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Une Sonate entre la Pathétique et les Adieux

Publié le 12 janvier 2014 par Morduedetheatre @_MDT_

Une Sonate entre la Pathétique et les Adieux

Critique de Sonate d'automne, d'après Ingmar Bergman, vu le 2 janvier 2014 au théâtre de l'Oeuvre
Avec Françoise Fabian, Rachida Brakni, et Éric Caruso

Que l'on se mette d'accord immédiatement. J'aurais pu voir le film de Bergman avant d'assister à ce spectacle, et c'est un choix conscient que de ne l'avoir pas fait. Je voulais découvrir la pièce sans avoir forcément à la comparer au film. Alors que les amateurs de Bergman calment d'avance leurs adeurs, je n'ai jamais eu de prétention cinéphile, je me contenterai simplement dans cet article de parler de ce beau spectacle que j'ai vu au théâtre de l'Oeuvre.

La pièce est sombre, elle porte autour d'une relation mère-fille qui se désagrège, bien qu'elle n'ait jamais été fameuse. La mère, Charlotte, est une pianiste de renommée mondiale, sur le déclin depuis quelques temps cependant. Sa fille, Eva, vit avec son mari dans une maison isolée, et la jeune soeur d'Eva, Héléna, atteinte d'une maladie assez lourde, va venir habiter avec eux. Eva et Charlotte ne se sont pas vues depuis 7 ans, mais cela n'empêche pas Eva d'inviter sa mère a passer quelques jours chez eux, pour se reposer un peu. A peine arrivée dans cette maison isolée, loin du succès et de son monde habituel, une certaine gêne s'installe, et l'affrontement débute...

Cet embarras, qui naît avec l'entrée dans la maison de Charlotte, se poursuivra croissant durant toute la pièce. La tension sous-jacente croitra également, jusqu'à exploser en la personne de Rachida Brakni. La musique est également là pour renforcer cette tension, cette pression qui est imposée par le jeu, consciemment lent et maladroit, des acteurs. Le prélude de Chopin, que l'on entend à plusieurs reprises, était sans doute la mélodie idéale. Il pèse par ses dissonnances, son rubato chaotique, son rythme lent et lourd. La musique a de plus un rôle double dans la pièce, puisqu'elle est la base du gouffre qui sépare la mère et la fille. A chaque note, Rachida Brakni se renfrogne, ses traits ses crispent, ses mains se serrent. A l'inverse, Françoise Fabian y trouve un souffle, une bouffée d'air, un morceau de vie. Rien que ces moments là, cette opposition si marquée dans leurs réactions face à la musique, un geste, une expression, marquent l'opposition qui se fait de plus en plus oppressante.

Bien sûr, tout cela est mené d'une main de maître par les trois acteurs, qui s'affrontent durant le spectacle. Deux femmes, un homme. Tous essentiels. Lui est là pour calmer le jeu, sa voix est douce et sa diction particulière, son ton est apaisant, ses remarques ne se veulent pas blessantes. Il n'est pas aimé, et il le sait, il parle comme s'il était déchiré de l'intérieur mais qu'il s'était résigné. Il est touchant et il ne semble réellement voir que lorsqu'il regarde sa femme, Rachida Brakni. Elle est plus déterminée. On sent qu'elle voudrait éviter de craquer devant sa mère, au début, elle ne tient pas à lui reprocher quoi que ce soit. Mais l'inévitable arrive, et lorsqu'elle déballe tout, elle change totalement de visage. Elle qui semblait tout craindre avant a maintenant un visage méchant, les sourcils froncés, comme un chien prêt à mordre. La transformation est impressionnante et effrayante. Françoise Fabian, en revanche, reste comme à part de tout ça. Elle ne veut pas voir, comprendre ce qu'elle a en face d'elle, elle évite, elle tourne la tête, elle change de sujet. A peine un peu d'inquiétude passe sur son visage qu'elle semble déjà avoir oublié et être passée à autre chose. Comme si la confrontation n'allait que dans un sens, dans un premier temps. Et puis, atteinte, touchée au coeur, l'inquiétude fait à nouveau surface, s'installe, s'ajoute à l'ambiance pesante pour l'aggraver encore plus. Toujours plus sombre... La mise en scène est également là pour accentuer cette tonalité inquiétante : par exemple, les jeux de lumières sont idéaux, passant de l'ombre à une lumière éclatante. Les jeux d'ombres jouent beaucoup aussi. La musique enfin, comme je l'ai mentionnée plus haut, a son importance, et ce prélude qui revient à plusieurs reprises ne fait qu'enfoncer le spectacle dans une ambiance toujours plus pesante.

Le spectacle donne finalement très envie de découvrir le film, même si je pense préférer la présence d'acteurs en chair et en os devant moi. Et pour ces trois grands comédiens, on ne peut que conseiller de découvrir cette sonate au ton malsain. ♥ ♥ ♥

Une Sonate entre la Pathétique et les Adieux


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