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Céline Del Picchia : « On essaie ici d’apporter de l’humanité »

Publié le 13 février 2014 par Thierry Gil @daubagnealalune
Céline Del Picchia : « On essaie ici d’apporter de l’humanité »

Photo © Cyril Pariaud / Bong Project

Responsable des Pénitents Noirs, le centre d’art contemporain situé sur les hauteurs du centre ancien d’Aubagne, Céline Del Picchia a un parcours professionnel atypique qui l’a amené à la fois à travailler sur le champ du social comme celui du culturel avec pour trait d’union le service public municipal dont elle est une ardente défenseure. C’est donc tout naturellement sur ce terrain là que nous débutons notre entretien avec cette jeune passionaria.

« Le service public est une véritable richesse »

« À Aubagne on est en perpétuelle évolution, c’est une ville qui arrive toujours à apporter quelque chose. Il y a un attachement au service public, les employés municipaux y sont attachés, c’est affectif. Ils sont attachés à cette ville, ils font attention. C’est très compliqué pour le garder maintenant parce que le service public est cassé de tous les côtés et que tu es très facilement démobilisé. Mais c’est quand il fait noir qu’il faut appuyer sur le bouton et allumer la lumière, et à Aubagne le service public, au-delà de la politique, je parle des gens qui travaillent, ils savent appuyer sur la bouton. C’est-à-dire qu’ils ont cette conviction là et, en dépit des difficultés, ils cherchent constamment des solutions pour mener à bien leurs missions. Il n’y a pas un seul service qui soit à l’image complétement erronée que l’on se fait des fonctionnaires. Je trouve cela très fort et c’est une véritable richesse. On la possède parce qu’on a des politiques qui sont innovantes, on l’a parce qu’il y a un attachement profond à Aubagne »

« Ici on essaie d’apporter de l’humanité »

« J’ai travaillé cinq ans au CCAS (le Centre Communal d’Action Sociale, NDLR) et c’est là que j’ai été la plus touchée par les choix politiques qui étaient faits, c’est-à-dire qu’il y a une véritable politique sociale sans être pour autant dans l’assistanat. D’accord il y a une situation économique préoccupante mais on va essayer de faire en sorte que votre vie soit moins compliquée. On essaie ici d’apporter de l’humanité. On en parle pas assez de cette politique là. On a quand même des structures d’accueil inédites pour le public, je pense notamment à la Maison du Partage ou à l’Épicerie sociale. La politique du logement est audacieuse. Le maire se fait taper dessus par l’opposition, moi je trouve ça un peu fort alors qu’il y a ici plus de 20% de logements sociaux qui en plus ne sont pas des barres HLM, et ces logements font la part belle à la mixité sociale pour éviter de constituer des ghettos sociaux comme on en voit ailleurs. On a peut être rien inventé mais on met nos engagements en pratique ».

«  Tu vas aux Passons, tu vas au Charrel, ça reste Aubagne »

« Je suis arrivé à la Culture un peu par hasard après avoir travaillé dans plusieurs secteurs d’activités, notamment dans les Maisons de Quartiers qui sont des maillons forts du service public. D’ailleurs je ne supporte pas cette notion de « quartiers », je ne la comprends pas. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je trouve qu’il y a là un clivage. Il faudrait changer leur nom. Ça veut dire quoi aller dans un quartier alors que tu es à Aubagne. Je pense qu’on a une spécificité et là je rejoins la ville voisine, Marseille, dont je suis une grande fan, où tu habites Marseille et tu n’habites pas un quartier. C’est peut-être une spécificité du sud. On est pas à Paname. À Aubagne c’est pas ça, tu vas aux Passons, tu vas au Charrel, ça reste Aubagne. Ça rejoint le besoin des Français. Ils ont voté Hollande non pas parce qu’ils étaient convaincus par son programme. Ils ont voté Hollande parce qu’ils pensaient qu’on allait être rassemblés. Malheureusement on continue à cliver les Français, je pense à Civitas, aux anti-Mariage pour Tous. On ne devrait pas laisser l’extrême-droite s’approprier certaines valeurs comme la nation et la patrie. Il ne faut pas laisser le drapeau au FN. Il faut qu’on récupère notre drapeau ».

« Il faut que nous puissions exporter nos artistes »

«  Les Pénitents Noirs sont un centre d’art tourné essentiellement vers les arts plastiques et visuels, un secteur d’activités pas forcément représenté ici. Aubagne est une ville très équipée culturellement mais il manquait cet espace. Le projet se tourne vers l’art contemporain, vers la création actuelle. Il y a une ambition d’installer les Pénitents Noirs au moins au niveau régional. Cela peut engendrer des mécontentements au niveau des artistes locaux auxquels il va falloir apporter des réponses. Mais si tu veux placer les Pénitents à un niveau de reconnaissance qui aille au delà de nos frontières communales, il faut que tu sortes du local. Il y a un effet pervers dans la mesure où on a beaucoup tendance à mettre en avant nos artistes locaux et du coup effectivement on a d’un côté une richesse à montrer et de l’autre côté on prend le risque de rester enfermé. Il faut que nous puissions exporter nos artistes. On a des outils pour cela. Mais on est tellement bien à Aubagne qu’on a tendance à vouloir y rester ».

