Pour Alexandre Arcady, elle interprétera Ruth Halimi dans 24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi, le 30 avril sur nos écrans. Entretien avec Zabou Breitman
Avez-vous rencontré Ruth Halimi ?
Non, c’est une femme discrète qui, je suppose, ne veut pas s’exposer.
Comment avez-vous abordé le personnage de cette mère confrontée à l’enlèvement et à la mort de son fils, Ilan ?
Le plus simplement possible. Quand vous acceptez un tel rôle, il faut le travailler comme n’importe quel autre personnage, comme vous travaillerez un personnage de Racine. Il y a le même lyrisme, malheureusement le même effroi, les mêmes sentiments. Il faut surtout ne pas le prendre avec des pincettes, il faut, au contraire, tout de suite entrer dedans. Pour respecter justement cette personne, il faut prendre la bonne distance, la jouer et aborder son personnage sobrement, en suivant le fil de l’histoire.
Ce qui vous permet d’être plus efficace ?
Je pense. Cela permet de mieux servir le film.
Faut-il n’y mettre aucun affect ?
J’ai séparé tout cela dans ma tête. Une forme de réalité ne doit pas s’imposer à mon jeu, sinon je ne peux plus rien faire, je m’arrête net. De plus, il ne faut pas être spectatrice parce que je ne suis pas censée connaître le déroulement de l’histoire. Autrement, il n’y a plus l’insouciance au départ ni la terreur à l’arrivée. Et n’oublions pas non plus que c’est Valérie Benguigui qui devait tourner le rôle. Elle est décédée le premier jour du tournage.
Vous la connaissiez ?
Non, mais reprendre son rôle, c’était difficile, délicat. On se dit: « elle devrait être là ». Quand Alexandre m’a appelée pour me dire que Valérie ne pourrait pas tourner, j’ai hésité. J’avais beaucoup de travail, d’autres engagements. Je mettais en scène « Le système Ribadier » à la Comédie française… Et je trouvais tellement déconcertant et triste d’interpréter un rôle qu’elle rêvait de jouer.
Vous offrez à ce personnage une palette très riche. Vous passez de l’émotion au choc, de la colère à la révolte et au deuil. On a l’impression que vous avez très vite habité ce rôle…
Oui. Cela dit, ça a été un peu laborieux pour moi d’identifier ce personnage. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour le travailler. Mais ça a été rapide, je me suis dit qu’il m’était impossible de ne pas le faire. Du coup, j’ai arrêté de réfléchir et je l’ai fait, j’ai foncé. Et c’est tout.
Comprenez-vous sa révolte contre la Police qui, pourtant, ne ménage pas ses efforts ?
Bien sûr. La Police n’est pas partie dans le bon sens, comme quelqu’un qui court vite mais pas dans la bonne direction. Ils n’ont pas pu envisager l’impensable. Et ils n’ont pas mesuré la folie et la perversion de Fofana. Ils ont beaucoup souffert de cet échec mais on ne peut pas les incriminer. D’abord, il y a eu peu d’enlèvements en France depuis le baron Empain. Ensuite, pourquoi enlever un môme d’origine modeste ? Les policiers ne peuvent pas imaginer que c’est parce qu’il est juif. C’est absurde et effrayant. En revanche, Ruth Halimi sent les choses, elle reconnaît rapidement l’acte antisémite et prévient les policiers : « ce n’est pas un vendeur de téléphone qu’ils ont enlevé mais un juif. C’est là qu’il faut chercher ». Il y a une dénégation de leur part parce que pour eux, c’est inimaginable. De même, ils ont commis des erreurs de communication et n’ont pas vu qu’ils avaient affaire à une bande de bras cassés. Leur chef, Fofana, est un pervers assumé, un dangereux malade et les autres membres, des suiveurs. Un pervers d’un côté, des crétins de l’autre, vous mélangez les deux et vous avez une milice. Sans parler des lâches et de ceux qui savaient sans parler.
On voit aussi comment une famille où le père fut longtemps absent, semble se recomposer dans l’épreuve, non ?
Je ne crois pas. La famille du côté de la mère se sert les coudes, oui. Le père, c’est lui qui sert d’intermédiaire avec la Police. Il suit les instructions. Ce doit être très dur pour lui aujourd’hui. Mais qui peut dire ce qu’il fallait faire, quelle était la bonne décision, c’est si facile après coup. Je pense que madame Ruth Halimi a eu raison d’exhumer le cercueil d’Ilan pour aller l’enterrer à Jérusalem. Je suis persuadée, comme elle l’était, que sa tombe aurait été profanée, c’est évident.
Quelle réflexion vous inspire une telle tragédie ?
Je n’ai pas eu besoin du film pour avoir été atterrée au moment des faits par cette tragédie et par ses démons de l’antisémitisme. J’ai été choquée que la qualification de crime antisémite n’ait pas été retenue immédiatement. Mais à la lecture du livre 24 jours, les éléments de l’histoire me paraissaient si sordides, que j’ai commencé à faire des cauchemars.
Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas eu plus d’émoi et de manifestations à l’époque. Il y en a eu, bien sûr, mais sans l’ampleur que cela aurait dû susciter. Mais la vraie question, c’est : aujourd’hui combien de personnes y aurait-il dans la rue ?