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IX. Yolcu

Publié le 19 février 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Six jours pour fêter un événement particulier, en forme de compte à rebours, de liste de voyage et de carnet de route, et où l’on apprend ce que signifie le mot yolcu.

Jeudi 13.02

Yolcu, ça se prononce yoldjou. Yol, en turc, c’est le voyage, pas au sens général qu’on entend en français, mais au sens différencié du trip anglais, du trajet. Yolcu est donc celui qui fait un trajet et qui ne fait pas forcément un séjour… Dans le langage courant, c’est aussi le passager, celui qui voyage dans un train, ou un bus, un avion, enfin quelque chose qui se déplace. Le passager… Je ne sais pas pourquoi mais passager me fait penser à l’adjectif, plus qu’au substantif, et donc  à quelque chose de temporaire. Tout un ensemble de choses qui me laissent songeur.
J’aime vraiment beaucoup ce mot, yolcu, c’est un des premiers mots que j’ai appris en turc ; je l’aime aussi parce que le mot yol me fait penser à la yole, cette petite embarcation dont le nom vient du danois jolle.

J’ai enfin terminé le livre de Sylvain Tesson ; je n’en pouvais plus, j’ai vraiment traîné des pieds pour y arriver, et même si la fin en est poignante, je ne suis pas certain de vouloir relire un jour un livre de lui. J’avais pourtant bien aimé L’or noir des steppes : Voyage aux sources de l’énergie. Mais ce n’est pas grave.

Cette journée se termine avec la sensation que je suis un être d’équanimité, quoi qu’il arrive. Je crois qu’on peut mourir d’aimer trop les gens.

Départ dans six jours. Drôle de fête pour ce blog, c’est son 700ème billet.

Vendredi 14.02

Si Kaddour Ben Ghabrit

Si Kaddour Ben Ghabrit

J’ai commencé ce matin un livre qui m’a attiré plusieurs fois l’œil en librairie : L’étoile jaune et le croissant, de Mohammed Aïssaoui. Ce livre parle des Juifs de France qui ont été sauvés de la déportation par les Musulmans. En forme d’enquête passionnante, on y fait la connaissance d’un homme haut en couleurs, fascinant et qui pourtant a passé sa vie dans l’ombre de ses actes, victime de l’oubli né de sa propre modestie ; Si Kaddour Ben Ghabrit. Je dois dire qu’en ces temps troublés, marqués par la haine et les combats religieux qu’on pourrait croire digne d’un Moyen-âge ténébreux, entendre les mots d’Aïssaoui fait du bien et laisse croire qu’il y a encore de la place pour l’amour entre les peuples.

Alors, je me suis attelé à la tâche. Il m’importait tout particulièrement de montrer qu’un jour, au moins une fois, des Arabes et des Juifs ont marché main dans la main. J’ai envie de prononcer le mot philosémite, et pas seulement de le prononcer. Sans doute, ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient et en France résonne-t-il fort en moi et a relancé le vœu de parler de ce haut dignitaire musulman qui aimait les Juifs…

J’aime bien lorsque Patrick Deville utilise cette expression ; manière de… Manière de cimetière italien à flanc de coteau, tombes blanches.

Je viens de me rendre compte qu’aujourd’hui c’était certainement le jour le plus con de l’année ; la Saint-Valentin. Qu’est-ce que c’est con cette fête !! Enfin non, ce n’est pas con, c’est mièvre, mièvre à souhait, c’est plein de petits cœurs, de bouquets de fleurs (que j’adore offrir par ailleurs), de je t’aime qui dégoulinent… Mais heureusement qu’il y a cette fête pour penser à son être aimé, parce que les autres jours de l’année, c’est le désert… C’est comme la journée de la femme. Le reste du temps, c’est pour les hommes. En fait, ces petites conneries de rien du tout sont les survivances des temps de haine et de ségrégation et signifient encore que ceux qui ont le pouvoir ne sont pas prêts à le partager. Bonne Saint-Valentin liquide… slurp.

En fait, en arrivant ici, on attendait quoi exactement de la vie ?

olympus-ls5Départ dans cinq jours et enfin je me préoccupe un peu des préparatifs. J’ai ressorti mes chaussures de randonnée, je me suis acheté une carapace molle (softshell) histoire de ne plus savoir comment m’habiller, une sacoche pratique pour tout avoir à portée de main et ne plus rien avoir dans les poches (je suis le champion du monde pour perdre tout ce qui se trouve dans mes poches : pièces de monnaie, clefs, etc.) et surtout pour mettre mes papiers et mon enregistreur. Car oui !! Je me suis acheté un enregistreur ! Un Olympus LS-5 avec des bonnettes. Autant dire un Rolls ! J’ai customisé un de mes moleskines avec une photo de gamelan et une autre de Borobudur. Car oui, je n’en ai pas encore parlé, mais je pars en Indonésie.

