La création par l’art

L’artiste sait-il ce qu’il fait ou est-il poussé par une force qui le dépasse ? Le poète antique commence en invoquant la déesse de son art ; l’audace de créer est portée par sa confiance dans le pouvoir de la Muse. Cette invocation symbolise l’incertitude de l’artiste qui se met au travail sans savoir par avance si ce qu’il fait sera réussi.

Pour être assuré du résultat il faudrait avoir un modèle à imiter. Mais rien n’est plus opposé au génie que l’imitation. Lorsqu’une école se forme, de peinture ou de poésie, on discerne bientôt lesquels sont les maîtres, lesquels les disciples. L’originalité est la marque du créateur véritable. Il est celui que les autres imitent sans que lui imite personne.

Dans le fait, la création ne ressemble pas à la reproduction d’un objet préexistant, mais à une découverte progressive et imprévisible. L’artiste ne contemple pas un modèle ; il assiste à la naissance de son oeuvre, dont il est à la fois l’auteur et le spectateur. C’est pourquoi il se surprend et s’enchante lui-même de ce qu’il invente.

Alain prend l’exemple du peintre de portrait. Il est évident qu’il ne peut savoir d’avance toutes les couleurs qu’il utilisera. Mais c’est en corrigeant peu à peu ce qui apparaît à ses yeux qu’il applique tel ton, pose telle touche. Son travail n’est pas d’imaginer plus, mais de mieux percevoir. Ainsi des autres arts. Le poète perçoit la beauté d’un vers au moment où il le prononce pour la première fois.

De même que nous ne savons ce que nous pensons qu’après l’avoir formulé, l’artiste découvre ce qu’il sait faire en même temps qu’il le fait. L’idée ne précède pas l’oeuvre, mais lui succède. Ce qui définit la création.