Il y a cinq ans, Ponyo sur la falaise marquait une évolution graphique dans l’univers d’Hayao Miyazaki. Le dessin était plus simple, plus épuré, plus “enfantin” pour raconter une magnifique fable fantastique, offrant de nombreux niveaux de lecture pour les enfants et les adultes.
Aujourd’hui, Le Vent se lève fait lui aussi souffler un vent nouveau sur l’oeuvre miyazakienne, car si esthétiquement, le maître de l’animation nippone revient au style qui a fait sa réputation et que la musique de Joe Isaïchi vient une fois de plus nous ravir les oreilles, cette nouvelle production des studios Ghibli évolue cette fois ci dans un registre totalement réaliste – à l’exception d’une ou deux scènes oniriques.
Une première pour Miyazaki, en tant que réalisateur du moins (1)…
Certes les thèmes abordés portent totalement la patte du cinéaste – de la fascination pour les machines volantes jusqu’à la condamnation de la guerre – mais l’environnement de ce nouveau long-métrage est entièrement ancrée dans le réel. Pas de créatures pelucheuses, de sorcières, de monstres et d’animaux qui parlent… Il s’agit de l’histoire vraie de Jirô Horikoshi, l’ingénieur en aéronautique qui a conçu les “zéros” nippons utilisés pendant la seconde guerre mondiale. Le destin d’un petit garçon qui revaît de construire des avions pour le bien du peuple, mais dont les inventions ont servi à détruire et à tuer.
Cela a induit un autre changement par rapport aux oeuvres précédentes de Miyazaki : le film divise et suscite de fortes polémiques, au Japon comme dans le reste du monde. Certains ultranationalistes nippons l’ont accusé de “trahir sa patrie” en “salissant la mémoire” d’un héros national, réduit à un doux rêveur idéaliste. D’autres personnes déplorent exactement l’inverse. Ils s’insurgent contre le choix d’un personnage ayant une responsabilité indirecte dans la mort de milliers de soldats adverses et de civils,…
Il est vrai qu’on peut lui reprocher, à la rigueur, de ne pas plus exploiter le trouble du personnage, tiraillé entre sa passion pour les avions et l’utilisation guerrière qu’en ont fait les dirigeants japonais. Il est bien question à plusieurs reprises du désastre vers lequel court le Japon s’il s’allie à l’Allemagne et déclare la guerre aux Etats-Unis et à la Chine – avec les explosions nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki sous-jacentes – mais la fin est un peu abrupte et intervient pile au moment où l’on aimerait que le récit prenne son envol.
Mais comment peut-on prêter des intentions nationalistes et pro-militaristes à un cinéaste dont toute l’oeuvre est impregné de messages de Paix, de Fraternité, et où l’irruption du fantastique et de l’onirisme vient justement aider les enfants à appréhender des sujets graves, douloureux, adultes?!?
Surtout que le cinéaste s’est distingué, récemment, en s’opposant à la révision de la constitution japonaise, portant notamment sur l’interdiction faite au Japon de déclarer la guerre à un autre pays ou d’user de la force pour résoudre les conflits…
En fait, il utilise l’histoire de Jirô Horikoshi car elle lui rappelle un peu sa propre histoire et qu’elle lui permet de rendre hommage à ses parents. La famille Miyazaki possédait en effet une entreprise aéronautique et a travaillé sur les “zéro” en question. C’est la raison pour laquelle Hayao, enfant, s’est pris de passion pour les machines volantes. Le petit garçon de son film, avec ses grosses lunettes rondes, c’est autant Jirô Horikoshi que lui. Et la femme de Jirô, qui se retrouve à un moment confrontée à une épidémie de tuberculose, évoque la mère du cinéaste, qui a elle aussi longtemps souffert de cette maladie (2).
En racontant de façon réaliste cette histoire à la fois différente de la sienne et assez similaire, à bien des égards, Miyazaki ne fait rien d’autre que d’utiliser le même procédé que pour ses oeuvres précédentes, il raconte ses obsessions personnelles, ses pires cauchemars, ses traumas enfantins, en les greffant sur d’autres personnages. Jusque là, le Maître utilsait les mécanismes des rêves en ajoutant à ses films une bonne dose d’onirisme et de fantastique. Comme si son inconscient continuait de refouler les blessures du passé. Là, il n’utilise plus cet artifice. C’est peut-être pour cela qu’il a décidé d’arrêter sa carrière sur ce film-là. Parce que chaque film le rapprochait un peu plus frontalement de son autobiographie et qu’il a refusé de se laisser rattraper complètement par le réel.
Même si l’approche réaliste du film désarçonnera peut-être certains admirateurs du cinéaste, l’émotion est quand même bien au rendez-vous, grâce à la poésie de l’ensemble et sa force mélodramatique de l’histoire d’amour qui sert de poignant fil conducteur au récit. Autant dire qu’il faudrait être totalement insensible pour ne pas verser sa petite larme face à cet ultime chef d’oeuvre.
A un moment dans le film, un personnage dit qu’un ingénieur aéronautique n’est productif que dix ans, avant de préciser : “comme les artistes…”.
Dans ce cas, Miyazaki fait figure d’exception majeure, puisque pendant plus de trente ans, il nous a offert des merveilles de films d’animation. Et celui-ci ne déroge pas à la règle…
Souhaitons-lui une retraite bien méritée auprès de Totoro, Chihiro, Ponyo et les autres…
(1) : Il a écrit des scénarios aux intrigues purement réalistes, comme La Colline aux coquelicots, mis en scène par son fils Goro.
(2) : C’est ce qui a inspiré l’intrigue de Mon voisin Totoro.
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Le Vent se lève
Kaze Tachinu
Réalisateur: Hayao Miyazaki
Avec : –
Origine : Japon
Genre : biopic pas loin de l’autobiographie
Durée : 2h06
Date de sortie France : 22/01/2014
Note pour ce film :●●●●●●
Contrepoint critique : Metrowews
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