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Meurtre en baie de Somme

Publié le 14 février 2014 par Dubruel

d'après "UN PARRICIDE" de Maupassant

On avait trouvé en baie de Somme

Deux cadavres ficelés,

Une femme et un homme

D’environ cinquante ans.

On les savait financièrement aisés

Et amants depuis longtemps.

L’enquête établit ceci :

Ils n’avaient pas été cambriolés.

On ne leur connaissait pas d’ennemis.

Les voisins interrogés ne savaient rien.

Les gendarmes piétinaient bel et bien.

Ils allaient abandonner l’affaire

Quand un jeune menuisier

Nommé Joseph Lambert

Qu’on disait communiste

Voire anarchiste.

Vint se constituer prisonnier 

-« Ces gens,

Étaient mes meilleurs clients. »

-« Alors pourquoi les avez-vous tués ? »

-« Parce que je devais les tuer ! »

Pouvait-on imaginer sérieusement

Qu’il aurait tué d’excellents clients ?

Pour expliquer une éventuelle vengeance,

Son avocat avait plaidé la démence.

Le menuisier avait tué deux Abbevillois

Faute de pouvoir supprimer tous les bourgeois.

Et le défenseur d’attester :

-« Voilà ce qui a exalté

Ce malheureux qui n’eut ni père

Ni mère,

Ce pauvre citoyen

Qui appartient

À ce parti

Dont on accueille aujourd’hui

Les membres à bras ouverts

Mais qu’on fusillait naguère.

Troublé par tous leurs débats,

Son esprit malade chavira.

Il a voulu du sang de bourgeois !

Ce n’est pas lui qu’il faut condamner

Mais la Commune ou je ne sais quoi ! »

Le ministère public ne répliqua pas.

Pour l’avocat, la cause était gagnée.

Mais le menuisier se leva.

-« Écoutez-moi, s’il vous plait.

Comme je ne veux pas aller

Dans une maison de fous,

Je vais vous dire tout :

Mon Président,

Quand j’étais enfant

Un homme me mit en nourrice.

Ma mère n’a jamais su où son complice

M’avait emmené.

En pension, j’apprenais

Facilement.

J’aurais pu avoir, Mon Président,

Une position sociale supérieure

Si, pour mon malheur,

Mes parents n’avaient commis le crime

De se débarrasser de moi.

Vous voyez, je suis une victime.

Jugez-moi.

J’ai tué ces gens

Parce qu’ils étaient de mauvais parents.

Eux, sont coupables et sans pitié.

Ils auraient dû m’aimer; ils m’ont rejeté.

Certes, je leur devais la vie.

Mais est-ce toujours un cadeau, la vie ?

La mienne ne fut qu’un long malheur,

Une permanente horreur.

Après avoir été abandonné,

Je ne pouvais que me venger.

Ils ont accompli l’acte le plus affreux,

Le plus infâme, le plus monstrueux.

Un homme joué, déshonoré

Ne peut pas pardonner.

J’ai été mille fois plus volé

Que tous ceux que vous absolvez.

J’ai pris leur existence heureuse

En échange de ma vie malheureuse.

Pensez-vous que ces gens

Se sont comportés en vrais parents ?

Non. Ils avaient supprimé leur enfant !

Leur tour était venu, à eux.

Ils devaient disparaitre, c’est évident.

Ils sont venus à mon atelier

Pour la première fois

Il y a un an ou deux.

Depuis, ils m’ont confié

Presque tous les mois,

Tantôt un vieux buffet à restaurer

Tantôt un guéridon à réparer.

Un jour, elle m’a parlé de son enfant.

Moi, je lui ai dit que mes parents

M’avaient abandonné misérablement.

Elle eut alors un malaise

Et s’écroula sur une chaise.

J’avais deviné.

C’était ma mère.

Mais je décidais de me taire

Et de prendre des renseignements :

Veuve depuis un an,

Ma mère venait de se remarier

Mais depuis très longtemps

L’homme qui venait à l’atelier

Avec elle, était son amant.

Un soir, alors qu’ils passaient pour me payer

Je m’exclamais :

-« Vous êtes ma mère, je le sais ! »

Elle recula de trois pas :

-« Mais vous êtes fou ! »

Je la saisis par le bras

-« Moi, fou ? Pas du tout.

Ne me mentez pas. »

Son amant prit la parole, furieux,

Injurieux :

-« Vous ne voulez que notre argent !

Faites donc du bien à un manant !

Ah ! Aidez-les. Secourez-les,

Ces petits artisans !

Chérie, allons-nous-en !

Laissez-nous passer. Sinon

Je vous fais mettre en prison

Pour chantage et séquestration. »

Ils sortirent avec précipitation.

La nuit était tombée.

J’arrivais pourtant à les rattraper.

M’envahirent alors dégoût et colère.

Se soulevait dans tout mon être

Une affection rejetée.

L’homme déclarait :

-« Chérie, c’est de votre faute, cette histoire.

Pourquoi avez-vous tenu à le revoir !

Puisque nous ne pouvons le reconnaître ?

Nous aurions dû le payer par mandat-lettre. »

Je me jetai alors sur eux, affirmant :

-« Vous voyez, vous êtes bien mes parents.

Déjà une fois vous m’avez rejeté,

Vous voulez de nouveau me repousser ? »

Alors, l’homme leva la main sur moi ;

Je le jure sur l’honneur…sur la loi.

Comme je le saisissais au collet,

Il tira de sa poche un pistolet.

J’ai vu rouge. Je ne sais plus.

Je l’ai frappé tant que j’ai pu.

Ma mère s’est mise à crier :

-« Tu es un meurtrier ! »

Il parait que je l’ai tuée aussi.

Est-ce que je sais ce que je fis ?

Les ai-je assommés ?

Puis quand je les ai vus par terre,

…Les ai-je ficelés

Et jetés à la mer ? »

Devant cette révélation impressionnante,

L’affaire fut renvoyée à la session suivante.


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