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L’Origine du monde, du Cantique des cantiques à Pierre Louÿs

Publié le 14 janvier 2014 par Savatier

Jp. A. Calosse a signé de nombreux essai sur l’art  et les artistes ; on lui doit des ouvrages consacrés à Vermeer, Rubens, Goya, Picasso, au nu... Son dernier opus, L’Origine du monde (Parkstone Press International, 255 pages, 9,95 €), s’articule autour de la célèbre toile de Gustave Courbet. Ce livre n’est ni un roman, ni un essai historique ; il n’en révèle pas moins une approche originale, puisqu’il se compose de deux parties distinctes et complémentaires.

La première propose un florilège, certes non exhaustif, mais d’un choix sûr, de quelques textes poétiques dont le sexe féminin reste le thème central. Le Cantique des cantiques, Voltaire (Polissonnerie), Walt Whitman (Feuilles d’herbe, dans une traduction de Jules Laforgue), Baudelaire (Les Bijoux), Théophile Gautier (son poème, Musée secret, même s’il est par erreur ici daté de 1864, s’imposait), Pierre Louÿs (L’Orchidée, Le Clitoris) témoignent de différentes manières de traiter le sujet.

La seconde section s’intitule L’Extase ; elle est l’œuvre de Hans-Jürgen Dopp, spécialiste de l’art érotique auquel on doit notamment 1000 Chefs-d’œuvre de l’érotisme (2009, Terres Editions, 544 pages), qui inclut une remarquable iconographie. Bien que l’auteur cite à plusieurs reprises Georges Bataille, écrivain qui, dans la lignée de Sade et du puritanisme chrétien, relie l’érotisme à la pulsion de mort, on trouve sous sa plume une phrase significative, qui s’applique autant à l’humain dans sa recherche du plaisir qu’à l’artiste dans sa démarche de création : « Finalement, chaque manifestation de l’Eros n’est rien d’autre qu’une révolte contre la douleur et la séparation, et en dernier lieu contre la mort. » Pulsion de vie, en somme.

Hans-Jürgen Dopp livre en outre une intéressante clef de la représentation plastique du plaisir, lorsqu’il écrit : « Pourtant, même l’expression de la passion, comme nous la connaissons dans l’art européen, est conditionnée culturellement. Ainsi, ce qui se dit naturel ne dépend en réalité que des licences d’expression auxquelles nous consentons. Contrairement à l’art occidental dans lequel nous retrouvons très souvent, soit dans l’art religieux, soit dans l’art érotique, l’expression de l’extase, les visages des shungas japonais restent sans expression comme des masques. Uniquement une morsure dans un mouchoir ou des doigts de pieds cramponnés trahissent une excitation intérieure. » Cette influence culturelle s’impose en effet (prenons le visage de Thérèse d’Avila dans la Transverbération du Bernin, ou celui de la Femme au perroquet de Courbet), en dépit d’exceptions notables : ainsi, la Femme piquée par un serpent de Clésinger (1847) exposée au musée d’Orsay, qui figure une femme couchée surprise en plein orgasme, offre un visage inexpressif, alors que tout son corps (y compris la tension d’un orteil) trahit son état. Elle semble toutefois s’estomper avec l’art contemporain : on trouve ainsi, dans les mangas japonais ou les représentations artistiques liées au bondage kinbaku, un infléchissement progressif de la neutralité expressive vers des visages extatiques ; il serait intéressant d’analyser cette tendance.

L’ouvrage, en 255 pages, livre donc de courts textes dont le sens peut être discuté. Ainsi, lorsque, dans l’introduction, il est noté « Lacan, dernier propriétaire de L’Origine du monde, aimait le tableau si fort qu’il ne pouvait le regarder. Alors il le cacha derrière un tableau anodin », on s’interroge volontiers sur le simplisme de cette explication, que ne confirme pas les témoins auxquels le psychanalyste montra la toile. Pour autant, cet essai présente une belle iconographie qui, à elle seule, justifie de le lire. Parmi les nombreux tableaux, dessins, gravures ou photographies, de Giorgione à Edward Hopper, en passant par Cranach, Goya, Degas, Rops, Lautrec, Klimt et Matisse, certains sont fort connus, d’autres beaucoup moins ; l’ensemble de ces œuvres offre un panorama de l’art érotique, de la Renaissance à l’époque contemporaine, qui fait prendre la mesure de la connotation révolutionnaire de la toile de Courbet.


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