Genre: Thriller
année: 1977
durée: 2h00
L'Histoire: Quatres hommes en fuites acceptent de transporter en camion un chargement de nitroglycérine instable. Sur leurs routes se dresseront les éléments de la nature et un grand nombres d'embûches dont tous ne survivront pas.
La Critique de Nicos31:
Après les succès consécutifs de ses deux précédents films que sont "French Connection" et "L’Exorciste", William Friedkin se lança dans la réadaptation du roman de George Arnaud "Le salaire de la peur" (The Wages of Fear). Déjà porté à l’écran avec brio en 1953 par Henry George Clouzot avec dans les rôles principaux Yves Montand, Charles Vanel, Folco Lulli, le film de Friedkin ne pouvait pas ne pas souffrir de la comparaison avec son aîné.
En tout premier lieu le réalisateur chercha à obtenir la bénédiction de Clouzot et de George Arnaud (s'il ne l’avait pas obtenu, Friedkin avoue qu’il n’aurait pas fait le film) avant de se lancer dans le projet.
Le premier sera surpris que Friedkin veuille refaire "Le salaire de la peur" alors que le succès de ses deux précédentes œuvres pouvait lui permettre de faire bien d’autres chose, le second ayant toujours été plus que mitigé envers la version de 1953 et après avoir écouté comment le réalisateur de "L’Exorciste" prévoyait de monter son film, cèda les droits de son livre à ce dernier.
Pour assumer la lourde tache d’adapter le roman de Arnaud, le réalisateur de "French Connection" alla s’adresser au scénariste Walon Green dont le travail sur "La Horde Sauvage" l’avait tout particulièrement impressionné.
En ce qui concerne le casting, les deux hommes avaient en tête Steve McQueen et écrivirent le rôle de Scanlon pour lui. Le comédien après lecture du scénario accepta de faire partie du projet, allant même jusqu’à dire que c’était le meilleur scénario qu’il ait lu. Malheureusement un problème se posa, McQueen ne voulait pas aller en Amérique du sud pour le tournage. En couple à cette époque avec la comédienne Ali MacGraw, l’acteur ne voulait pas s’éloigner d’elle.
L’interprète de "Bullitt" demanda au réalisateur d’écrire un rôle pour sa compagne mais McQueen essuiera un refus. Le comédien proposa alors de confier à McGraw le poste de productrice exécutive mais Friedkin répliqua en disant que les producteurs exécutifs ne font rien et qu’offrir à l’actrice de "Love Story" un tel poste serait faire insulte à celle-ci. Au final Steve McQueen se retira du projet et avec le temps, le réalisateur confiera qu’a l’époque, il était arrogant et qu’il regrette aujourd’hui de ne pas avoir cèdé aux exigences de l’acteur.
Le scénario sera alors transmis à Roy Scheider avec lequel Friedkin avait déjà travaillé sur "French Connection". L’acteur signera donc pour le rôle de Scanlon mais sur le tournage, tout ne sera pas rose. Scheider se montre difficile et exigeant. La relation entre le comédien et son réalisateur sera des plus tendus:
"Avec Roy Scheider ce fut difficile. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans sa vie pour qu’il devienne ainsi. Peut-être le succès (Le succès qu’il avait acquit grâce aux "Dents de la mer")… Le succès peut parfois affecter votre vie de manière aussi négative que l’échec… Et pourtant, ça ne remet aucunement en cause sa prestation dans "Le Convoi de la Peur". Il y était tout simplement formidable!! " – William Friedkin
"Ce fut l’un des films les plus difficiles que j’ai eu à faire. Nous avons beaucoup tourné en pleine milieu de la jungle en République dominicaine. J’avais mes bons jours et mes mauvais jours." – Roy Scheider
Pour Scheider Friedkin était un cinéaste incroyablement doué mais dont l’attitude était telle que tous le monde était tendu sur le plateau.
De Plus, l’acteur n’approuvera pas la décision de Friedkin de supprimer les scènes voyant son personnage se lier d’amitié avec un enfant. Ces séquences selon le comédien humanisait Scanlon et leurs suppressions nuirent gravement à l’image de son personnage.
S’ajouteront au casting Bruno Cremer …
" Bruno Cremer était parfait pour le rôle. J’ai adoré travailler avec lui, il n’avait pas peur d’y aller, il avait bossé son anglais et sur le plateau, il donnait tout. C’était lui aussi un grand acteur "- William Friedkin
"Le Convoi de la Peur représente l’aventure pour un acteur. Le tournage s’est étalé sur un an, dans des conditions épouvantables. On a tourné six mois dans la jungle à Saint-Domingue, on s’est arrêté trois mois, puis on est reparti au Mexique. Tout le tournage s’est déroulé en décors naturels, les techniciens ont même demandé aux ouvriers locaux de construire sur place un barrage à cause d’une crue qui finalement n’a pas eu lieu ! Friedkin était dans un état second, il parlait souvent des peintures de Bacon, et dirigeait son équipe dans un silence de mort ! Ce film représentait réellement quelque chose pour lui, une sorte d’expérience existentielle. (…) C’est un film magnifique. Plus une oeuvre picturale qu’un film d’aventure. Le genre de film qui demande aussi une forme physique à toute épreuve. Mastroianni, qui avait été contacté pour le rôle, a bien eu raison de rester à Rome !
