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Entretien avec Tom Shoval, le réalisateur de Youth

Par Mickabenda @judaicine
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Alors que son film sort cette semaine sur les écrans français, Tom Shoval revient sur Youth

Quelle est l’origine de Youth ?

Le film se concentre sur l’histoire de deux frères adolescents ; de nombreux éléments sont empruntés au lien profond que je partage avec mon frère. Ce sentiment que l’on peut parler à l’autre sans mots, que la proximité crée une identité singulière, un autre monde intime.

C’est aussi un film sur une famille qui refoule sa propre situation.

Oui, c’est sans aucun doute une tragédie dans laquelle les frères commettent un acte fou et désespéré dans l’espoir de changer leur
destin. Ils agissent sous l’impulsion de l’orgueil démesuré typique de la jeunesse qui va également provoquer leur chute. Le film montre une famille qui souffre d’aveuglement : sa situation financière est catastrophique depuis que le père a perdu son emploi et s’enfonce dans les dettes. Ils sont sur le point de perdre leur logement, mais ils continuent à vivre comme d’habitude parce qu’ils ne savent pas comment faire autrement. En Israël, l’écart entre les classes sociales se creuse tellement que la classe moyenne est en voie de disparition. Jusqu’à il y a deux ans , la classe moyenne ressemblait à un agneau mené à l’abattoir, acceptant son destin ou ne réalisant pas ce qui lui arrivait. Mais le mouvement de protestation récent a un peu changé les règles du jeu
et lui a permis de se réveiller et de prendre conscience de sa situation. Youth raconte ce réveil et ses conséquences.

Shaul travaille dans un multiplexe. La maison familiale est remplie de produits dérivés de films grand public hollywoodiens. Pourquoi ?

Les films sont le reflet du monde intérieur des frères. Les affiches de films et les tee-shirts que Shaul rapporte de son travail sont un autre signe de la situation financière de la famille. La crise qu’elle traverse n’est pas montrée, mais sous-entendue. Cette famille ne sait pas comment appréhender son nouveau statut de « nouveau pauvre ». Les produits dérivés des films soulignent l’écart entre le refoulement et la réalité de la situation.Il est intéressant de noter que les films mentionnés ont été produits par les sociétés de production américaines Nu Image et Millennium Films. Elles appartiennent à des
Israéliens qui ont grandi en regardant des films d’action américains des années 1960 et 1970 et sont partis à Hollywood pour « vivre le rêve américain ». En un sens, Youth montre la jeune génération qui a grandi bercée par la tradition américaine, à travers le regard d’un Israélien. Yaki et Shaul sont en quelque sorte des « enfants de Nu Image ».

Dans l’histoire, l’arme à feu a également une fonction métaphorique.

C’est exact, elle existe au-delà de son rôle dans le plan désespéré des frères pour aider leur famille. L’arme à feu est un thème central dans le développement de tout Israélien. En Israël, tous les garçons de 18 ans doivent faire leur service militaire et se retrouvent donc en possession d’un fusil : c’est un acte normatif. L’image de jeunes hommes jouant au foot avec un fusil en bandoulière ou celle d’un garçon
flirtant avec une fille tout en serrant une arme dans ses mains est tout à fait normale, voire banale. La présence de l’arme à feu symbolise le passage de la jeunesse israélienne de l’enfance à l’âge adulte en entrant dans le corps qui protège l’État de
ses « ennemies », et constitue une sorte d’approbation, une affirmation, comme si l’on disait que l’on fait confiance à ces jeunes hommes pour prendre des décisions ayant des conséquences mortelles. En plus de tout ceci, Youth souligne la perception déformée que les Israéliens ont de la réalité et le danger inhérent à ce type de perception. C’est évident dans la scène du bus lorsqu’ils guident la fille kidnappée entre les sièges. Cette scène peut paraître folle ou impossible à certains, alors que dans l’absurdité de la vie en Israël, un jeune homme armé d’un fusil chargé dans un bus n’est qu’une image banale.

Le film mélange plusieurs genres : l’entrée dans l’âge adulte, le drame familial et le thriller. Le ton du film change donc en conséquence. S’il n’est dénué ni d’humour, ni de sentimentalisme, ni d’éléments tragiques, tout s’entremêle afin de créer des réactions extrêmes. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Je voulais que le film passe brutalement d’une chose à son contraire afin de parler de ce moment de la vie totalement extrême appelé «jeunesse » où l’on passe de la joie à la dépression en une seconde. Ces bouleversements créent un sentiment de danger, de surprise et d’incapacité à prévoir ce qui va se passer. De plus, le film demande aux spectateurs de ne pas juger ses personnages. Ils sont souvent horribles et dangereux, mais ce sont aussi des garçons infantiles, gentils et perdus. Ce changement constant d’ambiance cinématographique, qui fait écho au passage de l’abri souterrain à l’appartement au troisième étage, du mal s’exerçant dans l’abri à la tendresse de la famille Cooper, crée la dualité qui est au cœur du film.

Quels ont été vos choix en termes d’image ?

Le choix principal a été de tourner en Cinémascope, ce qui a vraiment déterminé le fait que le film a deux personnages principaux : les deux frères. Le plan à deux est
donc devenu un gros plan. De plus, le directeur de la photographie Yaron Scharf et moi-même avons essayé de ne faire que des cadres dans lesquels les personnages sont ou entrent afin de montrer la sensation d’étouffement et la tension de leur
monde. Nous avons également fait le choix du minimalisme et d’une profondeur de champ vaste ou vide et nous voulions surtout insister sur la différence entre la maison familiale chaleureuse et la froideur de l’abri.

Le mot « jeunesse » (youth) est répété dans les dernières scènes. Ce mot a-t-il également une dimension symbolique ?

Youth (H’anoar, « jeunesse ») correspond également à une expression qui signifie en hébreu « nos meilleures années ». Mais ces « jeunes » sont perdus.


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