Quand deux auteurs édités chez Diateino, Guy Kawasaki et Marylène Delbourg-Delphis, recommandent le même jour le même article, c’est qu’il est digne d’intérêt. Et surtout lorsque cet article parle de générosité. Car s’il y a bien une valeur que l’on a envie de mettre en avant dans le monde de l’après-crise, c’est la générosité.
Après le partage et la coopération mis en avant par les réseaux sociaux et autres sites collaboratifs, la générosité serait-elle devenue la nouvelle clé du succès ? Voici ce que nous en dit Adam Grant dans une interview qu’il a donné à Sean Blanda pour U99 et dont nous espérons voir son besteller, Give and Take, traduit très vite chez Diateino.
Les connexions humaines sont la monnaie d’échange du monde du travail. Que vous l’aimiez ou non, les personnes que l’on connaît, les personnes qui nous doivent quelque chose ou à l’inverse celles à qui l’on doit quelque chose déterminent notre futur au même titre que notre talent. Lorsqu’il s’agit de savoir quand et comment nous aidons les autres, nous correspondons tous à l’une des trois catégories suivantes :
- Ceux qui donnent inconditionnellement sans rien demander en retour.
- Ceux qui donnent à ceux qui leur ont déjà donné
- Ceux qui demandent de l’aide sans jamais rien donner en retour.
Adam Grant, professeur à Penn University, fait partie de la première catégorie. Il est aussi le plus jeune professeur titulaire de Wharton et l’auteur du bestseller Give and Take. Grant est persuadé que l’on doit le succès de notre carrière à notre générosité, tant en temps que l’on donne qu’en connaissances que l’on partage. Les personnes qui donnent inconditionnellement, affirme-t-il, sont souvent soit au rang le plus haut soit au rang le plus bas de leur domaine ; les deux autres catégories de personnes se coinçant au milieu.
Après avoir affirmé publiquement dans le New York Times qu’il répondrait favorablement à toutes les demandes qui lui seraient adressées, nous avons décidé de le tester en la matière. Mais fort heureusement Grant s’en sort bien grâce à une gestion très serrée de son temps. Je lui ai demandé comment il gérait le déluge qui s’abattait sur lui et quels conseils il donnerait aux lecteurs pour être des personnes généreuses.
Dans votre livre, vous dites que les personnes qui donnent inconditionnellement occupent soit le rang le plus haut soit le rang le plus bas de leur domaine. Comment être sûr que quand l’on rend service l’on ne met pas en danger sa carrière ?
Cela dépend largement de la manière dont vous gérez votre temps. Le point le plus important est de bloquer du temps pour votre travail individuel et du temps où rendre service aux autres. Je bloque moi-même un jour où je ne réponds à aucun appel ou email. Ce jour-là, j’écris, je lis ou j’avance sur l’un de mes projets personnels. Puis, certains jours, je bloque du temps juste pour rendre service aux autres. C’est plus efficace de la sorte, moins distrayant et cela me permet de maintenir un équilibre.
Je me concentre sur des services que je peux rendre en cinq minutes et que j’envisage comme des micro-crédits de mon temps. Quand une demande se présente, je me demande si je peux aider la personne ou bien s’il vaudrait mieux que je transmette la demande à quelqu’un de plus compétent. Parfois, je transfère en effet des demandes à des personnes que je juge plus compétentes que moi.
J’imagine que les personnes que vous aidez veulent toujours vous rendre service en retour.
Oui, tout particulièrement avec les personnes qui rendent service aux personnes qui les ont déjà aidées. Mais la plupart des personnes se sentent en fait obligées de me rendre service en retour même si j’essaie de ne pas leur demander. D’ailleurs, souvent quand quelqu’un m’aide, il aide aussi les gens autour de moi. C’est vraiment génial d’avoir un réseau de personnes autour de soi qui sont prêtes à vous rendre service.
C’est comme si vous faisiez un prêt et récupériez un intérêt. Mais même si les personnes remboursent quelqu’un d’autre c’est émotionnellement satisfaisant pour vous.
Oui, ça l’est. Un autre aspect intéressant est que, quand vous encouragez les personnes à vous rendre service en retour, plus particulièrement dans certains réseaux, la tendance se diffuse peu à peu et de plus en plus de personnes sont prêtes à donner de l’aide. Si personne n’était disposé à donner de l’aide en retour, cela entraînerait une certaine paranoïa et plus personne ne donnerait de l’aide. D’un autre côté, si les personnes n’étaient disposées qu’à donner de l’aide aux personnes qui les ont déjà aidées, vous pourriez seulement faire appel aux personnes que vous avez déjà aidées dans le passé. Mais si tout le monde est prêt à donner de l’aide sans rien attendre en retour, vous pouvez tout simplement vous adresser à la personne la plus qualifiée pour vous aider. C’est tout l’intérêt de la chose. Ainsi, les échanges d’idées et de connaissances deviennent beaucoup plus efficaces.
