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Le voyage de l’obélisque Louxor – Paris (1829 – 1836)

Publié le 07 mars 2014 par Louvre-Passion

Il mesure 23 mètres de haut, pèse près de 230 tonnes et c’est le plus vieux monument de Paris. C’est l’obélisque de la place de la Concorde qui est tellement bien intégré dans le paysage parisien qu’on ne le remarque même plus dans les embouteillages.

Comment ce monument érigé devant le temple de Louxor par le Pharaon Ramsès II il y a plus de trois mille deux cent ans est-il arrivé en France ? Qui a décidé ce transfert ? Comment l’obélisque a-t-il été démonté puis remonté ? Telles sont les questions auxquelles répond cette exposition du musée de la Marine, que je remercie au passage pour la mise à dispositions des visuels qui ont servi à illustrer cet article.

Avant toute chose, vous vous demandez sans doute pourquoi une exposition « Egyptologique » est-elle organisée par ce musée ?

affiche obélisque

Affiche de l’exposition – conception graphique : olotropp

Apprenez avec moi, car je l’ignorais auparavant, que toute cette opération fut réalisée par la Marine. En effet il fallait un navire pour transporter l’obélisque des rives du Nil à celles de la Seine et la Marine avait aussi les ingénieurs capables de mettre au point les délicates opérations de démontage et remontage.

Dans l’Egypte antique, les obélisques symbolisaient des rayons de soleil pétrifiés, un point de contact entre le monde des dieux et celui des humains. A partir du nouvel empire les Pharaons les érigent par paires à l’entrée des temples et y font graver leurs exploits et leurs hommages aux dieux. Que raconte notre obélisque ? A vrai dire pas grand-chose. C’est un panégyrique général à la gloire de Ramsès II qui règne de1279 à 1213 avant notre ère, sans aucun renseignement historique. Sur les quatre faces le même motif, en haut le Pharaon à genoux offre du vin au dieu Amon en dessous trois colonnes verticales de hiéroglyphes. Dans la colonne centrale, il assure qu’il a approvisionné la demeure d’Amon. Dans les colonnes latérales il fait savoir que les chefs des pays étrangers sont à ses pieds et que tous les peuples lui sont soumis.
Comment je sais tout ça ? Eh bien je n’ai pas le grand savoir de notre estimé rédacteur du blog « EgyptoMusée », mais j’ai lu l’excellent ouvrage de Robert Solé « 
Le grand voyage de l’obélisque » paru en 2004 dans lequel on trouve la traduction de l’égyptologue Bernadette Menu.

louxor obélisque

Façade du temple de Louxor, vers 1800, aquarelle. François-Charles Cécile (1766-1840). © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/Les frères Chuzeville

Mais revenons à notre histoire. Tout commence au début du XIXe siècle, en France le souvenir de l’expédition d’Egypte de 1798 est très présent même si les Anglais furent finalement vainqueurs et saisirent toutes les pièces archéologiques comme « prise de guerre ». En 1822 les Français prennent une revanche pacifique quand Jean-François Champollion annonce qu’il a percé le secret des hiéroglyphes.

En 1829 le vice-roi d’Egypte Mohammed Ali aspire à l’indépendance, il a besoin de l’appui des puissances européennes dans son combat contre le sultan ottoman. Pour lui les vestiges antiques sont soit des matériaux de construction soit des outils politiques. Il propose à la France et à l’Angleterre de leur céder ce qu’il appelle les « aiguilles de Cléopâtre » situées près d’Alexandrie, ce qu’il formule ainsi : « Je n’ai rien fait pour la France que la France n’ait fait pour moi. Si je lui donne les débris d’une vieille civilisation, c’est en échange de la civilisation nouvelle dont elle a jeté les germes en Orient. Puisse l’obélisque de Thèbes arriver heureusement à Paris et servir éternellement de lien entre ces deux villes ».

vice roi
Méhémet-Ali, vice-roi d’Égypte (1769-1849), huile sur toile, 1840. Louis Charles Auguste Couder (1789-1873). © RMN-Grand Palais (Château de Versailles)/Gérard Blot

Le gouvernement du roi Charles X s’empresse d’accepter cette proposition par calcul politique afin de rehausser le prestige du régime. C’est la Marine qui est chargée de l’opération et le parlement vote un crédit pour la construction d’un navire de transport, le « Luxor ». La révolution de 1830 ne change rien car le nouveau régime reprend le projet à son compte.

