Ma chronique du 2 février dans l'émission Lumière de l'orthodoxie (textes et enregistrement), sur Radio Notre-Dame, abordait la question de l'épuisement ("burn out") dans le monde du travail et la relation à l'autre dans cette situation. En voici le texte.
« Quel avantage l’homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paie de sa vie ? », nous dit le Christ dans l’Évangile de Matthieu (16, 26). Voilà une parole qu’il est vital de méditer quotidiennement. Dans notre société, devenue surtout utilitariste, tournée vers les richesses matérielles et la performance extérieure, il importe de s’en souvenir comme d’une bouée de salut pour que nous ne perdions pas notre route véritable.
A ce propos, sans doute avez-vous lu de récentes études sur l’épuisement professionnel, ce que l’on appelle communément le « burn out ». Dernièrement, une nouvelle étude a révélé que 3 millions de Français seraient au bord du « burn out », soit pas loin de 10% des actifs, le nouveau mal du siècle selon l’hebdomadaire L’Express qui y a consacré un dossier il y a peu.
A vrai dire, cela ne m’étonne guère, tant je le constate autour de moi dans mon milieu professionnel, celui de l’enseignement. Les charges se sont ajoutées, souvent des travaux périphériques qui conduisent à une dispersion des efforts, les pressions se sont aussi accrues. Cela, alors que par ailleurs les problèmes relationnels se sont complexifiés. Cela fait beaucoup pour tous et trop pour un bon nombre. D’où de nombreuses petites défaillances, des oublis, des coups de fatigue qui reviennent très régulièrement, et parfois de grosses et durables défaillances.
La multiplication des moyens de communication et l’utilisation obligée, sinon compulsive de ceux-ci, a augmenté de manière très importante la pression. Ainsi, pour parler de ce que je connais, je reçois des mails professionnels le soir ou encore le dimanche, alors qu’il s’agissait de moments où une coupure salutaire pouvait s’opérer pour refaire ses forces, prendre du recul et le temps de la réflexion ainsi que de l’approfondissement.
C’est à la fois un problème humain, un problème de société et aussi un problème spirituel.
Un problème humain pour chacun de nous, car le temps du ressourcement est de plus en plus rogné par une agitation constante qui épuise physiquement et psychiquement. C’est un problème relationnel. A force de courir, de chercher à tout prix des résultats, on ne voit plus les autres, ou très superficiellement. De plus, l’autre est souvent utilisé, manipulé, finalement non considéré, tout cela en raison d’objectifs qui ne respectent pas le temps humain. Qu’est-ce que devient l’autre pour nous dans ce cadre ?
C’est un problème de société. La mesure de chacun, les limites à ne pas franchir pour ne pas déséquilibrer, ne sont pas prises en compte. Aussi socialement, au lieu de construire l’on défait.
C’est enfin et d’abord un problème spirituel. La relation à l’autre est problématique ce qui, en fin de compte, nous handicape aussi. Les liens qui nous unissent sont, dans cet esprit, peu à peu coupés. Nous devenons toujours plus étrangers les uns les autres lorsque nous n’avons pas le temps de nous regarder, de nous écouter, de nous comprendre et de nous accepter, de faire un pas vers l’autre.
C’est aussi un problème spirituel pour notre propre maturation intérieure. Pour entrer dans les profondeurs de son être, là où tout se noue et se dénoue, il est indispensable d’avoir du temps, du calme, d’y orienter son attention. Le Seigneur nous l’a dit : « de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée » (Luc 10, 27).
Il importe donc de bien avoir conscience de cette réalité présente pour ne pas s’y laisser enfermer et fermer du même coup le chemin de notre intériorité. Pour ne pas y emprisonner les autres aussi. Pour que tous nous puissions desserrer les carcans qui empêchent le véritable soleil, soleil spirituel, d’entrer et de rayonner dans nos cœurs et dans nos vies.