Bloquer des jours pour donner aux autres semble être une bonne idée mais comment faire quand on a un travail à horaires fixes ?
Certaines grandes entreprises proposent à leurs ingénieurs un « temps de pause ». Chaque mardi, jeudi et vendredi de 9h00 à 12h00 ils ont pour consigne de ne pas être dérangés. Est-il possible de négocier ce type de politiques ou de pratiques ?
Certaines personnes qui ne sont pas au bureau laissent ce type de messages : « Je travaille sur un projet très important pendant les 4 prochaines heures. Si vous avez vraiment besoin de moi, appelez-moi. » Faites cela et vous recevrez des emails disant : « Oh, nous avons résolu ce problème, ne t’en inquiète plus. » Ou « J’ai vu que tu n’étais pas au bureau, je respecte vraiment le fait que tu donnes la priorité à un travail important. Je peux attendre la semaine prochaine. » C’est une bonne manière de faire respecter ses limites et cela signifie que, quand vous accordez du temps aux personnes qui vous demandent de l’aide, elles l’apprécieront encore davantage.
Vous mettez en avant une gestion stricte de son temps. Comment cela fonctionne-t-il pour vous ?
A chaque fois que quelqu’un demande à me rencontrer la première chose que je demande c’est : « Quel est l’ordre du jour pour ce rendez-vous et quelle est la contrubition que vous attendez de moi ? » C’est fascinant. La plupart du temps les gens ne savent pas répondre. Ce qui est encore plus fascinant c’est que j’entends souvent cette réponse : « Oh, je pensais juste que tu voulais venir. » Et je réponds : « J’apprécie ta politesse mais si cela ne t’importe pas que je sois présent je préfère ne pas venir ».
Une autre façon de répondre : « J’ai des demandes de tous les côtés et si je réponds positivement à toutes je ne ferai plus rien de ma journée. Ce que j’apprécierais c’est que tu m’écrives une ou deux phrases sur la nature de la contribution que tu recherches. Je ferais mon possible pour y répondre directement ou pour te mettre en contact avec une personne qui pourrait t’aider ».
J’imagine que ça doit être un combat de tous les jours d’accepter ou refuser des rendez-vous, mais on doit encore vous respecter davantage.
C’est une question ouverte. En tout cas, je l’espère. Je suis certain que les personnes disent : « Ce type épouse les principes de la générosité mais ne vit pas selon eux ». Ma réponse à cela : « Je n’ai jamais dit que j’allais aider tout le monde, tout le temps et pour tout type de requêtes. » Ma priorité est ma famille puis mes étudiants puis mes collègues. Tout le reste vient après. Si je ne peux pas tenir mes engagements auprès de ces trois premiers groupes, je ne dégagerai pas de temps pour un autre rendez-vous.
Vous avez rencontré des milliers d’étudiants au cours de votre carrière. Vous avez aussi assuré des missions de conseil auprès des plus grands dirigeants mondiaux. Quelles sont les compétences qui ne sont pas enseignées à vos étudiants et dont ils auront besoin dans « le vrai monde » ?
J’ai eu une conversation avec un étudiant qui a rejoint son 17e club. « Il est impossible que tu puisses participer de manière sérieuse à 17 clubs. Tu as juste peur de manquer quelque chose. C’est pervers car le plus tu as peur de manquer quelque chose le plus, en effet, tu manques des choses. Tu participes de manière périphérique à une multitude d’activités sans t’engager de manière profonde dans chacune d’entre elles ».
Un autre enseignement important c’est d’apprendre à ses étudiants à échouer. Les nouveaux étudiants, plus particulièrement, sont mus par l’idée qu’ils doivent exceller en tout. Ils disent : « Je dois avoir la preuve que j’ai réussi dans tout ce que j’ai entrepris. » Evidemment, cela les fait passer à côté de nombreuses opportunités d’apprentissage. Et cela les rend moins brillants sur le long terme car ils ne découvriront jamais leurs faiblesses. Ils ne feront jamais l’expérience de quelque chose qui n’est pas confortable pour eux et cela les prépare moins à un monde compliqué.
C’est évident que les recruteurs ne font pas forcément appel aux étudiants qui ont les meilleures notes. Ils préfèrent embaucher quelqu’un avec de moins bonnes notes mais qui a vécu à côté de ses études. Dans l’imaginaire collectif, quand on a de bonnes notes, on est soit un perfectionniste soit un raté. Gérer les échecs est un art qui s’est perdu.