférence plus ou moins complice (laisser faire le massacre sans l’avoir vraiment prévu) et son organisation secrète (commanditer le massacre).

Le rapport de la commission présidée par Yitzhak Kahan publié le 8 février 1983 a toutefois donné quelques indications sur la responsabilité d’Ariel Sharon, en insistant surtout sur le manque de clairvoyance et l’absence de mesures prises pour éviter le massacre : « Had it become clear to the Defense Minister that no real supervision could be exercised over the Phalangist force that entered the camp with the IDF’s assent [IDF : Israel Defense Forces], his duty would have been to prevent their entry. » et le chef d’état-major (Rafael Eitan) d’expliquer que s’il avait su, il n’aurait pas permis aux Phalangistes d’entrer dans les camps : « No, if I had expected that this was liable to happen, or if someone had warned me that this was liable to happen, they would not have entered the camps. ».

Le rapport a pointé donc du doigt la responsabilité d’Ariel Sharon ainsi : « It is our view that responsibility is to be imputed to the Minister of Defense for having disregarded the danger of acts of vengeance and bloodshed by the Phalangists against the population of the refugee camps, and having failed to take this danger into account when he decided to have the Phalangist enter the camps. In addition, responsability is to be imputed to the Minister of Defense for not ordering appropriate mesures for preventing or reducing the danger of massacre as a condition for the Phalangists entry into the camps. ».

(Aux non-anglophones : je préfère éviter de traduire moi-même ce rapport dont chaque mot revêt une importance essentielle. Ce sera aussi le cas pour le rapport Mitchell).

Visite de l’Esplanade des Mosquées (28 septembre 2000)

Dans le second point évoqué, l’incertitude historique demeure encore sur le lien de causalité entre la visite d’Ariel Sharon, chef de l’opposition, le 28 septembre 2000 sur l’Esplanade des Mosquée à Jérusalem, qui fut une véritable provocation dont l’objectif relevait probablement de la politique intérieure (objectif atteint puisqu’il a remporté les élections qui ont suivi), et le démarrage de la 2e Intifada.

La veille, Yasser Arafat était invité à dîner par le Premier Ministre israélien Ehud Barak et lui a demandé d’interdire cette visite. Certains pensent que cette venue à l’Esplanade des Mosquées ne fut qu’un simple élément de catalyse d’une révolte préparée longtemps à l’avance par Yasser Arafat après l’échec du Sommet de Camp David II (11 au 25 juillet 2000) dont le statut de Jérusalem et de l’Esplanade des Mosquée fut un point de désaccord.
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Le rapport de l’ancien sénateur américain George Mitchell publié le 30 avril 2001 est même plus catégorique en considérant que les émeutes n’étaient pas la conséquence de cette visite mais que l’effet provocateur de celle-ci n’avait pas été évalué à sa juste mesure : « The Sharon visit did not cause the Al-Aqsa Intifada. But it was poorly timed and the provocative effect should have been foreseen. ».

Dans tous les cas d’interprétation, pour des préoccupations de politique intérieure, Ariel Sharon n’avait pas hésité à mettre de l’huile sur le feu dans les relations israélo-palestiniennes.

Deux autres faits au passif

À ces deux événements très contestables, on peut aussi en rajouter deux autres, la décision le 14 avril 2002 du gouvernement d’Ariel Sharon de construire un mur de séparation entre Israéliens et Palestiniens, de connotation fâcheuse douze ans après la chute du mur de Berlin, ainsi que l’offensive très violente menée en Cisjordanie le 29 mars 2002 pour démanteler les organisations terroristes et détruisant dans le même temps les structures officielles de l’Autorité palestinienne, isolant ainsi son Président Yasser Arafat.

Il était clair qu’Ariel Sharon, qui possédait une maison en plein cœur musulman de Jérusalem qui arborait bien en vue des drapeaux israéliens, avait obstinément refusé de négocier avec Yasser Arafat. Ses dispositions ont complètement changé après la mort de Yasser Arafat.

Une personnalité pas si aisée à cerner

L’homme est sans doute plus complexe que le complice de Sabra et Chatila ou le provocateur de l’Esplanade des Mosquée.
Plus complexe que dans le rôle simpliste du guerrier "méchant".
Même si ce fut un complexe pour Israël d’avoir parmi ses "héros" populaires un si dissipé conquérant.

Parce que justement, seul un guerrier pouvait faire une paix durable avec les Palestiniens (à l’instar de Yitzhak Rabin).
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Rappelons rapidement sa trajectoire.

