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Conférence des évêques de France: biodiversité valeurs et respect du vivant

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

II Biodiversité : valeurs, et respect du vivant

CreationLes divers aspects de la crise de la biodiversité ont fait l'objet de la fiche précédente : « Biodiversité: crise, et réponses de la société ». Il s’agit d’une "crise silencieuse" car beaucoup de nos concitoyens n'ont que peu de contact  irect avec sa réalité, et son évolution est progressive, à l'échelle de quelques générations. La responsabilité de l’homme dans cette crise est certaine, mais celle de chacun est difficile à cerner. Cette fiche tente de préciser ce qui a conduit à cette situation et quels ressorts la pensée contemporaine peut mobiliser pour l’améliorer. Puis elle examine en quoi les Églises chrétiennes sont interpellées et ce qui peut être tenté.
 
Cette fiche a été rédigée collectivement par l’antenne « environnement et modes de vie » de Pax Christi.
 
Jean-Hugues Bartet,
Directeur du département environnement et modes de vie

Comment en sommes-nous arrivés à cette crise ?

La dégradation des écosystèmes causée par l’homme est un fait qui a existé depuis longtemps et dans des sociétés très diverses, en Orient comme en Occident. Mais de nombreuses civilisations dites « indigènes », ont développé une spiritualité de respect de la nature, dont elles étaient dépendantes. Cela peut s’exprimer dans le panthéisme mais on en trouve aussi des formes dans le monothéisme biblique.
 
Une conception occidentale dont la responsabilité est discutée
 
En ce qui concerne la crise écologique contemporaine, elle est marquée par l’impact des sociétés occidentales sur la culture mondiale. Celles-ci véhiculent une conception anthropocentrée comportant une vision désacralisée de la nature, ainsi que l’a fait remarquer justement le médiéviste américain Lynn White qui dénonce, dans cette vision, l’influence du judéo-christianisme, dans un article de 1967 qui a fait grand bruit.
 
En fait, plus emblématique est le « Discours de la méthode » de Descartes, à l’aube de la révolution industrielle, qui invitait l’homme à se rendre « comme maître et possesseur de la nature ». La pensée occidentale s’est affranchie à ce moment-là de la conception biblique, avec le succès technique que l’on connaît, y compris dans les milieux marqués par la culture chrétienne. Dans cette nouvelle conception, la nature, les animaux, deviennent de simples « machines » à disposition de l’homme. Les conceptions véhiculées au siècle dernier et dans ce siècle par le matérialisme historique, dans de vastes parties du monde, ne sont pas éloignées de celle-ci.
 
Aujourd’hui, nous sommes confrontés au paradoxe suivant : la connaissance rationnelle du vivant permet de comprendre mieux que jamais la constitution et le fonctionnement de celui-ci à partir des mêmes atomes que la matière non vivante (cf. Thierry Magnin : « Les nouvelles biotechnologies en questions », Salvador 2013, 127 p.) ; mais elle est incapable de réguler une conception dominante purement utilitariste de la nature, qui détruit de façon irréversible des pans entiers des écosystèmes mondiaux. Une vision qui redonnerait une valeur en tant que telle à la nature, qui orienterait les choix de l’homme dans « la garde » (Selon le terme employé par le pape François) de la biosphère et dans la durée, n’a pas encore trouvé un écho suffisant, ce qui explique sans doute l’échec des négociations internationales sur le sujet. 

Quelles raisons pourraient amener l’homme à changer de vision et de comportement à ce sujet ? Les réponses de la pensée contemporaine


La pensée contemporaine, notamment en Europe et en Amérique du Nord, a développé depuis un peu plus d’un siècle des réflexions sur des manières renouvelées de considérer la nature, en posant la question de la valeur du vivant non humain.
 
Le biocentrisme
 
Une première voie consiste à donner une valeur au vivant individuel en lui-même. Selon ce « biocentrisme », le vivant est capable de désirer, de sentir, de faire des choix, de souffrir. Ainsi Paul Taylor, un philosophe américain du XXe siècle, va jusqu’à considérer chaque vivant comme « centre téléologique de vie », et en tant que tel, sujet de droit. En vertu d’un tel biocentrisme, des débats passionnés ont lieu sur des sujets aussi divers que les expérimentations animales, les conditions de vie des animaux d’élevage, la tauromachie, la chasse, la consommation de viande, etc. Ces sujets ont le mérite de poser la question de la valeur du vivant non humain en tant que tel, et donc, indirectement, de la biodiversité. Toutefois, pour la biodiversité, d’autres niveaux d’approche sont nécessaires en raison de la complexité du vivant et de la dimension planétaire de ses enjeux.
 
