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La grande Aventure Lego, de Phil Lord et Chris Miller

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 4/5 

Phil Lord et Chris Miller impriment lentement leur patte à Hollywood depuis quelques années. Avec l’excellent Tempête de boulettes géantes en 2009, les deux réalisateurs avaient attiré l’attention en délivrant une oeuvre à mi-chemin entre les films d’animation Pixar et ceux, plus cartoonesques, de Dreamworks. La grande Aventure Lego leur permet aujourd’hui de développer un art de l’absurde et de la référence qui ne cesse de repousser des limites atteintes quelques décennies plus tôt par le grand Tex Avery.

© Warner Bros.

© Warner Bros.

Dans la ville merveilleuse de Brickburg, Emmet est un employé de construction lambda. Tellement lambda qu’il ne comprend pas comment il a réussi à devenir le « Spécial » dont l’objectif sera d’anéantir le grand méchant Lord Business. Aidé par la bande des Maîtres Constructeurs, il doit s’emparer de l’arme la plus dangereuse du monde, le Kragle. Le parcours initiatique (il en est toujours question dans les films d’animation) n’a rien de profondément original. C’est d’ailleurs la seule chose du film qui ne l’est pas. Car il suffit d’un incipit rocambolesque (le grand mage Vitrivius voit tout partout mais un seul tir ridicule du méchant suffit à le rendre aveugle pour le reste du film) pour savoir dans quoi nous mettons les pieds. Emmet est un homme si ordinaire qu’il en est transparent. Personne ne semble l’apprécier ni même le connaître dans la grande métropole faite de briques. En plus d’une référence filée à Matrix, le film fait le portrait d’une société, la nôtre bien évidemment, gangrenée par l’uniformité et ravie d’y être. Le café y coûte en moyenne 37 dollars  dans les coffee houses et tout le monde se réjouit de la nouvelle chanson à la mode (on serait tenté d’y voir un David Guetta, mais on verra plus loin qu’il s’agit plus de Daft Punk). Comme le titre de cette chanson l’indique, « Tout est super génial ». Sauf que Emmet tombe par inadvertance sur la « pièce de résistance » et qu’il va en baver pour devenir ce qu’on lui demande d’être.

Les péripéties se succèdent à une allure absolument folle, surtout qu’elles ont le talent de ne jamais se ressembler. Nous passons en effet, tous les quarts d’heure, dans un monde différent. Far West et Pays des Nuages Perchés sont traversés par les héros. Mais ici, il nous faut rappeler que l’unique moyen pour les personnages d’accéder à ces univers est de traverser des murs, voire de les casser. Dans La grande Aventure Lego, on brise constamment des murs, on fait se distancier le spectateur dès qu’on en a l’occasion. Lorsque le vaisseau de Batman (en passant, le personnage justifie à lui seul le déplacement) s’enfuit vers le soleil, il ne disparaît pas dans l’horizon, il brise une barrière invisible et détruit l’astre sans scrupule ; le même véhicule ne se contente pas de contourner un arc-en-ciel géant, il monte dessus pour continuer sa route. Les éléments du film retournent toujours, à un moment ou un autre, à leur place. Ce ne sont que des décors qu’il suffit de forcer pour poursuivre son chemin. Fort de cette perpétuelle remise en question, La grande Aventure Lego se pose aussi la question de son essence de pub géante. Si le film montre le factice de cette entreprise, il joue avec son public aussi dans la mise en abîme. Tout peut être détruit donc, puisque c’est un univers fait de briques Lego uniquement, mais par la même formule, tout peut être construit et dans n’importe quel sens. Tout est permis.

Qui plus est, sa galerie de personnages met en lumière quelques problématiques contemporaines. Outre la bipolarité du Mauvais Flic, qui a un double gentil caché dans son casque, Batman parodie ouvertement la tendance de la trilogie du Dark Knight de Nolan a tout prendre au sérieux. Mais le film évoque surtout, à travers son personnage principal, la difficulté d’être quelqu’un dans une communauté où tout le monde est pareil. Si Emmet est l’anti-héros parfait, c’est qu’il n’a jamais eu à penser par lui-même ni développer de sens critique envers ce qu’on lui demandait de faire ou de dire. Il faut suivre les instructions sans jamais les discuter.

Les réalisateurs nous font entrer dans un monde de l’artifice mais, en nous le rappelant dès qu’ils en ont la chance, arrivent tout de même à nous y faire croire. Par ce fait, La grande Aventure Lego est un film qui penche définitivement vers le méta. Comment pouvons-nous nous projeter dans une histoire qui se réclame fausse et fabriquée ? Pourquoi vibrons-nous encore pour des personnages qui nous adressent partout et tout le temps des clins d’oeil sous forme de références pop (Le « I’ll text you » de Batman) ? Surtout dans son parti pris esthétique, le film se développe du point de vue le plus radical qui soit : chaque étincelle, chaque goutte, chaque poussière est un accessoire Lego. La réponse à toutes ces fulgurances réside dans la dernière partie du film, dont on avait presque oublié qu’il était pour les enfants. On excusera un certain problème de rythme dans ce quart d’heure car là aussi, il est compensé par un effet malin qu’on ne peut dévoiler. On dira seulement qu’un dernier mur est brisé et qu’il a au moins l’élégance d’être assez court pour que les adultes restent dans la course.

© Warner Bros.

© Warner Bros.

La grande Aventure Lego est donc un film intelligent, au sens où il réfléchit sans relâche sur ceux dont il parle, nous, mais aussi sur lui-même. Il nous offre une occasion de confronter notre présent et notre passé et nous demande si la réponse à un monde cynique et trop sérieux n’est pas écrit sur un poster pour chat. On appelle ça du talent.

Larry Gopnik

Film en salles depuis le 19 février 2014


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