Né le 26 février 1928 en Palestine mandataire d’une mère biélorusse et d’un père polonais, Ariel Sharon fut un officier qui s’est engagé dans l’armée israélienne très jeune et qui s’est illustré militairement par ses talents de tacticien lors des guerres israélo-arabes (de 1948 à 1973).

Plusieurs opérations lui ont été reprochées. Il dirigea notamment le commando à l’origine du massacre de Qibya, un village jordanien, où soixante-neuf civils, principalement des femmes et des enfants, furent tués le 14 octobre 1953 : « Les ordres étaient tout à fait clairs : Qibya devait être un exemple pour chacun. » ce qui a conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à condamner Israël dans une résolution votée le 24 novembre 1953.
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Politiquement, Ariel Sharon fut à l’initiative de la création du Likoud le 11 septembre 1973 (regroupant de nombreux mouvements d’opposition juste après la guerre du Kippour), et fut élu député dès le 31 décembre 1973. Il est vite devenu un homme politique incontournable, marquant de son sceau près de trente années de vie politique israélienne : ministre de 1977 à 1992 et de 1996 à 1999 (Agriculture du 20 juin 1977 au 5 août 1981, Défense du 5 août 1981 au 14 février 1983, Industrie et Commerce du 13 septembre 1984 au 20 février 1990, Logement et Construction du 11 juin 1990 au 13 juillet 1992, Infrastructures nationales du 8 juillet 1996 au 6 juillet 1998 et Affaires étrangères du 13 octobre 1998 au 6 juillet 1999), il favorisa la colonisation dans les territoires occupés et organisa l’immigration massive provenant de l’ex-Union Soviétique.

Il est ensuite désigné comme le chef de l’opposition en prenant la direction du Likoud le 2 septembre 1999 après la défaite historique de Benyamin Netanyahou aux élections législatives du 17 mai 1999 (14,1% et seulement 13 sièges reconduits sur les 23 sortants) et aussi à l’élection du Premier Ministre au suffrage direct (battu avec 43,9% face à Ehud Barak, 56,1%).

Après sa large victoire à l’élection du 6 février 2001 où il fut largement élu Premier Ministre au suffrage universel direct (avec 62,4% contre Ehud Barak, 37,6%), Ariel Sharon fut donc investi 11e Premier Ministre de l’État d’Israël le 7 mars 2001. Le 27 février 2003, il fut reconduit à ce poste après avoir gagné très largement les élections législatives du 28 janvier 2003 (remportant 38 sièges, soit un gain de 19 sièges, avec 29,4%) qu’il avait anticipées après la défection des travaillistes en octobre 2002 (protestant contre l’aide financière apportée aux colonisations dans les territoires occupés) et il resta Premier Ministre jusqu’à sa plongée dans le coma.

Deux éléments ont considérablement surpris ceux qui ne voyaient en lui qu’un nationaliste va-t-en-guerre.

Évacuation unilatérale de certaines colonies (6 juin 2004)

Le premier élément est le plan de désengagement adopté par son gouvernement le 6 juin 2004. Il s’agissait de retirer avant le 15 août 2005 toutes les colonies israéliennes de la bande de Gaza et certaines colonies de Cisjordanie.

Après cette date butoir, l’armée israélienne a évacué par la force les colons restants. Parallèlement, les Palestiniens ont accepté le principe d’une trêve pendant toute l’année 2005 pour faciliter le retrait des colons.
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L’importance de cette décision israélienne, c’est qu’elle a été unilatérale, c’est-à-dire, sans compensation de la part des Palestiniens, sans négociation à un moment où les discussions pour la paix étaient au point mort et que Yasser Arafat, craignant pour sa vie, préférait rester inflexible (il est mort le 11 novembre 2004 à Clamart).

Création de Kadima, un parti centriste (21 novembre 2005)

Ariel Sharon, qui fut à l’origine, en 1973, de la fondation du Likoud, grand parti placé à droite de l’échiquier israélien (face aux travaillistes), et qui, après une présence politique de longue durée, est arrivé au pouvoir grâce à ce même parti, a compris la nécessité de quitter ceux qui, en son sein, refusaient de faire des concessions israéliennes face aux Palestiniens. La majorité du Likoud était contre l’évacuation de la bande de Gaza et a placé Benyamin Netanyahou à la tête du Likoud le 19 décembre 2005.
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Le 21 novembre 2005, Ariel Sharon a donc franchi le Rubicon et a créé le parti Kadima ("en avant" en hébreu) qui s’est placé en position centriste entre le Likoud et les travaillistes. Parmi les grandes cautions d’Ariel Sharon, l’ancien Premier Ministre travailliste Shimon Peres (Prix Nobel de la Paix 1994) l’a rejoint et depuis le 4 juillet 2007, il est l’actuel Président de l’État d’Israël. Kadima s’est inséré internationalement dans l’Alliance mondiale des démocrates s’inspirant du personnalisme et de l’humanisme, codirigée par François Bayrou et représentée entre autres aux États-Unis par le Parti démocrate, en France par le MoDem et en Inde par le Parti du Congrès.