L’écocentrisme
 
Une seconde voie consiste à envisager le bien des vivants non seulement comme individus, mais comme communautés vivantes en interaction avec leur milieu, et ce sont ces communautés vivantes, les écosystèmes, qu’il s’agit de protéger. Cette seconde vision, qualifée « d’écocentrisme », a été défendue par de nombreux philosophes et écologues au siècle dernier : Arne Naess, en Europe du Nord, pour lequel écocentrisme et biocentrisme sont liés ; et Aldo Leopold en Amérique, qui invite ses contemporains à « penser comme la montagne » c’est-à-dire à intégrer toutes les composantes des écosystèmes, comme ceux d’une montagne, dans les choix humains, y compris le loup, le cerf, la forêt, l’éleveur, la rivière...
 
Certains, allant plus loin, donnent à la biosphère une personnalité globale, avec une connotation maternelle pour l’humanité qui dépend d’elle (« Hypothèse Gaïa »).
 
L’écologie au sens large
 
Dans la mesure où l’écologie se définit comme la science qui étudie le vivant dans ses relations à son milieu de vie, elle touche aux interrogations de l’homme sur la vie. Elle intègre de plus en plus de savoirs, incluant les dimensions sociologiques, culturelles, ethnologiques, médicales, philosophiques, religieuses. L’écologie s’étend ainsi à la recherche de valeurs accessibles à la raison humaine pour déterminer des aspects éthiques et politiques qui orientent notre rapport à la nature. Il n’est donc pas étonnant que la pensée contemporaine sur l’écologie touche à la sphère religieuse et vienne interpeller les religions pour solliciter leur éclairage. L’exemple du travail mené à partir de 2010 par le groupe « Écologie et environnement » de la Conférence des Évêques de France confirme la pertinence et l’importance d’un tel élargissement de l’approche écologique. On peut d’ailleurs évoquer un travail récent de scientifiques suédois et australiens, constatant dans le monde que beaucoup d’enjeux de biodiversité sont situés dans des zones culturellement catholiques ou orthodoxes. Ils concluent sur l’importance que les stratégies de conservation de la biodiversité puissent trouver des arguments pour impliquer ces confessions chrétiennes. 

Comment la biodiversité interpelle les Églises chrétiennes

Du côté des églises chrétiennes, la réflexion théologique autour de la biodiversité est fondée sur la foi en un Dieu créateur. Elle se tourne vers la source du message biblique et l’enseignement des Pères de l’Église, comme message de respect envers la création et de louange envers Dieu son créateur. Cela est d’autant plus aisé que ces conceptions sont restées fortes dans l’orthodoxie, le monachisme, ou certaines églises protestantes.
 
Biodiversité comme création de Dieu
 
Ainsi, la Bible, loin d’une appropriation violente de la nature par l’homme, comme il le lui a été reproché, nous montre au contraire l’homme comme « gérant » de la création, qui connaît et loue Dieu à partir d’elle. L’action de l’homme sur la biodiversité n’est pas mauvaise en elle-même, et peut parfois même être la base de solutions à des problèmes de famine, de maladies ou permettre l’apparition de nouveaux produits et même de nouvelle biodiversité.
 
Les derniers papes, en particulier Jean Paul II et Benoît XVI, ont insisté sur le respect dû à la nature et la nécessaire responsabilité de l’homme. Le Pape François leur emboîte le pas, dès l’homélie d’inauguration de son pontificat : « La vocation (qui est celle de Saint Joseph) de garder (…) a une dimension (...) qui est simplement humaine, elle concerne tout le monde. C’est le fait de garder la création tout entière, la beauté de la création, (…) comme nous l’a montré saint François d’Assise : c’est le fait d’avoir du respect pour toute créature de Dieu et pour l’environnement dans lequel nous vivons ».
 
