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Les Nuits du Caire, Gilbert Sinoué

Publié le 18 janvier 2014 par Kenza

Les Nuits du Caire, Gilbert Sinoué

Georges Antoine Rochegrosse (1859-1938), Musicienne égyptienne jouant du luth


Les Nuits du Caire, Gilbert Sinoué

Les Nuits du Caire
- Vous avez vécu dans le souvenir du bonheur, Karim. Or, rien n'empêche le bonheur comme le souvenir du bonheur. Gilbert Sinoué


Extrait  «Je suis né d'une ville enceinte de lumière qu'un fleuve têtu traverse lentement. Je suis né entre deux rives, femelles engrossées, qui bataillent le désert depuis la nuit des temps.   C'est ici, par hasard, que la nature survit parmi les ombres vertes, vaguement disséminées. Par hasard aussi que le vent ensemence les cités palmeraies. Je suis né d'un limon inséminé de tout ; d'un pays à l'été infini et qui n'en finit pas. Les dieux l'ont parcouru un soir d'il y a longtemps, signant au pied des dunes leurs gestes démesurés. Depuis lors, Horus, Harmakhis, Maât et les autres sommeillent dans une vallée royale en allée du présent, tandis que leurs enfants, boueux, surnuméraires, cherchent désespérément le dernier lac sacré. C'est ici que tout se noue dans la sueur des mots, le croisement des regards, les langueurs anonymes. Ici que l'on apprend le vrai sens du mot destin, de l'écrit, du mektoub, l'autre pseudonyme de Dieu.   Minuit et demi, écrivait le vieil homme dont la silhouette courbée hantait et hante encore les rues d'Alexandrie. Le temps a fui, depuis qu'à neuf heures j'ai allumé ma lampe et me suis installé ici. Je suis resté sans lire, sans parler. À qui parler, seul, dans cette maison ? Depuis qu'à neuf heures j'ai ravivé ma lampe, l'image de mon jeune corps m'est apparue et celle des chambres tièdes, parfumées, et celle des voluptés passées. J'ai revu des rues qui ont perdu leur visage, des femmes et des hommes qui ont cessé d'exister, des théâtres et des cafés défunts. Limage de mon jeune corps m'est apparue et m'a rappelé des souvenirs terribles : deuils de famille, séparations, sentiments des miens, volontés des morts dont on a fait si peu de cas. Minuit et demi. Comme le temps fuit ! Minuit et demi. Comme elles passent les années !   Lawrence Durrell n'est plus. Si la façade rococo de l'hôtel Cecil ouvre toujours sur la mer, ce n'est plus l'hôtel Cecil. Justine, Balthazar, Mountolive et Clea se sont dilués sous l'effet du soleil ; ils ont coulé dans l'asphalte.   Le Caire vibre toujours sous les coups de boutoir du désert et toujours le vent soulève la chevelure calcaire du Mokattam, pulvérise des volutes de sable qui s'élèvent, tourbillonnent, virevoltent avant de saupoudrer les fenêtres, les terrasses, les ruelles, les minarets, les devantures, les cordes à linge, s'infiltrent partout ; poussière millénaire, combat perdu d'avance.   Au pied des pyramides, depuis des heures et sous quarante degrés, un balayeur impavide balaye le sable qui recouvre la route. À peine quelques mètres dégagés, tout est à recommencer. Fatalité. Combat perdu d'avance. Qu'importe ! Telle est la volonté du Tout Puissant. Patience. Patience. Le peuple égyptien n'est fait que de patience. Demain, mon petit. Demain, mon fils. Inch Allah. Tout ira mieux. N’oublie jamais : Perses, Grecs, Romains, Mamelouks, Turcs, français, Anglais ; tout ce monde a battu en retraite et nous sommes toujours là. » Arthaud
******* Merci Myriam pour ce très beau cadeau!

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