La création de Kadima était réalisée dans le but de soutenir Ariel Sharon lors des élections législatives anticipées du 28 mars 2006, provoquée à la suite de l’élection d’Amir Peretz à la tête du parti travailliste le 9 novembre 2005 (face à Shimon Peres) et de son retrait de la coalition gouvernementale.

Entre temps, Ariel Sharon a été empêché de faire campagne à cause de son état de santé à partir du 18 décembre 2005, et les islamistes du Hamas ont gagné la majorité absolue au Conseil législatif palestinien aux élections législatives palestiniennes du 25 janvier 2006 en remportant 74 sièges sur 120 avec 42,9% (Ismaël Haniyeh, l’un des dirigeants "pragmatiques" du Hamas, a été nommé Premier Ministre de l’Autorité palestinienne par le Président Mahmoud Abbas le 21 février 2006).

Celui qui a pris la relève d’Ariel Sharon, Ehud Olmert, l’ancien maire de Jérusalem, a malgré tout réussi à faire gagner Kadima le 28 mars 2006 avec 29 sièges à la Knesset (sur 120) pour 22,0% des voix et a fait effondrer le Likoud (12 au lieu des 38 députés sortants, y compris ceux qui ont rejoint Kadima).

Les scandales financiers qui ont touché Ehud Olmert par la suite ont rendu ce parti moins attractif. Il était encore en tête aux élections législatives du 10 février 2009 (avec 28 sièges et 22,5%) mais Tzipi Livni, ancienne Ministre des Affaires étrangères qui avait repris la succession d’Ehud Olmert le 18 septembre 2008, n’est pas parvenue à former une majorité et a préféré se retrouver dans l’opposition (Benyamin Netanyahou reprenant la tête du gouvernement).

Battue en interne par son rival Shaul Mofaz le 27 mars 2012 à la tête de Kadima, Tzipi Livni a quitté ce parti pour créer Hatnuah ("le mouvement") le 27 novembre 2012 après la dissolution de la Knesset. Elle a réussi à sauver les meubles aux dernières élections législatives du 22 janvier 2013 en faisant élire 6 députés (avec 5,0%) tandis que Kadima fut laminé (seulement 2 députés avec 2,1%).

Paix et destin

Comme on le voit, ces deux décisions (retrait unilatéral des colonies de Gaza et création de Kadima) ont été les dernières décisions politiques d’Ariel Sharon. Il n’aurait donc pas été impossible, si la santé d’Ariel Sharon l’avait permis, que ce dernier eût joué le rôle d’un véritable acteur de la paix, après la mort de Yasser Arafat, en proposant des solutions raisonnables pour les deux camps.
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Après l’assassinat de Yitzhak Rabin, le coma d’Ariel Sharon a donc été une véritable catastrophe politique pour la paix au Proche-Orient.

Malgré les morts et les provocations antérieures, c’est en prenant en compte ces dernières décisions favorables à la paix qu’il faudra un jour "juger" (historiquement) Ariel Sharon.

Sa disparition assez particulière (Ariel Sharon était quasiment oublié des Israéliens entre 2010 et 2013) me donne pour finir l’occasion d’évoquer trois sujets dont deux institutionnels : la création d’un grand parti centriste, la continuité de l’État en cas d’attaque cérébrale et la fin de vie.

Création d’un grand parti centriste entre deux grandes formations

À la différence de beaucoup de démocraties "modernes", la vie politique en Israël n’est pas dominée par la bipolarisation, et le scrutin proportionnel (donnant l’éligibilité à partir de 2%) encourage même les petites formations et rend quasiment impossible toute majorité stable durant une législature.

Mais deux grands partis, quasiment depuis près de quarante ans, ont seuls occupé la tête du gouvernement israélien, le Likoud et les travaillistes. L’arrivée sur la scène politique d’un parti centriste, Kadima, qui a "donné" deux Premiers Ministres entre 2005 et 2009 (Ariel Sharon et Ehud Olmert) a donc constitué un événement politique nouveau.