Foi chrétienne, évolution biologique et biodiversité
 
La considération de l’évolution biologique peut aider à une prise en compte de la biodiversité. Elle souligne l’unité du vivant et situe la prééminence biblique de l’homme dans l’aboutissement d’une dynamique de la vie. Rendre compte de la biodiversité appelle les croyants à ré-exprimer l’acte créateur comme le lancement d’un gigantesque mouvement de matière et d’énergie, gouverné par quelques lois de relation, si bien ajustées qu’elles vont permettre à des planètes de se constituer et à la vie d’émerger. Si l’homme, voulu par Dieu, apparaît au sommet d’une longue odyssée de la vie, dans une évolution foisonnante, ne doit-il pas aussi son existence à toute cette biodiversité qui l’a porté dans sa gestation et dont il est donc solidaire ?
 
Biodiversité comme reflet de Dieu
 
La biodiversité a-t-elle une valeur, indépendamment de l’humanité ? La foi en la création a, justement, conduit les croyants à voir dans la nature un don de Dieu. Si la biodiversité contribue au projet de Dieu sur l’univers, elle doit dire quelque chose sur ce projet divin et donc sur Dieu même. Ici, une longue tradition monastique vient rejoindre l’expérience universelle de l’émerveillement devant la beauté et l’intelligence de la création. Émerveillement qui fait naître chez le croyant à la fois sa louange à Dieu créateur et sa conscience d’une responsabilité de gardien que Dieu lui confie. Et, si la biodiversité dit quelque chose de Dieu, de son être relationnel, de son désir de vie, de son attention à la complémentarité des différences, alors, l’érosion de cette diversité biologique risque d’effacer le don de Dieu et la visibilité de son image. Ainsi, les défenseurs de la biodiversité contribueraient aussi à défendre l’image du Dieu vivant : par exemple Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix, s’est battu toute son existence pour la vie humaine, à travers la défense de l’une comme de l’autre.
 
Biodiversité comme dynamique du projet de Dieu
 
Détruire la biodiversité, est-ce plus qu’un gaspillage de ressources ? Nous constatons que le projet d’Alliance et d’incarnation de Dieu s’est déployé à travers la biodiversité et son histoire. Un scientifique chrétien a creusé ce constat. « Si l’on situe le problème sur la flèche du temps, la destruction de l’environnement par les humains est une faute morale qui fait peser sur eux une lourde responsabilité puisqu’ils altèrent à jamais, ou au moins pour plusieurs millions d’années, la trajectoire de l’évolution. C’est une atteinte à l’accomplissement de possibles imprévisibles, puisque les grandes innovations du vivant s’appuient toujours sur l’existant. C’est, pour tout dire, une atteinte à la liberté donnée au monde de se déployer par sa propre force créatrice » (Jacques Blondel dans « L’archipel de la vie : essai sur la diversité biologique et une éthique de sa pratique », Buchet-Chastel 2012, 257 p. (page 181).
 
Respect de la vie et respect du vivant
 
La crise de la biodiversité invite aussi à revisiter ce qui est entendu sous le terme « respect de la vie ». Très généralement, il s’agit du respect de la vie humaine, en particulier à son début et à sa fin. Et le développement des réflexions actuelles autour de « l’écologie humaine » accentue cet aspect. Mais réfléchir sur la vie non humaine pourrait contribuer à enrichir le débat sur le respect de la vie et préciser la spécificité humaine. Dans le vivant non humain, la destinée de l’être vivant est de se nourrir, pour se développer et se reproduire avant de mourir. Sa mort permet la vie d’autres êtres. Pour l’homme, respecter le vivant non humain, ce n’est certainement pas refuser sa mort. Mais, n’est-ce pas veiller à ce que sa vie et sa mort soient source de vie ? Un indien Creeks, du Canada, explique comment son père s‘excusait auprès d’un arbre avant de le couper : il lui disait le besoin qu’il avait de son bois, assurant qu’il ne le gaspillerait pas. Et le pape François, dans Evangelii Gaudium (Evangelii Gaudium, § 21) , vient de nous rappeler : « nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation ».
 
