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VII. Suite avec vue

Publié le 07 février 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Déroulé des jours qui se suivent sans vraiment se ressembler. Les avions passent au-dessus de ma tête, les images défilent, celles d’un temple perdu dans le nord de la Thaïlande ; on dirait qu’on arrive pas vraiment à vivre avec les images du passé et que pour finalement y arriver, on se construit un futur qui ressemble toujours à ce qu’on a déjà vécu. Ce n’est pas toujours très agréable.

Lundi 03.02

C’est l’anniversaire de mon père aujourd’hui. Il a 60 ans. 60 ans, déjà, il part à la retraite à la fin de l’année, l’a annoncé à son patron, il ne fera pas un an de plus dans cette boîte. J’ai vingt ans d’écart avec mon père. 60 ans c’est dans 20 ans, voilà, c’est tout, c’est ce qui m’attend, et franchement, je trouve ça flippant.

Je fais ce que je peux pour retarder la lecture d’Equatoria de Patrick Deville mais c’est plus compliqué que ça n’y paraît. Je me dis tant pis, que je finirai bien par tout relire une fois que j’aurais terminé. Je me pose maintenant la question de savoir qu’est-ce que je vais emmener en voyage. William Dalrymple ? Jared Diamond ? Robert Byron ? Pourquoi pas T.E. Lawrence ? Aucune idée pour l’instant. Jour J-16.

Mardi 04.02

Je n’ai pas du tout aimé la journée de travail d’hier. Je l’ai même détesté ; il y avait une ambiance étrange que je n’aime pas voir perdurer. Et je ne sais pas si cela nait d’une relation de cause à effet, mais je ne me sens pas bien ce matin, comme environné d’une tristesse anormale. Peut-être mes angoisses de dépressif qui sortent lorsque je n’ai pas l’esprit suffisamment occupé. Değilim.

Aucune joie en ce moment, rien que ne me porte, rien qui ne me donne satisfaction. Un de ces fameux moments de creux, pendant lesquels il ne se passe rien. Comme on dit en sociologie, ce sont ces moments où il ne se passent que se transforme quelque chose… Avant que la terre ne tremble, les plaques se déplacent à une vitesse imperceptible, suffisamment lente pour mimer la stabilité.

zezoua ottomane

Mêmes rituels tous les matins, inlassablement répétés. Je ne suis pas fait pour rester toujours au même endroit — mon être nomade est en train de ressortir, la bête sauvage est en train de tuer le mouton, me dévore de l’intérieur, brûle mes entrailles. Je vais mourir à petit feu si je ne me transporte pas ailleurs. Değilim.

En finir avec les métaphores… Je vais continuer à développer ma vie dans une chambre noire.

Mercredi 05.02

Je suis allé travailler hier matin la fatigue chevillée au corps, le moral dans les chaussettes ; j’en suis revenu heureux, comme si de ma capacité à me mobiliser provenait la puissance qui me permet d’avancer. Je me suis retrouvé à m’extasier devant une calligraphie arabe, le cœur battant en me disant que cela faisait partie des choses qui me font vibrer et que décidément, j’aurais bien du mal, même avec toute la bonne volonté du monde, à avoir peur de l’Islam, à estimer que l’Islam est « une religion incompatible avec la République ». Toutes les religions sont incompatibles avec la République et peut-on rappeler combien de têtes ont été coupées pendant la Révolution Française, au nom de la République ? La République n’est pas compatible avec elle-même si elle ne compte pas avec la voix de chacun. Alors silence !
J’entends encore mon propre fils me citer Condorcet : « Même sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. » Vous imaginez ma tronche, la larme au coin de l’oeil…

J’ai eu la belle surprise de voir Tigran débarquer, avec ses yeux pétillants, son sourire heureux, pour m’annoncer, à moi, quel était son beau projet de voyage. Et dire que ce week-end, je pensais exactement à lui et à ça en particulier…

Et puis il y aura eu aussi la lumière de Sofia, quelle lumière !

Jeudi 06.02

Je ne vois rien passer, la langue passant sur les lèvres, rosies par le vent, les heures défilent comme des œufs sur une chaîne de conditionnement, tout se brouille…

L’odeur de ce livre est une odeur musquée, une odeur virile en vérité, une fragrance de tabac chaud, de Havane et de Daïquiri… Lire m’emporte parfois jusqu’à Cuba.

Vendredi 07.02

Je crois que cette semaine je n’ai rien fait d’autre que travailler ; penser aura même été de trop. Le vent a soufflé toute la nuit de manière désagréable, fâcheux comme un barbon hystérique, répétant inlassablement la même mélopée. Contrairement aux vagues, le vent n’a aucune régularité, ne répond à aucune logique, souffle quand il veut, dit ce qu’il veut, s’affranchit du rythme et de la sérénité de la nature, il est dans l’opposition constante.

نسيم غروب

Photo © Seyed Mostafa Zamani

Encore une journée ici. J’ai terminé Equatoria ce matin, commencé Onze lettres de Pénélope de Lorenzo Pestelli, découvert en septembre à Arcachon, et ce matin Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson, qu’il vaut mieux lire qu’écouter parler… Je crois que Tesson a lu Mircea Eliade, mais l’a mal digéré.

Je vis dans le noir, je ne me rends même pas compte que je n’allume jamais la lumière…

Photo d’en-tête © Julien Harneis


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