Editions du Seuil, 2014
Les Indiens et l'Amérique des origines ont le vent en poupe en ce moment dans la littérature française. Après le génial Faillir être flingué de Céline Minard qui nous conte de manière inattendue la naissance d'une ville du Far West, voici Patrick Grainville (Prix Goncourt en 1975) qui nous relate les aventures d'un peintre chez les Sioux dans les années 1830.
Voici un magnifique roman historique nous livrant une peinture du monde indien à la veille de la conquête blanche...Nous sommes en 1828. George Catlin (voir son site), peintre à Philadelphie, quitte sa vie bourgeoise pour aller rejoindre les camps indiens encore inviolés de toute civilisation occidentale. Mais il sent la menace colonisatrice s'approcher dangereusement...alors il va s'evertuer à peindre les visages, les familles, les scènes de vie et collecter les objets de toute une culture.
L'histoire nous est racontée par le narrateur mais avec le regard omniscient de Catlin. Et l'auteur nous livre de magnifiques tableaux examinant en profondeur la civilisation indienne, loin des clichés habituels.
Portrait d'une civilisation mais aussi magnifiques portraits individuels. Grainville/Catlin donne chair à ses tableaux en prenant soin de nous présenter à chaque fois des protagonistes à la personnalité bien particulière. Le lecteur s'attache de suite aux personnages, aussi bien hommes que femmes. Aigle Rouge, le chef sioux, guerrier et jaloux de sa belle captive. Elan noir, son frère, souffrant du soleil noir de la mélancolie.
Le protagoniste inoubliable est Oiseau Deux couleurs, un "berdache", homme travesti en femme, ayant des pouvoirs de chamane et de guérisseur. Il tombera amoureux d'une captive, la belle Louve blanche, elle aussi "deux esprits".
Le peintre va suivre ces individus, découvrir leurs drames et leurs traditions sans jamais juger leurs actes sanguinaires et sauvages. Le peintre-écrivain construit de vastes scènes originelles comme de longs plans séquences : chasse du bison, danse du soleil, grandes batailles entre tribues...
Dans ce tableau, au rouge du sang et de la passion, s'oppose le vert des collines et des
prairies inviolées, à mille lieux des clichés du désert dans lequel s'affrontent cow-boys et indiens. Le vert paradis des amours enfantines cher à Baudelaire. Le vert où tout péché originel est
absent, où hommes et femmes ou hommes/femmes peuvent s'aimer librement...
Le peintre Catlin est vu comme un nouveau chamane qui veut retenir le vivant ou ne faire qu'un avec le monde alors que le monde indien n'est que itinérance et prodigalité. L'un veut garder, thésauriser, les autres prennent la vie comme elle va et font l'apologie du don.
Mais ces deux contradictions finiront par se rejoindre...par l'écrivain-peintre qui retranscrira à merveille des scènes exaltant l'instinct de vie et le mouvement pour les rendre éternels...
Une belle oeuvre poétique, au lyrisme maîtrisé. En deux mots, magnifique
!