Le rêve de l'enfant © Laura Gentz

Le rêve de l’enfant © Laura Gentz

«  Si tu es solidaire, tu peux créer des choses »

« En trois ans nous avons accueilli hormis l’expo Picasso qui rassemblé 52.900 visiteurs une exposition phare qui a été vue par peu de monde malheureusement, c’est l’expo « Papiers pour Tous » avec les photographies de Laura Gentz qui a suivi la mobilisation des sans papiers à Paris. Ça a été une exposition très forte des Pénitents. Parce que là on était complètement dans notre champ d’action parce qu’aux Pénitents on ne fait pas de l’art pour de l’art. Si Jeff Koons (artiste contemporain d’origine américaine, NDLR) venait à taper à la porte des Pénitents peut-être qu’on ne lui ouvrirait pas les portes. Cette expo des photographies de Laura Gentz nous raccrochait à notre existence en montrant que si tu étais solidaire tu pouvais créer des choses, en acceptant l’autre dans sa différence. Nous avons aussi accueilli les œuvres de Mona Atoum (artiste contemporaine d’origine palestinienne, NDLR) qui évoquait le conflit israélo-palestinien et le statut de la femme dans cette région du monde. Elle parle aussi de cette instabilité dans laquelle on vit où tu peux avoir une vie normale, une famille, un toit, un travail, et où tout peut basculer d’un jour à l’autre. On est constamment sur cette ligne de crête. On a eu une grosse discussion avec le public, des médiations culturelles, des visites et des débats et les gens ne voulaient plus partir ».

« On peut se construire ailleurs que dans des lieux culturels »

«  Nous accueillons chaque année de très nombreux scolaires mais je suis d’avis que la culture ne reste pas dans le milieu scolaire. Il ne faut pas laisser penser aux enfants que la culture n’a d’existence que dans le cadre scolaire. C’est très dommageable. La culture doit aussi être partagée en famille, comme on va au cinéma. Il faut aller voir ailleurs. Qu’est-ce que je suis moi lorsque je ne suis pas écolier ? Qu’est-ce que je suis et où est-ce que je vais aller ? Il manque des lieux alternatifs mais ça n’est pas du ressort de la Ville. J’ai envie de dire aux artistes : n’attendez pas la Ville d’Aubagne sinon on va rentrer dans quelque chose d’institutionnel. Faites-le ! N’attendez pas qu’on vous y autorise. Allez-y ! Parce qu’il n’y a qu’eux qui puissent le faire. Il y a toute cette offre culturelle qui peut être gratuite mais qui en tout cas est à moindre coût et qu’il faut d’ailleurs conserver à moindre coût. Je ne suis pas pour la gratuité totale parce que je ne crois pas que ça facilitera l’accès pour tous à la culture. On peut aussi développer ce qu’on appelle la médiation culturelle qui consiste à faire le lien entre l’œuvre, l’artiste et le public. S’il faut aller chercher les gens, les gens ont droit aussi à ne pas venir. Ils ont le droit de dire j’ai pas envie. Il faut juste leur dire que s‘ils ont envie et bien il existe cette possibilité. Je respecte le droit de chacun et j’imagine que les gens peuvent aussi très bien se construire ailleurs que dans des lieux culturels ».

« Marseille Provence 2013 a fédéré un territoire »

« On sort de Marseille Provence 2013 qui a été à la fois un rouleau compresseur et un tremplin. Il faut maintenant savoir comment on va travailler. On espère aux Pénitents pouvoir accueillir des artistes de renommée mais qui ne sont pas forcément des têtes d’affiches. Nous voudrions faire de la découverte, faire découvrir des univers artistiques et qu’il y ait du sens et du propos dans l’œuvre artistique. Mais pour continuer à exister il va falloir que nous fassions des coproductions, il va falloir qu’on se fédère entre acteurs locaux et qu’on travaille au delà des clivages politiques. Moi ce que j’ai trouvé très fort dans MP13, c’est que ça a fédéré un territoire dans lequel il y a des entités politiques complètement différentes : Aix, Marseille, Aubagne, Martigues… Le projet était de faire de l’objet culturel un objet essentiel dont les enjeux se situent au-delà des chapelles politiques. On y est arrivé même si ça n’a pas été sans heurts ».

« Tu ne dois pas imposer aux autres tes propres règles de vie »

« Je suis inquiète par rapport au contexte national et international. Je trouve qu’on a fait un sacré retour en arrière en France avec cette montée de l’intolérance, sur la question de l’avortement par exemple. La religion s’est immiscée dans la société. On a focalisé sur l’Islam mais aujourd’hui c’est la religion catholique qui montre son plus mauvais visage. On le voit aujourd’hui en Espagne, en Italie, en Pologne et en France maintenant. Tu as le droit d’être contre l’avortement, pour toi, dans ta famille. Tu fais ce que tu veux de ton corps. Par contre on est dans un état de droit et tu ne dois pas imposer aux autres tes règles de vie et la religion ne doit pas imposer ses règles aux autres ».

Propos recueillis par Thierry Gil


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