C’est un peu ce qu’espérait François Bayrou, ayant réuni plus de 6,8 millions d’électeurs (18,6%) au premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2007, en créant le MoDem : fonder un troisième grand parti de gouvernement qui ne serait pas tributaire de la bipolarisation observée depuis plusieurs décennies en France.

L’expérience israélienne est à cet égard très décevante pour ceux qui voudrait y trouver un modèle. Si Ehud Olmert a réussi à faire de Kadima autre chose qu’un rassemblement très personnel autour d’Ariel Sharon, les scandales financiers liés à ses anciennes fonctions de maire de Jérusalem ont eu raison de lui et, par ricochet, de son parti.

Tzipi Livni, pourtant de la trempe de Premier Ministre et en tête de tous les formations politiques, n’a pas réussi à convaincre d’éventuels alliés de se rassembler autour d’elle en 2009 pour constituer un nouveau gouvernement. Les divisions internes ont ensuite fait perdre à Kadima son audience électorale (2% en 2013).

C’est d’ailleurs un peu la trajectoire du MoDem qui a chuté de 7,6% au premier tour des élections législatives du 10 juin 2007 à 1,8% au premier tour des élections législatives du 10 juin 2012 parce que sans allié, aucun parti ne peut durablement se tenir à un certain niveau électoral.

La continuité de l’État

Officiellement, Ariel Sharon a quitté le poste de Premier Ministre d’Israël le 14 avril 2006 à la suite des élections législatives anticipées du 28 mars 2006 et de la déclaration de son état d'incapacité permanente le 11 avril 2006. En pratique, le Vice-Premier Ministre Ehud Olmert a assuré l’intérim de l’Exécutif dès le 4 janvier 2006 puis s’est imposé comme son héritier politique légitime au sein de son (nouveau) parti pendant la campagne électorale du début 2006.

En clair, les institutions israéliennes ont réussi à "gérer" le coma de la personnalité politique la plus importante du pays sans qu’il n’y ait eu discontinuité dans l’exercice du pouvoir.

En France, il n’est pas certain que cela se serait aussi bien passé. La France a connu deux Présidents de la République gravement malades (Georges Pompidou et François Mitterrand) dont l’un est mort en fonction et l’autre était en phase d’agonie ne lui permettant plus d’assurer ses fonctions pendant plusieurs semaines (en automne 1994), et un troisième Président de la République a été diminué pendant près de deux ans après un accident vasculaire cérébral (Jacques Chirac).

Si le Président de la République française venait à tomber dans le coma, il serait vraisemblable que le Conseil Constitutionnel proclamerait la vacance de l’Élysée, conduisant le Président du Sénat à assurer l’intérim (comme l’a fait deux fois Alain Poher), et ferait organiser une élection présidentielle anticipée dans les six semaines.

La vraie question serait : à quel moment le Conseil Constitutionnel constaterait la vacance présidentielle ? Immédiatement, dans les jours qui suivraient le début du coma, ou plusieurs semaines plus tard ? Et de quelle manière ? En interrogeant les médecins traitants ? En interrogeant des experts médicaux ? Y aurait-il des contestations ?

Enfin, que se passerait-il si le Président de la République (élu pour une durée donnée) se réveillait et reprenait la totalité de ses capacités (comme Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il fut Ministre de l’Intérieur, dans le coma du 2 au 10 septembre 1998) ? Comment serait "gérée" cette double légitimité si un nouveau Président avait été élu entre temps ?

Fin de vie et maintien en vie

La dernière réflexion sur le coma d’Ariel Sharon concerne un sujet bien plus intime et bien moins institutionnel, celui de garder ou non un malade en vie alors qu’il est inerte et dans le coma.

On peut imaginer qu’Ariel Sharon a reçu les soins les meilleurs en raison de sa stature et de responsable politique le plus important de l’État d’Israël au moment de son accident cérébral. Mais cela n’a pas empêché que certaines décisions aient été prises selon des considérations pécuniaires. Ainsi, le 12 novembre 2010, Ariel Sharon a été transféré à son propre domicile pour vivre parmi les siens, mais le coût de son hospitalisation à domicile était bien trop élevé et il a été retransporté à l’hôpital très peu de temps après. La commission des finances de la Knesset a d’ailleurs demandé en août 2011 à la famille de participer à hauteur de 50% aux frais des soins apportés à Ariel Sharon.