Un effort des Églises pour s’exprimer
 
À la fin du siècle dernier, les rencontres œcuméniques internationales de Vancouver, Bâle, Graz, Sibiu, ont permis un sursaut salutaire des Églises dans la prise en compte de leur responsabilité environnementale, associant la « sauvegarde de la création » aux enjeux plus traditionnels de « justice » et de « paix ». Les Églises chrétiennes ont ainsi commencé à faire entendre leurs voix. Les autres religions ont aussi des interventions dans le même sens. En juin 2010, à la maison de la Conférence des évêques de France à Paris, une journée sur la biodiversité a rassemblé un public motivé. Elle a montré la profondeur des enjeux que son respect nous pose ainsi que les enseignements à tirer de son fonctionnement pour la société des hommes (ici). 

Qu’est-ce qui peut valablement être tenté pour préserver la biodiversité ?

En effet, la prise de conscience doit pousser à l’action. Ce point a été évoqué sur les plans scientifique et politique dans la première fiche. Mais la question de la biodiversité s’inscrit plus largement dans l’ensemble de notre attitude à l’égard de l’environnement, des ressources naturelles, des déchets, des eaux et de tout le « non vivant » qui conditionne la vie. Il faut reconnaître que malgré des décisions et des succès, notre époque est encore loin du compte. D’autres ressorts sont nécessaires pour adapter nos modes de vie, et il apparaît maintenant que les solutions techniques, sûrement indispensables, ne suffiront pas à « garder » la biodiversité.
 
L’éthique et la loi
 
La loi, fondée sur la raison, est certes indispensable, mais elle ne pourra pas se substituer à d’autres raisons éthiques, existentielles, spirituelles, relayées jusqu’aux échelons les plus profonds de la décision humaine, à tous les niveaux de la société.
 
Nos sociétés centralisées et urbaines ont délégué à un nombre toujours plus réduit d’acteurs le contact direct avec la nature, paysans, forestiers, pêcheurs, aménageurs, gestionnaires de l’eau, etc. Ces acteurs sont confrontés à la multitude des choix quotidiens qui vont conditionner le respect ou non des écosystèmes, à des échelles variées selon leurs responsabilités. Quelles que soient les lois en vigueur, les raisons qui inspirent leurs choix restent multiples : culturelles, économiques, spirituelles... Elles résultent bien souvent des attentes sociales manifestées à leur égard, notamment sur le plan économique.
 
« Développement soutenable » et « développement humain intégral »
Pour impliquer la responsabilité des acteurs de la société dans le devenir de notre biodiversité, le concept de « développement durable », ou « soutenable » est mis en avant. Ce concept vise à intégrer dans les décisions la triple dimension économique, environnementale et sociale, certains y incluant la dimension éthique et spirituelle. Cette vision est novatrice et a conduit à de réels progrès. Toutefois, l’équilibre entre ces trois dimensions reste difficile à trouver, surtout dans un contexte de déréglementation, où l’économique tend à rester toujours, au final, le déterminant ultime des décisions. Le choix de Benoît XVI, dans son encyclique « Caritas in Veritate », de parler plutôt de « développement humain intégral » permet d’éviter que l’homme, dans son intégrité, ne soit évacué. Mais il ne faudrait pas que cela laisse penser que seul l’homme compte, parmi le vivant.
 
Dans le sens indiqué par cette encyclique, trois conditions peuvent être soulignées pour un développement respectueux de la diversité biologique :

  • le dialogue entre acteurs publics et privés directement impliqués dans les enjeux de la biodiversité, acteurs de la connaissance scientifique, organismes de formation ou de gestion, acteurs politiques ou économiques, consommateurs…
  • la subsidiarité qui reconnaît la légitimité de décision politique à la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même, compte tenu des particularités biologiques locales ;
  • une gouvernance adaptée qui permette aux acteurs les plus locaux une certaine souplesse de décision autour des enjeux de la biodiversité, avec une évaluation de leur action.

L’importance du dialogue a été réaffirmée par le pape François. Ainsi les Églises sont fondées légitimement à faciliter, voire à susciter des lieux pour des dialogues constructifs et à encourager l’engagement des chrétiens autour de chacune de ces trois conditions, en affirmant la valeur de la vie, même non humaine.

Source

Lire la fiche précédente.


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