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Des journées entières dans les arbres

Publié le 05 mars 2014 par Jessica Staffe @danmabullecultu

Des journées entières dans les arbres est adaptée d’une nouvelle de Marguerite Duras. Dès les premiers mots, on ressent la force du texte de cet écrivain.  Cette mise en scène  se joue actuellement  au théâtre de la Gaiété Montparnasse et ce jusqu’au 30 mars.L’émotion et la force des sentiments sont les fils conducteurs de cette adaptation. La puissance de chaque mot résonne. Elle s’exprime aussi dans le lien qui unit Jacquot à sa mère.  Après 5 ans sans voir son fils, un jour elle débarque. C’est lors de cette visite que l’on découvre les liens que partagent la mère et le fils. Cette relation abusive les dépasse et les détruit. Elle représente un exemple universel d’amour inconditionnel et indéfectible que ressent une mère pour son enfant. Cet amour fou est ainsi expliqué par Marguerite Duras : « Quand j’ai écrit le texte des Journées entières dans les arbres, il me semblait que cet écrit, oui je le croyais, avait seulement trait à l’amour de la mère pour son fils – amour fou, mouvement océanique qui engloutit tout dans sa profondeur. (…) Cette mère qui le préférait à tout, à nous, à tous. Et lui, sujet innocent de cette fantastique fascination qu’il exerce sur elle, il souhaite qu’elle meure et de ne plus être préféré à personne et de s’engloutir enfin, lui aussi, dans le sort commun, dans le gouffre commun des orphelins du monde. »

A l’époque de son écriture le texte a été censuré. Cette nouvelle s’inspire de la relation  qui unissait la mère et le frère de Marguerite Duras. Ces deux personnes ont beaucoup compté pour cet auteur et elle a du de construire autour de se lien fusionnel. Pas facile de trouver une place dans ces cas-là.

 Une relation mère-fils torturée et plus qu’ambivalente

La mère et le fils entretiennent un lien torturé. L’obsession les tourmente jusqu’à leur gâcher la vie. Leur relation s’avère compliquée et conflictuelle mais pas dénuée d’amour.  La tendresse se ressent dans les étreintes qu’ils s’échangent. Cet amour demeure palpable et envahit Jacques. Il est autant chargée d’amour que de haine et de ressenti. Il frôle les interdits et on se demande parfois même s’il n’est pas un peu incestueux. Cette ambiguité et cette ambivalence des sentiments se retrouvent dans le texte. Des répliques violentes chassent des mots plus légers et plus doux. Les souvenirs évoqués s’apparentent à de la nostalgie. Le passé revient vite. Cette tristesse amène de la lassitude dans le comportement des personnages.  Les étreintes sont souvent suivies par des échanges de mots durs et difficile à entendre. Cette dureté se renforce tout au long de la représentation. Ce mélange de sentiments marqué par de la mélancolie donne une dimension tragique au récit et amène beaucoup d’émotion.

La mère éprouve un orgueil blessé. Son fils chéri n’a pas suivi le dessein qu’elle aurait voulu.  A travers la méchanceté apparente et son arrogance la mère apparaît fragile. Son fils représente le grand échec de sa vie. Au lieu d’aller à l’école il passait ses journées dans les arbres. Au moment de sa visite, il travaille dans une boîte. Le lien entre les deux mondes est les oiseaux et oisiveté Comme elle le dit si bien tout au long du texte "il  ne faut pas avoir de regrets". Elle reste fière de son bébé même si certains de ses espoirs ont été déçus

La force émotive du texte de Marguerite Duras mise en scène

« Il était blond à en perdre la tête et je pleurais parce qu’il était mortel. »  Cette citation du texte de Marguerite Duras  en dit long sur la force des sentiments qu’éprouve  cette mère. Cette passion la dévore et la dévaste. Elle ruine savie . Cette phrase montre qu’elle aurait voulu garder son fils égoïstement sans devoir le partager avec une autre. Il n’aurait pas du grandir. Rester cet enfant blond l’aurait comblé. La vie en a fait autre chose et l’a éloigné d’elle. Cette distance la rend malade jusqu’à en mourir. Cette relation est toxique pour Jacques mais aussi pour sa mère.  Elle se retrouve sans but. Son existence semble rongée par l’absence, elle s’occupe pour combler le vide. Ce flottement rend l’atmosphère lourde et tendue. L’animosité et le ton monte. La mère et le fils ne se  comprennent absolument pas ce qui désole la mère.

Un jeu à la hauteur du texte

Les textes de cette envergure sont souvent compliqués à interpréter surtout lorsque les mots sont lourds de sens.  Les acteurs peuvent être tentés d’en exagérer les traits et caricaturer sans le vouloir le texte de l’auteur. Ce n’est absolument pas le cas ici.  Les acteurs incarnent leurs personnages avec justesse. Ils ont su trouver l’émotion parfaite. Cette appropriation du texte s’est aussi faite grâce à la direction. Thierry Klifa a su donner  la bonne impulsion à ses comédiens et à bien les encadrer. Au-delà de ces aspects purement techniques, les acteurs se répondent parfaitement.

Le couple Nicolas Duvauchelle et Fanny Ardent est époustouflant. Les deux comédiens sont parfaits pour jouer leurs rôles respectifs. Ils se complètent. Ce quasi huis- clos glace parfois le sang et nous plonge dans une ambiance assez dramatique. Il amène un certain malaise et crée une certaine froideur. Leurs jeux sont coordonnés et leurs émotions se répondent. A chaque moment on ressent que chacun des personnages se trouve non loin du point de rupture et avance sur une corde raide. Cette sensation grandit tout au long du spectacle. Toute cette ambivalence et cette explosion des sentiments apportent un nouveau souffle au texte. Les seconds rôles ont aussi leur importance. Jean-Baptiste Lafarge et Agathe Bonitzer ajoutent leur touche personnelle, un brin de folie et un zest de tragique. Même secondaires,leurs personnages ont de l’importance et rythment le texte par leurs différentes apparitions.

Ce spectacle est à découvrir pour les amateurs de beaux textes et de jeux subtils. Cette mise en scène est agrémentée d’une musique d’Alex Beaupain qui va parfaitement avec le contexte du récit de « des journées entières dans les arbres » et l’éclairage intimiste et chaleureux rappelle la force des mots échangés.


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