J’ai préparé aussi une petite boîte de cigarillos pour les soirées chaudes au bord des rizières, des piles pour diverses raisons, mon casque audio et mon double jack pour l’avion parce que je suis déjà incapable de dormir assis, alors si en plus il y a du bruit… Lunettes de soleil, chemisettes, pantalons en lin, chaussures légères, foulard en cas de vent… Je suis plus un voyageur Hemingway que Nicolas Vanier… Plus Daïquiri que pemmican. Plus pêche au gros à Cuba que trek au pôle nord.

Côté lecture, je me suis décidé, je ne prendrai que deux livres. Si ce n’est pas assez, ce dont je doute, j’irai marcher au lieu de glander.
William Dalrymple, L’âge de Kali
Robert Byron, Route d’Oxiane

Et puis je crois que c’est tout. Il faut que je voyage léger, je prends toujours trop. Deux trois crayons et un bloc à dessin seront suffisants pour ce que je vais faire. J’ai envie de couchers de soleil chaleureux, de ces petits matins frais où je peux voir le soleil poindre dans un ciel de vapeurs bleues. J’ai envie d’appels à la prière à Yogyakarta, de mosquées souterraines, de vapeurs de clous de girofle, de bains, de fleurs embaumant l’air, de forêt dense dans laquelle dansent les singes, de pentes de volcans recouverts de cendre grise… J’ai envie de tout ce que je ne m’imagine pas vraiment encore.

Samedi 15.02

Je me suis réveillé ce matin avec dans l’oreille le son du ud des frères Joubran. L’invention du quart de ton décide de l’invention du raffinement le plus extrême en musique. Difficile d’aller plus loin.

Trio Joubran

Asfâr - Trio Joubran, album As Fâr - 2011
15’01”

Asfâr est un très beau morceau, lent comme une danse soufie, envoûtant comme le parfum capiteux d’une femme dansant dans l’ombre d’un rêve. Ceux qui ne connaissent pas encore le Trio Joubran devraient s’en inoculer le virus. C’est la pire affection qui soit. Cette musique palestinienne me fait l’effet d’un baume.

Si le diable ne se trouve pas dans cette musique, alors c’est qu’il n’existe pas… Où pourrait-il se cacher ailleurs ?

Fin de matinée, : la fièvre me surprend, venue de je-ne-sais-où. Je reste cloué sur le canapé, environné de tout un tas de sons qui me paraissent incroyablement lointains.

Départ dans quatre jours. Je suis en train de commencer à recenser tous les lieux intéressants que je souhaite voir, mais je sais pertinemment que je laisse une place assez conséquente à l’imprévu. Ne me reste plus qu’à me préoccuper des vols intérieurs. Et là, c’est une sacrée affaire pour contourner la liste longue comme le bras des compagnies intérieures blacklistées par l’UE.

Dimanche 16.02

Deuxième jour de fièvre. Enfin non, c’est étrange, j’ai 37,4°C, ce qui n’est un degré de plus que ma température habituelle, mais je suis à terre, des courbatures partout, la tête dans un étau, les entrailles qui semblent danser la samba et rien à faire, ça ne passe pas. Je vais encore passer ma journée à dormir, incapable de réfléchir. Obligé de me shooter au Rhinadvil pour tenir debout.

Comme de toute façon je suis incapable de penser, je vais faire autre chose. Dessiner, finir quelques unes de mes aquarelles qui sont restées en suspens.

Descriptif du voyage

(le programme peut changer en cours de route, comme d’habitude)
19.02 : Départ de Paris (CDG) pour Dubaï (DXB)
20.02 : Dubaï -> arrivée au soir à Jakarta Soekarno-Hatta (CGK) (+6:00)
Dodo ou errance dans l’aéroport, ça dépendra du nombre d’heures de sommeil dans l’avion.
21.02 : Départ de Jakarta à 5:40 -> arrivée à Bali (Denpasar) (DPS) à 8:45 (+1:00) -> arrivée à l’hôtel à Ubud
26.02 : Départ d’Ubud (9:55) -> Denpasar pour Yogyakarta (JOG) à 10:05 (-1:00)
02.03 : Départ de Yogyakarta pour Jakarta au soir (pas réservé encore)
03.03 : Départ de Jakarta (00:15) pour Dubaï puis Paris. Arrivée à Paris à 12:25 (-7:00). De quoi se reposer un peu avant de reprendre le boulot.

Lundi 17.02

Troisième jour de coton. Micro-nuit, insomnie due à la consommation de pseudoéphédrine. Les yeux fixés au plafond en attendant que ça passe. Il va falloir s’accrocher aujourd’hui.

Arrivé à 8h30 à Montparnasse, je me rends compte que je suis en avance d’une heure, et c’est frigorifié que je me mords les doigts. J’avise le café le plus près et je commande un café après avoir choisi ma place près du radiateur. Les fauteuils sont confortables, comme des sièges de jardin, et je poursuis la lecture de L’étoile jaune et le croissant, de Mohammed Aïssaoui que j’ai dû interrompre en sortant du métro. J’aurais préféré rester là plutôt que de m’emmerder à cent sous de l’heure là où j’étais, toujours au bord de l’extinction, à deux doigt d’être pris en flagrant délit de ronflement, le bras sur le fauteuil. Supplice éreintant, je n’ai pas demandé mon reste à la fin de la présentation, je me suis engouffré dans le métro.

