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Le Restaurant de l'amour retrouvé de Ito Ogawa, aux éditions Philippe Picquier

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Le Restaurant de l'amour retrouvé de Ito Ogawa, aux éditions Philippe PicquierCuisine et littérature font depuis longtemps bon ménage. Ce sont deux ingrédients essentiels du blog. Si on ne me l’avait pas mis entre les mains je n’aurais pas ouvert spontanément "Le restaurant de l’amour retrouvé". La couverture est si mièvre, le titre tellement convenu qu’on croirait une édition France Loisirs.
Heureusement que la quatrième de couverture défend l’oeuvre : Une jeune femme de vingt-cinq ans perd la voix à la suite d'un chagrin d'amour, revient malgré elle chez sa mère, figure fantasque vivant avec un cochon apprivoisé, et découvre ses dons insoupçonnés dans l'art de rendre les gens heureux en cuisinant pour eux des plats médités et préparés comme une prière. Rinco cueille des grenades juchée sur un arbre, visite un champ de navets enfouis sous la neige, et invente pour ses convives des plats uniques qui se préparent et se dégustent dans la lenteur en réveillant leurs émotions enfouies.Un livre lumineux sur le partage et le don, à savourer comme la cuisine de la jeune Rinco, dont l'épice secrète est l'amour.
Les éditions Philippe Picquier sont spécialisées dans la littérature orientale. Ils estiment sans doute détenir un lectorat "acquis" qu'il serait inutile de séduire. Pourtant le roman de Ito Ogawa a l’envergure pour toucher et gagner un public très large. Rinco, la jeune héroïne a l’énergie de celle de Mise en bouche (roman de Kyung-Ran Jo, chez Philippe Rey) qui elle aussi ouvre un restaurant après une douloureuse rupture.
Dans l'édition japonaise le titre du livre est le nom choisi pour le restaurant, l'Escargot, un terme qui s'accorde avec l'état d'esprit de la cuisinière qui prend le temps qu'il faut pour satisfaire un client à la fois. Une lenteur qui s'accorde avec le mouvement très tendance du slow food des écogastronomes par opposition au fast-food altermondialiste.
Je me répète : le titre (français) n’est pas judicieux. Outre sa fadeur naïve, un comble pour un tel sujet de roman, l'intitulé induit en erreur. N’allez pas imaginer que Rinco récupérera le compagnon qui la laissa tomber comme une vieille cuillère après l’avoir dépossédée de quasiment tous ses biens. A défaut d’en perdre la raison elle y laisse sa voix et ne s'exprime plus qu'à l'aide de fiches pré-écrites.
Elle aura le même objectif de répandre le bonheur autour d’elle qu’Agnès Desarthe avec Mangez-moi.  L'une comme l'autre aura mis les mains dans le plâtre avant de commencer à pétrir le pain. N'ayant plus de domicile elles y dormiront aussi sur un lit de fortune. Toutes les deux cuisinent avec et par amour en ayant leur grand-mère comme modèle. Leur cuisine apaise toutes les tranches d’âge comme celles du best-seller d'Ana Gavalda Ensemble c’est tout. Et dans l'univers cinématographique on ressent de semblables émotions avec Chère Martha, la comédie de Sandra Nettlebeck en 2004, ou le désormais film-culte, le Festin de Babette.
Avec son premier salaire, Rinco achète une cocote en fonte le Creuset. Les allusions à la gastronomie française sont fréquentes. On pourrait oublier que l’action se déroule au Japon s’il ne surgissait pas de temps en temps le nom d’ingrédients ... exotiques à nos palais. C’est d'ailleurs un frein pour pénétrer totalement l’univers de la jeune femme et imaginer la nature des plats qu’elle invente.
Mais si Agnès Desarthe conçoit un petit resto pas cher et vise une large clientèle, à l'inverse Rinco s'adresse à quelques happy few, et personne ne pousse la porte de l'Escargot par hasard. Il faut la contacter longtemps à l'avance pour qu'elle ait le temps de concocter un menu spécial. La spécialité de Rinco est le sur-mesure.
Que ce soit une simple soupe de légumes de saison, un sandwich aux fruits, un gâteau chiffon pour réveiller un lapin anorexique, un menu d'anniversaire spécial enfant pour un papy Alzheimer, le principe fondateur est qu'un plat bien pensé pourrait changer une vie. Rinco se donne sans réserve pour toux ceux qu'elle nourrit, fussent-ils des animaux. A cet égard l'affection dont elle gratifie la truie de compagnie de sa mère est absolument inouï. Les personnages sont toujours très typés, comme celui de la Favorite, autrefois gaie et enjouée, désormais sombre.
Je voulais préparer un repas qui, comme la sonnerie d'un réveil, ranimerait ses cellules plongées dans une profonde léthargie, les galvaniserait (p. 89).
Pour arriver à ce résultat Rinco ne ménage pas sa peine. Elle choisit des légumes particuliers, des aromates spéciaux comme la lavande, le sel de Hawaï ou de pleine lune. Si je devais moi-même cuisiner pour Ito Ogawa je tenterai d'obtenir la faveur de Asafumi Yamashita, un maraicher des Yvelines, venu du Japon il y a 25 ans, et qui cultive des légumes pour les plus belles tables étoilées en édition limitée. Il peut ainsi livrer à un grand chef 6 navets, pas un de plus. Mais quels navets !
Je n'ai pas gouté le champagne Cristal rosé qui coule à flots pour un repas de mariage mais chacun devinera sa spécificité quand elle affirme que chaque gorgée faisait s'épanouir une prairie fleurie dans son corps (p. 170).
D'aucuns y verront un conte pour adultes. Le roman combine à la fois le familier et le surnaturel, avec un nuage de merveilleux et une grosse pincée d’originalité. Si les odeurs et les saveurs nous échappent par contre les images sont très nettes, à la limite de l’hyperréalisme, sans doute imputables au talent de l’auteur, mais aussi à la force de la traduction signée par Myriam Dartois.
Je ne sais pas grand chose de Ito Ogawa, si ce n’est qu’elle est née au Japon en 1973, qu’elle est d'abord auteur de livres pour enfants et qu'elle fait partie d’un groupe de musique sous le nom de Fairlife. Le Restaurant de l'amour retrouvé est son premier roman. C’est un best-seller au Japon et il a été adapté au cinéma en 2010 par la réalisatrice Mai Tominaga. J'ai hâte de confronter ma lecture au film.
Le Restaurant de l'amour retrouvé de Ito Ogawa, aux éditions Philippe Picquier, septembre 2013

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