Sur le tournage, au petit matin, dès que le l’hélicoptère de Friedkin se pointait à l’horizon, les techniciens se taisaient subitement… Le maître arrivait ! Et si l’un d’eux foirait un truc, il était renvoyé le soir même !"" – Bruno Cremer
…et surtout l’acteur franco-marocain Amidou dont la performance dans le film de Claude Lelouch "La vie, l’amour, la mort" avait particulièrement marqué l’esprit de Friedkin. Le tournage s’avérera des plus difficiles, la plupart des membres de son équipe tombant malades. De l’aveu du metteur en scène ce fut le tournage le plus difficile qu’il ait vécu, mais le film en lui même est à ses yeux son préféré et son plus personnel.
En ce qui me concerne j’ai été littéralement scotché devant "Le Convoi de la peur" qui, sans être du niveau du film de Clouzot, réussit très bien à se démarquer de ce dernier. Les personnages sont tous aussi antipathiques les uns que les autres, et cela à un tel point qu’il est littéralement impossible de s’identifier à eux. Deux d’entre eux se distinguent tout particulièrement: le premier Victor Manzon dit "Serrano" (Bruno Cremer) a fui la France après avoir été accusé de fraude. Après le suicide du seul homme qui aurait pu tout arranger, celui ci quitte son épouse sans lui dire un seul mot.
Le second Jackie Scanlon (Roy Scheider) dit "Dominguez" a quitté les États-Unis après avoir braqué une Église avec son gang. L’un de ses membres n’a pas hésité à abattre le prêtre mais se dernier s’étant tué au cours d’un accident de voiture, ce sera sur Scanlon que le frère de l’homme de religion, qui n’est autre qu’un puissant caïde mafieux, se rabattra pour assouvir se vengeance. Traqué, Scanlon n’a donc pas d’autre choix que de fuir. Ici il n’est nul question de personnages aux actes héroïques et au sein de l’équipe la solidarité est vraiment toute relative. Les tensions entre les quatre protagonistes sont fortes et naviguent entre la menace verbal et la violence physique.
Jackie Scanlon (ses collègues également d’ailleurs) n’est guère attachant là où le personnage de Mario (brillement interprété par Yves Montand) dans "Le Salaire de la peur" était courageux et solidaire. Le personnage de Scheider va même jusqu’à jubiler à l’idée que la seconde équipe puisse échouer. Il ne voit qu’une chose: empocher la prime de l’un d’eux.
Je ne sais pas ce que Steve McQueen aurait donné dans le rôle de Scanlon mais Roy Scheider offre ici une performance de tout premier ordre. Le comédien passe à travers toutes les étapes de l’épuisement tant physique que psychologique et cela, au fur et à mesure que le film avance. On le voit s’enfoncer de plus en plus loin dans la dépression qu’à la fin, il n’est plus que l’ombre de lui même. Une telle interprétation aurait mérité d’être plus remarquée et force est de constater que Scheider reste encore aujourd’hui un acteur trop sous estimé.
Le reste du casting s’en sort avec les honneurs, mention spécial à Bruno Cremer qui est ici la parfaite représentation de l’autorité dans une opération qui en manque cruellement. Cela en devient d’autant plus évident lorsque les autres membres de l’équipe doivent se passer de lui.
William Friedkin déploie ici tout ce qui fait le brio de son cinéma et cela dans des conditions assez difficiles. Sa mise en scène se montre imaginative et efficace à tous les niveaux, et son film ne souffre à mes yeux d’aucune baisse de rythme. Je reste impressionné par la séquence du pont qui se révèle être à la fois la plus spectaculaire et la plus tendue de toutes celles qui composent le film.
"Le Convoi de la peur" reste à mes yeux un chef d’œuvre méconnu et mésestimé qui mérite d’être redécouvert à sa juste valeur. Le tout accompagné par la musique envoûtante de Tangerine Dream. Je peux comprendre que l’on se demande ce que cette autre adaptation du roman de Arnaud apporte de plus à celle de Clouzot, mais pour moi cela reste l’oeuvre la plus aboutie de son réalisateur et une véritable leçon de mise en scène.
Note: 18/20