18h00 : j’ai froid, je bois un thé chaud, je suis claqué et non je ne reprendrai pas de pseudoéphédrine ; j’ai bien l’intention de dormir cette nuit.

Mardi 18.02

J’ai quand-même fini chez le médecin parce que je me voyais mal partir dans l’état dans lequel je me trouvais. Déjà sous antibiotiques, je me sens déjà mieux, encore fatigué, mais ça va revenir, tout dépendra des heures de sommeil que je vais avoir ces prochains jours. Ce matin, réveillé à 4h00, impossible de me rendormir, ma toux s’est un peu calmée mais ça reprend de plus belle dès que je suis debout.

J’ai terminé le livre de Aïssaoui que j’ai trouvé très juste, vraiment très beau pour un essai. Je n’ai pas pris le temps de le savourer parce que cette histoire m’a passionné. Il faudra le relire, certainement.

L'âge de Kali - William DalrympleDu coup, à une journée du départ, j’ai déjà commencé un des livres que je comptais emmener ; L’âge de Kali de William Dalrymple. Du coup, en prévision, on ne sait jamais, j’en prends un autre en plus ; Éloge du voyage, sur les traces d’Arthur Rimbaud par Sébastien de Courtois, le journaliste qui a tant écrit sur les Chrétiens d’Orient et qui anime l’émission radiophonique sur France Culture portant le même nom. Rien à voir avec notre sujet indonésien, mais c’est Tesson je crois, qui disait qu’il ne fallait pas trop lire de choses en rapport avec les voyages qu’on faisait au moment où on y était.

Il fait 30°C en ce moment à Bali, deux degrés de moins à Yogyakarta, temps humide, un peu pluvieux, mais est-ce vraiment un problème lorsqu’il fait chaud ? Et puis franchement, est-ce vraiment un souci s’il pleut sur les rizières de Jatiwulih ?

Rizières de Jatiluwih

Départ demain soir. Je suis presque prêt. Restent à finaliser les derniers détails. Virements bancaires, réservation de l’avion retour entre Bali et Java, passage au DAB pour retirer quelques euros à changer là-bas, trousse de toilette, dernières vérifications de la valise — LE VISA ?? BON DIEU LE VISA !!!  Non, c’est vrai, c’est directement à l’aéroport, payable en dollars, j’ai les dollars, panique terminée — le sac à dos le plus léger possible, les fringues du voyage sont prêtes, reste plus qu’à revenir du boulot, de sauter sous la douche et sauter dans le taxi. Bon voilà. Moins de 36 heures…

22:00 : Dernier vol entre Yogyakarta et Jakarta réservé. J’aime bien les vols du soir, ça permet de profiter au maximum de la dernière journée. Check-in ok sur le web, ça évitera d’attendre trop longtemps à l’enregistrement.

Ce billet sera publié demain matin pour le dernier jour et mon blog, le temps de ce court voyage, me servira de carnet de route, si toutefois j’arrive à trouver une connexion wifi.

Mercredi 19.02

Voilà, on est mercredi et c’est déjà le jours du départ, j’ai l’impression que ces derniers jours ont été chaotiques, à cause de la fièvre, à cause du temps qui se distord quand on n’a rien demandé à personne, du téléphone qui sonne alors qu’on ne s’y attend pas. Je sais qu’en réalité, le compte à rebours commence maintenant, à l’heure où je suis en train d’écrire, que la course va venir remplacer le rythme poreux des jours tranquilles, comme si le temps était monté sur un pivot et qu’on pouvait le faire changer de sens à loisir.

Je vais redevenir le passager, le yolcu, celui qui ne fait que passer et qui s’arrête pour regarder, le temps d’une poignée de main, le temps d’un regard ou de quelques mots échangés, celui qui prend le temps, plus que tout et qui parfois court pour rattraper la course du soleil, celui qui regarde le monde avec des yeux d’enfant et qui s’étonne encore parfois qu’on puisse être encore si nombreux sur Terre, s’ignorer autant et surtout se détester autant. Il va pourtant bien falloir faire avec, on en a pour un bon bout de temps, tous ensemble…

Je vous laisse la maison, je vous laisse les clefs, mettez les pieds sur la table, dormez dans mon lit si ça vous chante, buvez toutes mes liqueurs, laissez couler l’eau chaude et la baignoire déborder, il faudra de toute façon que je refasse tout à mon retour. Je déteste m’installer, je hais la constance des lieux, tout est toujours de toute façon à recommencer.

Il faut continuer à avoir foi dans l’avenir et dans ce que nous faisons, car nous n’avons que ça pour rêver : un peu de foi…

Photo d’en-tête © Marco Ophof


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