Le barbare, c’est celui qui pense que tous les peuples qui ne vivent pas comme lui sont des barbares. A peine avons-nous conscience de la profondeur de ce préjugé, de la superficialité de cette pensée, de la puissance d’une telle illusion. Ce pourquoi Lévi-Strauss nous explique que les barbares, ce ne sont pas les autres, mais nous-mêmes, avec nos instincts stupides et nos réactions aveugles.
Pourquoi est-ce idiot de penser que ce sont les autres les barbares, ceux qui n’ont ni l’écriture, ni la technologie, ni l’industrie ? Pourquoi est-ce absurde ? Premièrement, parce que la plupart du temps, nous ne nous rendons même pas compte que cela revient à nier tranquillement ce que nous croyons admettre. Nous croyons du bout des lèvres qu’il existe d’autres cultures que la nôtre, quoiqu’inférieures, primitives, un peu sauvages…
Mais cela revient en réalité à nier la diversité culturelle. Penser que certains sont moins évolués, qu’ils sont attardés par rapport aux acquis de notre civilisation, c’est subrepticement penser qu’il n’y a qu’une culture possible, qu’une seule évolution de l’humanité possible. Ceux qui sont en retard appartiennent à un stade antérieur de notre évolution. Peut-être que plus tard, avec le temps, ils y viendront… En attendant, c’est croire fermement qu’il n’y a qu’une évolution, une seule civilisation. Les autres ne constituent pas de véritables civilisations.
Mais le vrai paradoxe est ailleurs : en pensant que les autres cultures sont sous-évoluées, c’est à elles que nous nous mettons à ressembler. En voulant nous en distinguer, nous nous en rapprochons. Car ces cultures que nous stigmatisons sont celles qui justement ont du mal à concevoir l’idée d’humanité. Les cultures les plus primitives pensent être les seules cultures, ignorantes des autres hommes et des autres coutumes.
Nous ne sommes donc jamais autant « inférieurs » que lorsque nous affirmons notre supériorité.