Dès les années 1930 la municipalité débattait sur l’opportunité de se servir du Carnaval de Venise pour relancer le tourisme hivernal.
Dès avant le XVIIIème siècle le carnaval était une affaire lucrative, qui faisait venir à Venise de nombreux étrangers qui y dépensaient sans compter. Les commerçants et les responsables d’agences de voyages et de structures hôtelières cherchèrent longtemps à étaler la saison touristique pendant les mois d’hiver.
La vie de ce nouveau Carnaval n’a pas toujours été facile, en 1991 par exemple, en pleine guerre du Golfe, les masques furent interdits pour des raisons de sécurité.
En 2010, lors de la présentation des trente ans du Carnaval, si l’élu de la région exaltait ses traditions, le président de Venezia Marketing & Eventi, déjà chargé de sa gestion, l’appréhendait comme un phénomène de nature socio-économique apte à gagner sa qualité de patrimoine du futur. Il est selon lui nécessaire de renforcer sa dimension spectaculaire. A cette fin, il convient, toujours selon Pietro Rosa Salva, de satisfaire à une demande de style, d’élégance dans l’art de masquer, à une exigence d’italianité dans l’accueil des hôtes étrangers?
Du nouveau Carnaval la vision commerciale n’échappe à personne.
On peut retenir la vision agacée de Philippe Solers, partageant celle de nombreux observateurs qui estiment sans intérêt et marginal le Carnaval des photographes, au point qu’il ferait plus de tort qu’autre chose à la ville et son image.
"Le spectacle publicitaire m’ennuie. Rien n’est plus faux, parodique et grimaçant que le Carnaval moderne de Venise. C’est un truc d’écran pour couturiers et sponsors divers. Du bruit, de la laideur, le outrance, des masques empilés sur des masques, des contorsions pour la caméra, aucun érotisme bien entendu…" (Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, 2004)
Le Carnaval de Venise, de tout temps à été, aussi, une affaire de commerce et de tourisme. De tout temps, Venise au moment du Carnaval s’est empli de visiteurs venus du monde entier.
Ce qui, peut-être de nos jours, le rends moins supportable, c’est que le rapport des équilibres s’est inversé : les 56.000 vénitiens qui résident encore dans la cité historique se retrouvent envahis, pendant dis jours, par un nombre de touristes parfois dix fois supérieur, qui viennent consommer, vite, très vite, puis repartent sans avoir rien vu d’autre que ce que les marchands veulent bien leur faire voir.
Le tourisme du XIXème siècle est une entreprise industrielle, déshumanisée, destructrice et dévorante. Le Carnaval de Venise s’est retrouvé victime de la déréglementation des marchés et la disparition progressive, partielle ou totale, des services publics au profit du secteur privé. Quand les intérêts privés du capitalisme sauvage s’emparent de la culture et de l’histoire d’un cité, on ne peut rien en attendre de bon.
Si nous souhaitons que Venise ne devienne pas un Veniceland vidé de ses habitants, dont le Carnaval serait une des attractions remarquables, c’est donc à nous tous, ses acteurs, vénitiens résidents, costumés venus du monde entier, ou spectateurs anonymes à nous préoccuper de l’avenir de la Sérénissime et de son Carnaval séculaire.