En janvier 2010, Ariel Sharon n’était plus sous respiration artificielle mais était nourri par une sonde gastrique. Il n’aurait pesé plus que cinquante kilogrammes.
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L’un de ses fils Gilad Sharon expliquait dans le "New York Times" du 21 octobre 2011 que son père « bouge les doigts ». D’autres signes seraient constatés, comme le fait de d’ouvrir les yeux de temps en temps etc.

Ariel Sharon n’était pas dans une unité de soins intensifs. Un médecin a expliqué en octobre 2011 sa longévité dans le coma par une constitution solide : « Il bénéficie d’un organisme très robuste, mais son cas est exceptionnel. Beaucoup de patients auraient succombé à la suite d’une infection, lui, il tient. ».

Ce médecin a préféré tempérer le silence qui a accompagné ces années de coma : « Cela aurait été n’importe quel quidam, on l’aurait laissé mourir tranquille. Lui, on le maintient en vie, parce que c’est la volonté de sa famille, mais… c’est pitoyable. » sans pour autant mettre ce maintien en vie sur le compte de la foi religieuse ; ni Ariel Sharon, ni ses parents, ni ses deux fils n’ont été religieux : « Sa famille est très attachée à lui. On peut penser que c’est irrationnel, mais c’est ainsi. ».

Ce même genre de réflexion avait été émis également pour Nelson Mandela, hospitalisé pendant plus de six mois.

Le 24 janvier 2013, une équipe de six chercheurs avaient testé les capacités cérébrales d’Ariel Sharon et avaient pu conclure qu’il réagissait à la vue de photos de sa famille ou à l’écoute d’enregistrements sonores de la voix d’un de ses fils. Cela ne voulait pas dire qu’il comprenait ce qu’il voyait ou entendait et les chances de retrouver ses esprits restaient cependant proches de zéro.

Le docteur Alon Friedman, directeur du Centre Zlotowski de Neuroscience de l’Université Ben-Gourion à Beersheba, a en effet expliqué le 28 janvier 2013 : « We were surprised to see such robust activity in his brain. (…) The information is getting in and is getting processed. He hears what they are saying. To what extent he understands, we cannot say for sure… but there are encouraging hints that he does. ».

Ce dernier très long acte de la vie d’Ariel Sharon laisse ouvert le débat sur l’euthanasie et sur la nécessité de continuer à maintenir en vie une personne dans le coma. Ce débat concerne aussi bien l’aspect moral et éthique …que financier.

Qu’il repose en paix

Quelques mois avant de conquérir le pouvoir, Ariel Sharon expliquait au "New York Post" le 13 novembre 2000 : « I am for lasting peace. (…) United, I believe, we can win the battle for peace. But it must be a different peace, one with full recognition of the rights of the Jews in their one and only land : peace with security for generations and peace with a united Jerusalem as the eternal, undivided capital of the Jewish people in the state of Israel forever. » [Je suis pour une paix durable. (…) Unis, je pense que nous pouvons gagner la bataille pour la paix. Mais elle doit être une paix différente, une paix avec la reconnaissance entière des droits des Juifs dans leur seule et unique terre : une paix avec la sécurité pour des générations et une paix avec une Jérusalem unifiée en tant que capitale éternelle et indivisible du peuple juif dans l’État d’Israël pour toujours].

En faisant de tout Jérusalem la capitale d’Israël, il est sûr que les gouvernements israéliens successifs n’aident pas à l’organisation d’une paix durable. Le statut de Jérusalem devrait être exceptionnel et international, et permettre à chacun de voir ses droits reconnus.

En 1989, Ariel Sharon expliquait également : « I begin with the basic conviction that Jews and Arabs can live together. I have repeated that at every opportunity, not for journalists and not for popular consumption, but because I have never believed differently or throught differently, from my childhood on. » [Je commence par la simple conviction que les Juifs et les Arabes peuvent vivre ensemble. Je l’ai répété à chaque occasion, pas pour les journalistes ni pour faire de l’audience, mais parce que je n’ai jamais cru ni pensé différemment depuis mon enfance].

Au cours de son mandat de Premier Ministre, Ariel Sharon a cependant été convaincu de l’importance stratégique de faire deux États, considérant que la démographie risquait de "noyer" les Israéliens dans les Palestiniens si ceux-ci cohabitaient au sein d’un seul État.

Ariel Sharon va maintenant bénéficier de funérailles nationales dans son pays.
En attendant la paix dans cette région, qu’il repose lui-même en paix.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 janvier 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Shimon Peres.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
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