Couverture du livre.
Dans sa chambre, une petite fille joue seule et s’invente une maison. L’espace d’une ellipse d’obscurité, la voilà devenu vieille sous les yeux de la mort qui la guette à travers la fenêtre. Lorsque cette dernière vient lui annoncer que son heure est venue, elle l’implore de la laissé rendre à la petite fille ses chaussures qu’elle a toujours aux pieds. Le temps d’une pensée, elle rentre dans cette maison intérieure retrouver l’enfance qui va à son tour l’implorer de rester un peu.
Dans ma maison de papier est l’adaptation de la pièce de théâtre de Philippe Dorin Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu paru en 2002 à L’école des loisirs. Cet album marque ainsi une double retrouvaille pour Pierre Duba : la seconde adaptation d’une œuvre de Pierre Dorin (après Un portrait de moitié claire sorti en 2012 chez le même éditeur) ainsi que la deuxième transposition d’une pièce théâtrale (après Quelqu’un va venir de Jean Fosse, sorti en 2002 chez le même éditeur). Nous entrons dans ce livre comme dans un rêve étrange, habité par l’angoisse de la mort et l’innocence de l’enfance. Ces pensées se matérialisent sous la forme d’une maison dont une seule pièce nous sera véritablement dévoilée, la chambre, mais qui finalement occupera toute la maison. Il y a donc un premier jeu sur l’espace scénique, restreint, étouffant de cette pièce sombre que la naïveté de l’enfant vient éclairer et que l’éclatement des compositions aère. La petite fille va même, comme le célèbre personnage de Mc Cay, s’envoler sur son lit, bercée par les nuages, pendant qu’elle raconte une légende sur la création de la lune et des étoiles.
Dans certaines séquences, la vieille dame et l’enfant se confondent et s’intervertissent physiquement. Néanmoins, les phylactères, lettres blanches sur fond noir pour la personne âgée et lettres au crayon de papier sur fond transparent pour la petite fille, permettent d’identifier l’entité qui prend la parole. Ce processus est très riche car, lorsque l’auteur permute graphiquement les corps ou les visages, les bulles clairement identifiées restent rattachées au même corps pendant toutes les variations. Ainsi, la relation entre un personnage et sa bulle peut apparaitre conflictuelle. D’autres fois les paroles s’enchainent comme si une seule et même personne prenait la parole (la petite fille n’est finalement qu’une projection fantasmatique qui habite l’inconscient de la vieille dame vers qui elle va se cacher de la mort) mais le discours est découpé en bulles alternativement noires et transparentes. L’auteur infère donc qu’il s’agit d’un même discours mais insiste sur le fait qu’il est prononcé par deux personnes. La confusion qu’apportent de telles scènes fait sortir le récit du domaine de la signification pour aller vers le sensible et la poésie. Une autre dualité va se jouer, celle de la lumière : rassurante pour l’enfant qui peut ainsi vérifier que la vieille dame ne l’abandonne pas, elle effraie celle-ci qui a peur d’attirer l’attention de la mort.
Ainsi, confusions et contradictions sont au cœur de ce livre. De cette tension constante va naître un dialogue entre les deux âges dans lequel tendresse et peur de la mort vont se fondre. L’onirisme des compositions et les variations de styles graphiques se marient particulièrement bien avec le texte. Pierre Duba nous émerveille toujours à travers des œuvres fortes, poétiques et intelligentes ; Dans ma maison de papier introduit la question de l’inéluctabilité de la mort avec une délicatesse qui efface l’angoisse, la porte et la soulève pour révéler sa fragilité.
Jean-Charles.
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Dans ma maison de papier, par Pierre Duba et Philippe Dorin chez 6 pieds sous terre.