Il y est né. Il y a grandi. Il y mourra, bientôt. Le prisonnier du dôme.
Ce dôme entièrement vitré en lequel il passe ses journées à observer le monde avancer. Tout droit, en
zigzaguant. Revenir en arrière, parfois. Tourner en rond, souvent. Ce dôme entièrement scellé dont il a perdu tout espoir de sortir un jour. Pour aider le monde, de l’autre côté. Partager les observations qu’il a pu faire depuis son poste d’observation, depuis toutes ces années. Il pourrait changer les choses, il le sait. Et il a essayé. Il a crié tellement longtemps sans que le son de sa voix ait pu traverser le dôme, qu’il est devenu aphone. Il a frappé tellement fort sans jamais parvenir à fendre la vitre, qu’il s’est brisé les os de la main droite. Alors, il a baissé les bras. Et continue, triste spectateur, à laisser la pièce se jouer…Sans lui.
Mais si lui ne peut influer sur ce monde, qui n’en fait qu’à sa tête, l’inverse n’est malheureusement pas vrai. Puisque c’est cet oxygène extérieur, qu’il n’a même jamais respiré, qui nourrit ses poumons, à lui. Et il emboîte le pas du monde, rythme le battement de son cœur au sien, pour avancer. Tout droit, en zigzaguant. Revenir en arrière, parfois. Tourner en rond, souvent. Et il a beau mettre toute l’énergie qu’il peut à ériger, dans son dôme, un monde des possibles. Le monde, celui de l’extérieur, parvient toujours, lui, à percer un instant le dôme pour laisser cette tempête déchaînée tout détruire sur son passage. Alors, à chaque fois, le prisonnier du dôme s’abrite sous le bouclier de son espoir camouflé, et attend. Attend inlassablement qu’elle se lasse enfin, et rejoigne à nouveau le monde. Et puis, à chaque fois, il sort de sa cachette, la pelle et la balayette à la main pour nettoyer le sol de son dôme jonché de miettes de ses envies, ses rêves et ses mots asservis.
Il y est né. Il y a grandi. Il y mourra, bientôt. Le prisonnier du dôme.
Car ce soir, de l’autre côté, le monde semble avoir sombré dans la folie. Une folie furieuse que le monde lui-même ne parvient plus à maîtriser. Plus rien n’est sous contrôle, là-bas. Pas plus qu’ici, sous le dôme. Où le prisonnier – ayant oublié son aphonie – s’époumone sans ne jamais émettre aucun son, s’agite dans tous les sens jusqu’à raviver la douleur, se noie dans l’indifférence de ce monde qui perd pied. Du sang gicle contre les vitres froides. À la gueule du prisonnier qui ne pourra jamais rejoindre l’autre côté, pour les nettoyer. Soudain, des cris viennent faire taire ce silence assourdissant qui avait fini par tenir compagnie au prisonnier dans le dôme. Ça hurle. Fort. Bien trop fort. C’est presque inhumain. Ces cris démoniaques qui perforent le prisonnier de toutes parts. Et le font soudain tomber à terre.
Car ce soir, le monde et l’intérieur du dôme semblent ne faire plus qu’un. Le dôme, petit à petit – à grands flots peut-être –, se remplit de ce sang qui jaillit de dehors. Encore et encore. Qui éclabousse. Qui gicle. Et, en bas du dôme, le prisonnier se débat du mieux qu’il le peut au milieu de ce bassin d’hémoglobine en lequel il n’a désormais plus pied. De brasse en dos crawlé. Il fait le papillon, la sauterelle ou l’escargot. Pour tenter de sortir la tête de l’eau. Par réflexe il tend le bras, pour tenter de s’agripper à l’une des vitres du dôme. Bras dont la main qui le prolonge ne fait qu’agripper le vide. Sans jamais s’écraser contre cette vitre. [...]Comme si la vitre n’avait jamais existé, en réalité. Comme si le dôme, tout entier, n’avait jamais été érigé que par l’esprit du prisonnier. Comme si le monde et le dôme n’avaient jamais fait qu’un. De comme si, en comme ça. Peu importe, en vérité : ce soir un corps flotte dans ce bain de sang de la folie du monde. Ce corps, celui du prisonnier du dôme.
Il y est né. Il y a grandi. Il y est mort. Le prisonnier du dôme.