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Mémoire et survie du politique dans la fiction d'anticipation

Publié le 13 janvier 2014 par Marc Villemain

Et je dirai au monde toute la haine qu'il m'inspire

Suivre ce lien pour lire le travail dont il est ici question : http://www.archipel.uqam.ca/5662/

Au-delà de l'honneur qui m'est fait, c'est évidemment une (bonne) surprise pour moi que d'être tombé sur le mémoire de Maîtrise de Christian Guay-Poliquin, intitulé : Au-delà de la "fin" : mémoire et survie du politique dans la fiction d'anticipation contemporaine. Ce travail, mené au sein de l'université du Québec à Montréal, s'intéresse en effet à trois ouvrages : Dondog, d'Antoine Volodine, Warax, de Pavel Hak, enfin Et je dirai au monde toute la haine qu'il m'inspire, mon deuxième roman, que j'ai publié en 2006 chez Maren Sell Editeurs - aujourd'hui bien difficile à trouver. C'est un texte que je n'ai pas relu depuis, et qui me renvoie à une période finalement assez lointaine, un temps pour moi bien révolu, celui où, peu ou prou, je me vivais encore comme une sorte de spectateur engagé. Disons, pour le dire d'un mot, que j'ai, depuis, assez fermement claqué derrière moi la porte de l'histoire et de la politique. Aussi m'a-t-il été un peu étrange, sans même réouvrir ce roman, de lire le travail qui lui consacre Christian Guay-Poliquin.

Et je dirai au monde la haine qu'il m'inspire raconte l'histoire d'un chef d'Etat (surnommé le Guépard) qui prend l'exil après que le peuple l'a virilement chassé du pouvoir afin de le remplacer par une femme, laquelle installe aussitôt une dictature. J'avais bien sûr en tête à l'époque la figure de Marine le Pen, qui ne jouissait pas encore de la popularité que les sondages (et certains scrutins) lui confèrent aujourd'hui, mais dont le populisme à peine relooké, c'est-à-dire affublé d'un certain vernis médiatique, approfondissait déjà le travail de destruction entamé par son père.
Le livre se présente sous la forme d'un journal intime, celui d'un président déchu, donc, que l'on va suivre sur les routes de l'exil, du Mali à la Bosnie-Herzégovine. Il entre assurément dans ce que Christian Guay-Poliquin qualifie joliment d'esthétique du crépuscule, expression qui dit bien, en effet, quelque chose qui a trait à la fois à une sorte d'angoisse liée à la dégradation du politique et à un désir plus ou moins assumé de se détourner du monde. C'est là un apparent paradoxe que Christian Guay-Poliquin souligne avec raison, mais en lui donnant un sens et une historicité littéraire. Ce qui pour moi est évidemment très intéressant, tant cela me ramène à ce qui, dans les arts et spécialement la littérature, m'a toujours beaucoup intéressé, à savoir cette part du texte qui, quelle que soit la volonté et la maîtrise de son auteur, n'en finit pas de lui échapper. Naturellement, rien de ce qu'écrit Christian Guay-Poliquin ne me surprend vraiment, mais c'est une chose de le sentir, et une autre que de le lire aussi nettement dans un texte à dimension aussi rigoureusement universitaire. Pour Guay-Poliquin en effet, il s'agit de "comprendre comment les textes de Volodine, Villemain et Hak, mettent en fiction la mutation contemporaine de la pensée politique et de son imaginaire historique", textes dont il dit qu'ils "se donnent à lire comme des fictions de « l'après » qui affirment la survivance des idéaux modernes d' émancipation" : c'est peu de dire que je n'avais pas cela à en tête en écrivant cette histoire. Ce qui ne signifie pas que je n'en avais pas conscience, simplement que je n'étais peut-être pas aussi conscient que lui de ce qui s'engageait ainsi par-devers moi. Si ce texte constituait une façon littéraire, romanesque, de refermer derrière moi la porte du politique, le travail de Christian Guay-Poliquin dit au contraire que cette manière même de faire lui confère une actualité politique : je n'ai, à cela, rien à rétorquer, car il a raison : tout discours de sortie du politique constitue évidemment un discours politique. Cela, je le sais et le savais ; il est simplement, pour moi, assez surprenant, et stimulant, de le lire d'une manière aussi nette à propos d'un de mes livres.

Lire ici l'intégralité du Mémoire - format pdf.

EXTRAITS :

L'aspect politique des textes de Hak, Villemain et Volodine émerge principalement d'un questionnement historique qui, en débouchant sur une impasse, tend à déconstruire les catégories militantes des décennies précédentes. (...) Si les textes de Hak, Villemain et Volodine peuvent être lus comme oeuvres racontant le monde au-delà de sa propre fin, c'est qu'elles impliquent inévitablement une certaine « fin du monde ». Ces mises en scène de la fin, que le récit historicise en leur assignant un avenir, entretiennent toutefois des rapports serrés avec les atrocités du XXe siècle dont l'humanité fut à la fois l'incrédule responsable et le témoin stupéfait. Comprises dans leur sens le plus large, les fins fabulées par les romans du corpus reprennent le sombre héritage du siècle dernier en mettant à nouveau en relief l'aspect aporétique des grandes espérances sociales. (...) Contrairement à la science-fiction qui échafaude des mondes possibles particulièrement éloignés dans le temps, les anticipations de Hak, Villemain et Volodine sont élaborées à partir de la reformulation d'éléments, d'événements et de thématiques propres à l'histoire contemporaine. En réduisant la distance entre l' univers fictionnel et la réalité, les romans du corpus peuvent être appréhendés comme une sorte de prolongement de notre présent, ou encore comme une possibilité de notre monde. (...) Les textes de Hak, Villemain et Volodine mettent en place une poétique de l'histoire qui convertit la « fin » en commencement. Ils sont d'un grand intérêt pour penser la mémoire et la survie du politique au-delà des représentations de la fin. (...) En définitive, ce travail de réflexion vise à reconnaître aux anticipations de Hak, Villemain et Volodine, une portée critique à l'égard de notre présent. En effet, en imaginant un avenir qui fait écho à l'époque actuelle, les oeuvres de notre corpus historicisent le présent tout en portant sur lui un regard inédit, projeté à partir d'un futur imaginé. Si, comme nous l'avons démontré, l'engagement littéraire contemporain se fonde sur un rapport médiatisé avec l'histoire, nos romans, en explorant « l'avenir de notre présent », se donnent à lire comme des oeuvres qui anticipent la rétroactivité d'un futur désarticulé de son passé. De cette façon, si les communautés de la survie que l'on retrouve dans notre corpus nous dévisagent depuis l'avenir, c'est qu'elles peinent, dans ces mondes futuristes, à donner une actualité aux espérances du passé et, par conséquent, un sens à leur présent. En interrogeant leur époque, les protagonistes des textes de Hak, Villemain et Volodine, dénoncent la faille dans l'histoire où s'est rompue la chaîne de la transmission de l'expérience commune. Ainsi dépourvues de l'expérience du passé, les anticipations de notre corpus livrent les conditions de possibilité des retours aveugles de. la violence historique, notamment celle du totalitarisme.


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