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Drôle d’endroit pour des rencontres 2014Jour 3 : l’esprit de 1983

Publié le 25 janvier 2014 par Boustoune

Journal de bord, jour 3 : vendredi 24 janvier 2014,
pour “La Marche” de Nabil Ben Yadir (2013).

Il est 13h30. Je saute du tram, et entre pour la dernière fois de ce festival dans le hall des Alizés. Je me dirige vers l’habituelle hôtesse d’accueil, souriante et agréable. Je prends ma place, mettant quelque temps avant de retrouver mon pass presse, évidemment enfoui dans le bazar sans nom de mon sac à main. Il faut croire que je ne changerais jamais !

La salle est plutôt bien remplie. Et je ne connais pas du tout le sujet du film qui m’attend. J’observe le public silencieux quand soudain, une jeune fille s’assoit à un siège de moi. Puis me demande de garder ses affaires un moment. J’accepte volontiers, son sourire est communicatif. J’ai à peine le temps de parcourir le programme du festival que ma voisine est déjà de retour, et nous commençons à échanger. Une fois encore, je fais la découverte d’une nouvelle personne. C’est fabuleux ! D’autant plus que lors de mon arrivée, le directeur du cinéma m’a reconnue et m’a chaleureusement saluée ; ce sont de petits choses simples, je sais, mais ces attentions et cette gentillesse me touchent profondément. Il est effectivement très plaisant d’avoir un accueil de la sorte, et que l’on se souvienne de moi.

La discussion entre l’étudiante en psychologie et moi-même prend rapidement fin car Marc Van Maele monte sur l’avant de l’estrade, un micro à la main. Avec sa traditionnelle joie, il nous présente le déroulé du festival, annonçant les évènements phares à venir, tel qu’un pique-nique convivial le dimanche soir. Cependant, je ne répondrai pas présente ce jour-là ni demain d’ailleurs, car je passe un week-end à la campagne, au calme, loin de tous les tumultes incessants de la ville.

Puis c’est une demoiselle qui prend le relai de cette ouverture, nous donnant quelques brèves informations sur le film et le réalisateur qui, normalement attendu à la projection, n’a pas pu venir. Je ne suis pas trop déçue, en vérité, car une fois le long-métrage achevé, je dois filer prendre le tram – comme ma voisine.

Marche

Avec cette réalisation, Nabil Ben Yadir rend hommage à une étape majeure de l’histoire de France dans les années quatre-vingt : la Marche de l’Egalité. 1983. Marche pacifiste contre le racisme. Ces simples mots suffisent pour me faire une petite idée de ce qui m’attend dans la salle aux sièges rouge vif : un combat. Des luttes courageuses, humaines qui s’opposent à l’intolérance et aux violences de l’époque, ayant pour victimes des immigrés en quête de leurs propres droits. L’émotion est donc juste là, tout près et je suis impatiente de découvrir une page de l’histoire de l’humanité, qui m’était encore inconnue jusqu’à ce matin.

On nous déclare également que l’un des militants de ce mouvement sera présent après la séance pour discuter avec le public, et même si je suis déçue de ne pouvoir assister au débat, je sais aussi pertinemment que face à ce genre de thème, je suis bien incapable de m’exprimer à chaud, directement éjectée du film.

J’applaudis suite aux derniers mots de Monsieur Van Maele et sa collègue, puis m’installe confortablement dans mon fauteuil.

Ça va commencer.

Les murmures dans les lieux s’estompent, les portables sont glissés dans les sacs et l’obscurité prend alors possession de tout l’espace qui m’entoure. J’adore cette sensation, d’ailleurs. Comme si j’étais plongée dans le noir, juste avant de m’endormir pour aller tout droit au pays des songes – au pays des Images.

Des jeunes hommes ouvrent la réalisation de Ben Yadir. Avec leurs visages marqués par la fatigue, faiblement éclairés par les lampadaires de leur quartier, les Minguettes de Vénissieux. Là où tout commence, d’ailleurs. Néanmoins, la violence nous frappe de plein fouet. D’un coup. Ou plutôt, ce sont des coups que les personnages prennent, affolant la caméra, totalement incapable de gérer tant de brutalité. Des chiens et des policiers agressifs ; voilà ce qui s’attaque à la bande d’adolescents. Mais aussi à nous.

La marche - 4

L’ambiance semble s’imposer dès ce début du long-métrage, pourtant, c’est par différentes manières subtiles que le cinéaste nous fait subir la violence que vivent les protagonistes. Ici, la caméra n’est pas seulement un regard sincère et réaliste sur ces jeunes gens qui se battent contre le racisme, mais c’est aussi nous, spectateurs. Je me sens totalement impliquée dans le flux des actions, des images en vérité. Je prends part au mouvement, je m’engage auprès de personnes courageuses et diverses.

Une fois encore, comme dans tous les autres films que j’ai découvert pendant ce festival, le réalisme me happe entièrement, me faisant oublier que je suis assise dans le noir, et nullement dehors à chercher des gens pour participer à la Marche. Le réalisateur parvient avec brio à donner une épaisseur à ses personnages, avec des plans rapprochés, crus et sans un quelconque soin de les rendre parfaits. Puisque la perfection n’existe pas. Mais chaque protagoniste parvient à me toucher, que ce soit celui d’Hafsia Herzi, douce et courageuse étudiante, ou celui d’Oliver Gourmet, poignant et attachant. Tous ont leurs défauts, leurs tics mais c’est parce qu’ils sont différents qu’ils sont beaux. Et c’est par leurs différences qu’ils peuvent mener une lutte pacifiste, non-violente contre la cruauté des autorités envers les immigrés et leurs proches – je pense au jeune Sylvain, par exemple, côtoyant ses potes colorés des Minguettes.

