On l'a appris le 7 janvier dernier, juste après les festivités du jour de l'an et la galette à peine avalée : c'est bien Jane Campion qui a été choisie par Thierry Frémaux et ses sbires pour présider le jury du 67e Festival de Cannes, du 14 au 25 mai prochain, succèdant ainsi à l'immense Steven Spielberg.
Née en 1954 à Wellington, Jane Campion est bien évidemment connue comme étant l'unique réalisatrice à avoir décroché la Palme d’Or avec “La leçon de piano”, Palme d’Or en 1993, Mais c'est aussi la seule cinéaste de la Croisette - hommes et femmes confondus - à avoir été récompensée à la fois dans la catégorie court et long-métrage. Personnalité indépendante et anticonformiste, Campion est notamment connue pour avoir plaidé sans cesse la cause du cinéma féminin, et son œuvre a été marquée par une impressionnante galerie de personnages féminins marginaux et déterminés, aux prises avec les carcans de leurs époques.
Et cette constante se confirme de très belle façon avec la dernière oeuvre que je viens de voir d'elle, cette fameuse mini-série réalisée pour la télévision, "Top Of the lake", qui avait fait pas mal le buzz lors de sa diffusion en novembre dernier et que j'ai pu rattraper très récemment en DVD (un grand merci à Arte éditions.
De plus en plus rare au cinéma (3 films en 15 ans et le dernier "Bright Star" sorti en 2009 ), Jane Campion a investi donc à son tour l'univers de la série télé, surfant sur la vague des cinéastes les plus réputés attirés par le petit écran (je pense à David Fincher, Michaël Mann, et même à mon idole James Gray qui va prochainement s'y mettre).
La raison est évidente, pour qui connait bien l'univers et les principes de base de l'oeuvre de Jane Campion, une oeuvre marquée par une folle envie de prendre son temps; son cinéma étant dominé avant tout par une approche très complentative, très étirée et ethérée du temps.
Réalisée par Jane Campion en binome avec un certain Gerard Lee, et produite par la BBC, 'Top of the lake' a été diffusée sur Arte il y a quelques semaines de cela, et, pour ma part, j'ai commencé à le voir au lendemain de l'annonce de la nomination de Jane Campion à la tête du Jury de Cannes 2014
L'histoire est assez simple : dès la première image, on y voit une fillette de douze ans s’enfonce dans un lac, on découvre vite qu’elle est enceinte et l’enquêtrice Robin Griffin, se retrouve propulsée dans les secrets et manigances de la ville. Un groupe de femme ( ces femmes indépendantes qu'aime tant Jane C), menée par une sorte de gourou aux longs cheveux blancs ( méconnaissable Holly Hunter), s’installe sur un terrain appelé Paradise pour mettre de côté la société et se réapproprier leur corps, leur liberté. Elles oublient le rythme infernal des grandes villes comme est invité à le faire le spectateur. Mais cet apaisement apparent, cette magnifique nature vont être évidemment perturbés par un mal ambiant. Face à celles vont se dresser une meute d’hommes dont le chef, effrayant à souhait, (incarné par Peter Mullan), n'est autre que le père de la fillette en question.
Comme quand elle réalise, Jane Campion s'est arrimée à un projet ambitieux, de haut niveau artistique, et pour lequel elle a obtenu une liberté totale. Et çette liberté se ressent pendant toute la durée de la série : que ce soit dans la rythme, les personnages, le ton ou les décors, Jane Campion a infusé tout son univers dans cette série, sans jamais chercher à se compromettre pour toucher un plus large public. Ce "top of the lake" séduira quiconque qui décide d'entrer sans hésiter dans cette ambiance particulière, car celui ci ne peut qu'être que touché par sa dimension à la fois ultra mélancolique et même fanstamagorique.
Ce "Top of the Lake" se distingue avant tout, comme du reste, les autres longs métrages de la cinéaste, par son rythme si particulier, cette temporalité que la série installe et par un tempo si particulier qui marque le déroulement des évènements, donnant un coté à la fois opressant et envoutant à cette série (pas loin de la sensation ressentie en voyant les superbes Revenants, la série de Fabrice Gobert dont j'avais dit tout le bien ici même).
Ce rythme permet ainsi d'imprégner le spectateur et de vraiment caractériser les personnages, et il donne également à cette série la profondeur et l''intensité inhérentes à toute bonne série dramatique (celles que je préfère, vous me connaissez maintenant, je pense).
L'autre grande qualité de Top of the lake réside évidemment dans sa beauté plastique. Jane Campion nous offre en effet un sublime panorama de sa Nouvelle Zélande qu'elle aime tant et de ses paysages fantastiques, et ce coin surnommé à bon escient Paradise (même si ce paradise sera proche de l'enfer pour certains des personnages) un décor grandiose et diablement mélancolique.
Mais Jane Campion ne fait pas que de (splendides) images de paysages, elle sait également parfaitement cerner les enjeux et les rivalités qui saississent une petite bourgade où tout le monde se connait depuis la naissance.
Alors certes, le scénario est parfois un peu faiblard, et pourra dérouter ceux qui s'attendent à des rebondissements en cascades (et le denouement du dernier épisode est certainement un peu déceptif, car un peu trop attendu et un peu racoleur), mais cette série nous démontre quand même une fresque assez terrifiante et captivante des rapports humains de la Nouvelle Zélande, à la fois brutaux, machistes, voire presque tribaux !
Et parmi ces êtres primaires, pris dans leurs sphères de violences intrenséques, le toujours excellent Peter Mullan, parvient à cette prouesse de rendre (presque) attachant son personnage de brute immorale.... Bref, assurément une très belle série à découvrir pour ceux ou celles qui désirent se plonger dans l'oeuvre de la future présidente du Jury de Cannes, histoire de deviner quels genres de films elle pourrait récompenser d'ici quelques mois.
Top of the Lake - Trailer
La série raconte l'enquête d'une jeune inspectrice sur la disparition d'une fillette enceinte de douze ans dans un petite ville lacustre du Sud de la Nouvelle-Zélande. Elle aborde, par un style cinématographique de film policier adapté au petit écran et de façon non-manichéenne, la question des violences faites aux femmes et la lutte entre le bien et le mal dans un « Paradis du bout du monde ». Les acteurs Elisabeth Moss, Peter Mullan, Holly Hunter et David Wenham occupent les rôles principaux et la réalisation est assurée par Campion et Garth Davis.
D'une durée totale de six heures, elle est présentée au public dans les festivals de cinéma de Sundance, Berlin puis Cannes en 2013 avant d'être diffusée à la télévision. En France, Arte a acheté les droits de diffusion, prévue à la rentrée 2013. Top of the Lake a reçu un grand nombre de critiques positives, notamment sur la qualité de la réalisation et du jeu des acteurs, saluant le rythme lent, la beauté des décors et le scénario travaillé." itemprop="description" />