Ce que nous avons du mal à imaginer c’est que ce « projet fou » fut presque entièrement réalisé sans aucune machine, le démontage et le halage de l’obélisque en Egypte se firent à la force des bras ce fut la même chose pour son érection place de la Concorde. La seule machine utilisée fut un bateau à vapeur, le « Sphinx », qui servit à remorquer le « Luxor ». Ce n’était pas le premier navire à vapeur mais le premier à fonctionner correctement. Construit à Rochefort en 1829, cette corvette, c’est-à-dire un petit bâtiment de guerre destiné à des missions de transport, pouvait atteindre une vitesse de 7 noeuds (environ 13km/h).

Toute cette expédition fut conduite par quatre hommes : Appollinaire Lebas, un polytechnicien, ingénieur du génie maritime qui fut chargé des opération d’abattage, de chargement, de déchargement et de réédification de l’obélisque. Le commandant du Luxor, Raymond de Verninac Saint-Maur et son second Léon de Joannis qui fut l’illustrateur de la mission. Enfin le chirurgien major Justin Pascal Angelin qui protégea les membres de l’expédition d’une épidémie de choléra et de la dysentrie. Il constitua avec Joannis une collection de spécimen destinés au musée d’histoire naturelle.

L’exposition nous raconte cette aventure qui s’étale sur près de sept ans, entre 1829 et 1836. Deux ans entre la promesse de don de l’obélisque par l’Egypte et le départ du Luxor de Toulon, entre temps il fallu faire construire le navire. Deux ans de séjour en Egypte pour démonter l'obélisque mais aussi attendre la crue du Nil.

démontage obélisque

Élévation et plan de l’appareil d'abattage et d'érection de l'obélisque, Jean-Baptiste Apollinaire Le Bas, 1831 © Musée national de la Marine/A. Fux

Enfin près de trois ans s’écoulent entre l’arrivée en France et l’érection de l’obélisque. A l’arrivée de ce monument à Paris, un débat s’ouvre sur son emplacement. Champollion voulait le placer dans la cour carrée du Louvre mais il est mort en 1832. Louis-Philippe et son gouvernement imposent le choix de la place de la Concorde. Aménagée en 1748 ce lieu est alors chargé du mauvais souvenir des exécutions de la Révolution, plus de mille personnes y ont été décapitées dont Louis XVI, Marie-Antoinette, la comtesse du Barry, Lavoisier, Danton, Robespierre, Saint-Just. Pour Louis-Philippe le motif pour lequel l’obélisque mérite cet emplacement « C’est qu’il ne rappelle aucun évènement politique et qu’il est sûr d’y rester, tandis que vous pourriez y voir quelque jour un monument expiatoire ou une statue de la liberté».

C’est finalement le 25 octobre 1836 que l’obélisque est érigé place de la Concorde devant une foule de plus de 200.000 personnes. Le levage se fait par un ensemble de cables actionnés par 350 artilleurs, l’ingénieur Lebas qui dirige l’opération avec un porte-voix se place sous le monument car il ne veut pas survivre en cas d’échec. A midi, quand le succès semble assuré le roi Louis-Philippe apparaît au balcon de l’hôtel de la marine, à 14h30 l’obélisque repose sur son piédestal, il est coiffé d’un drapeau tricolore hissé par quatre marins et le roi donne le signal des applaudissements.

montage obélisque
Érection de l'Obélisque de Louqsor, 25 octobre 1836, détails, aquarelle. Cayrac, 1837 MnM 15 OA 5 D Dépôt du musée du Louvre © Musée national de la Marine/P. Dantec

Trois ans plus tard les inscriptions commémoratives sont gravées à l'or fin sur le piédestal et en 1937 l'obélisque est classé monument historique. En 1998 il est recouvert d’un pyramidion doré à l’occasion de la visite du Président Moubarak, sur la suggestion de l'égyptologue Christiane Desroches-Noblecourt.

Exposition Le voyage de l’obélisque au musée de la Marine, jusqu’au 6 juillet 2014


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