La marche - 3

Les réunions s’enchaînent et les discussions animées aussi, se mêlant en un patchwork d’opinions, de cris, de rires et de silences. Tout personnage de ce film apparaît comme entier, réel et surtout, sincère. Le chauffeur de la camionnette du petit cortège, bougon et peu bavard, s’affirme toutefois comme un homme soucieux de son équipe. Et au cœur tendre. C’est exactement ce que dit une vieille femme qui héberge les Marcheurs : ils ont « du coeur ». Et c’est cette humanité qui habite ce long-métrage. Les êtres sont partout, ils sont l’âme de chaque seconde de La Marche. Ils avancent ensemble, vivent ensemble – et marchent ensemble. Pour leurs droits individuels et collectifs. Pour l’égalité de tous. Pour lutter contre l’une des pires bêtises de l’Homme : la peur de l’Autre. Le racisme.

La violence est partout, en vérité. Menaçante. Entre les télégrammes qui résonnent comme les coups du Jugement Dernier, les attaques frontales de notre petit groupe et le refus de la différence, d’Autrui hantent les personnages. Et nous hantent. Mon cœur s’emballe maintes fois au cours de ce film historique bouleversant, parfois drôle et illuminé par l’Espoir. Cependant, je sens également les larmes couler le long de mes joues tièdes. Parce que leur motivation sans relâche me donne envie d’y croire, moi aussi. A cette Marche. Qui peut faire bouger les choses. Et cesser ces agressions, ces meurtres à l’origine d’une injustice, d’une intolérance humaines.

La marche - 5

Oh, et me voilà qui frissonne actuellement tant ce film m’a emportée dans sa force, sa bravoure et ses failles tout comme ses réussites.

D’ailleurs, si le réalisateur dédie son travail aux Marcheurs de 1983, c’est bel et bien parce qu’il incarne cette révolte incessante, partisane du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King. Au nom de l’Egalité. Tous ces engagements et cette solidarité me chamboulent. Et me posent question. Serions-nous aujourd’hui capable de faire comme tel ? Je n’en sais rien. La société actuelle me semble fréquemment si passive et motivée que par une seule chose, l’argent, que… Pourrions-nous refaire mai 68 ? Ainsi que la Marche de 83 ? Rien n’est moins sûr.

Les prises de parole de chaque militant sont filmées avec une justesse et une proximité déroutantes. Qu’il y ait de la musique ou non, ma gorge se noue, mes yeux se gonflent et je me retiens de lever à mon tour le bras, en signe de véritable soutien à ces manifestations humaines et revendiquant le droit d’Exister. Oui, c’est « juste le droit d’exister » que demandent ces immigrés. D’ailleurs, le long-métrage est ponctué de temps à autres d’images d’archives, rendant le propos encore plus crédible, encore plus fort. Tout comme les regards caméras lors des séances de photos improvisées qui s’adressent à nous, observateurs. Et à nous, acteurs de demain.

La marche - 9

Le combat pour l’Egalité est loin d’être terminé. Il vient juste de commencer. Et c’est ainsi que j’ai reçu ces deux heures (étonnamment courtes) d’appel à l’Humain : il nous faut prendre la relève de la Marche. Il faut continuer à lutter. Car même si les Marcheurs ont triomphé, l’Etat s’est ensuite emparé de leur véritable combat. Ce pourquoi le flambeau est en notre possession. Cela ne tient qu’à nous de croire en l’Egalité.

Je suis consciente que je me répète, mais c’est bien la Vie que parvient à capter le cinéaste derrière son objectif de caméra. Avec ces pleurs, ces entretiens belliqueux, ces tendres baisers, ces sourires, ces sanglantes agressions et tant d’instants précieux qui font de nous des êtres d’exception. Uniques. Et différents.

La marche - 2

La musique m’arrache des sanglots. J’avale ma salive avec difficulté.
Je sens que la fin du film approche et… J’ai raison, les cartons finaux racontent les conséquences et résultats de la Marche de l’Egalité. Ma vue se brouille, je ne me sens pas de rester plus longtemps. Sans oublier que je dois partir, de toute façon. Je quitte alors la salle en compagnie de ma voisine, la tête basse et les yeux rougis. L’esprit embrumé. Et surtout, je me sens profondément habitée par un sentiment de… révolte ?

Je sors à l’air frais, mais je n’arrive pas à oublier les drapeaux, les pancartes et les chants de groupe, solidaires et révolutionnaires. 1983 bouillonne en moi. Me donnant la furieuse envie de hurler contre le monde, l’injustice et tout cet irrespect qui circule dans nos sociétés éclectiques. C’est une véritable flamme qui s’allume aux tréfonds de mon être. Ou du moins, qui se ravive. Encore. Et ce n’est pas la dernière fois, ouh que non.

Ainsi s’achève pour moi cette magnifique aventure qu’est le festival du cinéma Les Alizés à Bron. Je suis sans mots – ou presque. Et extrêmement reconnaissante envers Marc Van Maele et toute son adorable équipe. C’est grâce à eux que j’ai vécu de purs moments de Cinéma. Et de Vie.

Je te remercie également, Antoine. Oui, de tout mon cœur. Et je t’interdis de contester mes propos. C’est… Marion, retiens tes larmes. Concentre-toi. Tu as une phrase de conclusion à écrire. Pour les autres. Et pour toi.

Merci. Merci à l’Art de me faire si pleinement exister.

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