Esclarmonde est la seule fille d'un seigneur qui a décidé de la marier avec le fils du voisin. Or, la jeune demoiselle refuse la main de cet homme qui la répugne. Le jour des noces, elle se coupe l'oreille et décline ses différents souhaits : elle sera emmurée vivante dans l'église que devra bâtir son père en l'honneur de Sainte Agnès. Les habitants du domaine des Murmures sont sous le choc, mais Esclarmonde parle avec la voix de Dieu.
Une fois piégée entre les pierres infranchissables de sa tour, Esclarmonde devient un symbole dans tout le pays : tous les pélerins passent par le domaine des Murmures pour écouter la voix divine et suivre les recommandations de la jeune vierge emmurée.
Hélas, le malheur suinte entre les barreaux de sa cellule : Esclarmonde se noie dans le silence, son père part en Croisades et sa belle-mère exécre le rôle nouveau de cette jeune martyre.
Quel démon venait ainsi me dévorer les entrailles ? Me dévorer de l'intérieur ? Ça m'habitait, ça frappait là-dedans, ça courait sous ma peau comme une main sous un drap.
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Le coeur cousu fut un coup de coeur. Du domaine des Murmures confirme mon amour pour la plume de la brillante Carole Martinez. L'auteure francophone d'origines espagnoles est une magicienne : elle transmet des émotions comme aucun autre passeur de mots. Je suis sous le charme.
Dans son second roman, elle affirme à nouveau son amour pour l'histoire, et plus précisément l'histoire des femmes (ou les femmes à travers l'histoire...). Esclarmonde est un personnage autant révoltant qu'attachant. Elle décide d'elle même de se murer vivante dans une prison de prières. Pourquoi tant d'acharnement contre elle-même ? L'époque est en cause, pleine de croyances et d'ignorances surtout, cette époque incroyablement décrite, aux travers des yeux voilées de la jeune vierge à l'amour débordant.
Pourtant les obstacles entre Esclarmonde et le Divin sont nombreux : les hommes sont viles, les hommes sont faibles, mais surtout, les hommes sont crédules. Esclarmonde s'enferme dans son rôle et devient la Sainte du domaine des Murmures. Elle devient la voix de Dieu pour les hommes bas et faibles. Elle dirige son monde en priant, en espérant et en pleurant.
Ainsi, le lecteur est lui aussi piégé entre quatre murs, piégé parmi les phrases acérées de Carole Martinez, comme une sentance d'encre. Les émotions s'enchaînent, poignantes. Poétique, dure, puissante, la plume est maîtrisée, mordante. Un souffle, un ouragan. Magie des mots.