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[note de lecture] Frédérique Guétat-Liviani, Colas Baillieul, Liliane Giraudon, "Rafle", par Florence Trocmé

Par Florence Trocmé


RafleDrôle de livre que ce Rafle de Frédérique Guétat-Liviani, Liliane Giraudon et Colas Baillieul, un livre qui fait bouger intérieurement. Ce serait une sorte de dispositif, un dossier. Couverture blanc crème, le mot « Rafle », et le nom des trois auteurs. Cette couverture est comme un petit dossier, elle se déplie en quatre pans et abrite trois feuillets carrés 40 x 40, pliés. L’un avec des dessins de Liliane Giraudon, les deux autres titrés « Baraka, Marché des Capucins, Septembre 2012, 1 et 2. »  
 
En fait ce livre résulte d’une performance, créée au Festival d’Art-performance de Marseille. Une baraque (Baraka, texte de F. Guétat Liviani) construite à l’aide de 250 cagettes et puis « une table,    et quelques tabourets   pour s’asseoir autour. Sur la table il y aura   des grappes de raisin. / Tant qu’il y en aura   on restera. Après on s’en ira ».  
En septembre 2012, donc, des inconnus sont venus s’asseoir un instant dans cette baraka et ils ont écrit. Autour de quoi ? Autour de « la définition moderne et [de] la définition botanique du nom commun rafle. » 
 
C’est que rafle n’a pas que la sinistre signification  que nous connaissons, il désigne aussi ce qui reste d’une grappe de raisin quand on a mangé tous ses grains. « Ensemble du pédoncule central ou axe et des ramifications d'une grappe de fruits, en particulier d'une grappe de raisins. » (TLFI).  
Manger les grains de raisin donne le tempo de la performance. Quand ils sont tous mangés, la collecte s’arrête. La collecte, c’est ce que ceux qui entrent écrivent et qui est reproduit sur deux des trois feuillets pliés.  
 
Le sens d’un mot, son double sens particulièrement que peu connaissent, la prise de conscience de ce qu’un seul mot, pas anodin il est vrai, peut avoir comme charge pour tous et pour chacun différemment. On est vraiment au cœur d’un travail poétique.  
 
Les dessins de Liliane Giraudon évoquent en contrepoint à la fois des grains, des pas, ils représentent surtout l’arrachement qui serait au fond le thème sous-jacent de l’entreprise. L’arrachement et ce qui reste quand tout a été détaché, retiré de la grappe ; ou bien ces hommes, femmes et enfants détachés-arrachés à leur branche, raflés, biffés. Liliane Giraudon inscrit d’ailleurs près de ses dessins le mot Rieflare, terme du Moyen-Âge dont elle dit qu’il signifie « dérober, spolier, enlever la force ». 
 
C’est en quelque sorte l’inversion négative de la parabole évangélique des grains de blé et de raisins, rassemblés pour faire le pain et le vin : ici les grains sont arrachés aux trajectoires personnelles, évoquées aussi par les dessins de Liliane Giraudon. Là où il y avait liberté d’aller en trajectoires aléatoires, il y a maintenant rang, file, ligne, voie ferrée…. 
 
On retiendra enfin le tour de force qui consiste à faire livre, et livre qui tient la route et qui remue, à partir d’une performance poétique. C’est au fond assez rare. Le livre est plus qu’une trace pour mémoire, il a sa vie propre.  
 
[Florence Trocmé] 
 
Frédérique Guétat-Liviani, Colas Baillieul, Liliane Giraudon, Rafle, Fidel Anthelme X, 2013, 7€  
 


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