Sur le pavé de la rue piétonne, deux silhouettes aux regards accrochés avancent l’une vers l’autre. Jusqu’à se retrouver nez à nez, et presque bouche à bouche. Jusqu’à n’en faire plus qu’une sur ce pavé mouillé qui les voit s’emmêler. Et de cette silhouette sortent soudain mille bras qui semblent s’agiter. Ils s’enlacent, s’embrassent, s’enlacent encore, et en un éclat de rire, effacent cette foule qui les scrute d’en bas. Lui, effleure sa longue chevelure, la main tremblante. Elle, perd un fragile sourire, le regard qui pétille. Et puis vient effleurer leurs tympans une farandole de mots. Des mots sucrés qui pansent les plaies. Des mots brûlants qui réchauffent les cœurs. Des mots d’Amour. À jamais. Pour toujours. Des mots légers qui rebondissent un instant avant de s’envoler. Mais personne ne verra ces mots-là prendre déjà le large. Personne ne leur courra après ni ne les rattrapera à bout de bras, ces mots-là. La silhouette n’est plus qu’un cœur qui bat. Alors elle ne bouge pas, et infiniment bat.
Mais lorsque le cœur de la silhouette bat un peu moins vite, un peu moins fort et qu’elle relève soudain la tête, elle se demande enfin où ils sont partis, tous ces mots-là. À s’en tordre le cou, elle scrute les yeux du monde pour s’en revêtir, encore frêle un instant. Mais ces mots-là semblent perdus à tout jamais, volatilisés en un hier évanoui. La silhouette accroche son regard à un dernier croissant de lune, et en un impossible cri, tombe à terre. Le ciel est en colère, alors le tonnerre gronde et un premier éclair vient foudroyer la silhouette à terre. Une vive douleur transperce celle qui se scinde soudain en deux morceaux aliénés. La silhouette n’est plus. Son cœur ne bat plus. Ni trop vite. Ni trop fort. Elle s’éteint sans un bruit, sur le pavé mouillé qui la voit se déchirer.
Au petit matin, sur le pavé de la rue piétonne, deux silhouettes aux regards perdus reprennent leur chemin. L’une à gauche. L’autre à droite. Sans but et sans dérive, fébriles devant cette nouvelle porte qu’il leur faudra ouvrir. Mais devant chaque porte, chacun d’eux trouvera une petite boîte couverte de poussière. Alors ils se poseront, chacun devant sa porte, et ouvriront cette boîte, et remonteront le temps. Dans cette boîte, tous deux retrouveront un peu tard, ces mots-là trop légers qui s’étaient envolés. Des sobriquets tout doux. Ma princesse. Mon Amour. Des Je t’aime pour la vie. Des Nous est le plus fort. Des Veux-tu m’épouser ? Et des Je t’attendais. Mais en ce matin-là, ces mots-là ne sont plus qu’écœurants, oppressants. Plus du tout sucrés, ni même chauds, ils donnent juste la nausée à ces deux silhouettes que le pavé mouillé distingue dériver le long d’amers regrets.
Mais qui toujours vole ces mots du premier jour ? Ces promesses en suspens qui font battre le cœur des silhouettes bêtes qui s’aiment un peu trop vite. Mais qui toujours rend ces mots le dernier jour ? Et les transforme soudain en d’immondes cafards qui grouillent encore un temps sur la plaie béante de celle qui ne sera jamais… drapée d’éternité.
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